Table ronde : Comprendre les menaces – Échanges avec la salle (2021)

Échanges avec la salle suite à la table ronde sur la compréhension des menaces dans le cadre du colloque « Préserver et protéger les animaux sauvages en liberté » organisé par la LFDA le 16 novembre 2021 au Grand Amphithéâtre de la Sorbonne. Par Laurence Parisot, vice-présidente de la LFDA, Hélène Soubelet, Docteur vétérinaire et directrice de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité et Jean-Marc Landry, Éthologiste spécialiste de la relation homme-loup, directeur de la Fondation Jean-Marc Landry.

© Gabriel Legros
Télécharger les actes du colloque au format PDF
.

Laurence Parisot

Il y a quand même des choses positives. On arrive à maintenir un minimum de biodiversité, et ceci en est la preuve. Je propose d’ouvrir le débat et les questions avec la salle.

Question 1 : Farid Benhammou

Bonjour, Farid Benhammou, je suis géographe et je travaille sur les questions de géopolitique liées à la cohabitation avec la grande faune. Je voulais réagir aux propos à la fois d’Hélène et de Jean-Marc. Vous avez évoqué la nécessité d’étayer des décisions politiques par des décisions et des connaissances scientifiques. Je remercie d’ailleurs la LFDA d’avoir organisé cet événement dans un temple de la connaissance. Mais un comité scientifique qui prend les décisions importantes, il en existe un, comme vous le savez. C’est celui qui conseille nos gouvernants sur le covid. Donc un comité consultatif scientifique étayé qui a une parole qui porte, ça peut exister ! Et comme vous l’avez très bien montré et comme Gilles bœuf l’a également montré, c’est une question de biodiversité, ce n’est pas juste des petites fleurs et des petits oiseaux, c’est aussi nous protéger nous-mêmes.

Imaginons que le ministre de la Santé décide de relayer des propos complotistes. Ce serait quand même assez étonnant. Figurons-nous que dans notre pays, le Premier ministre et le ministre de l’Agriculture ont relayé des propos véhiculés par certains syndicats agricoles disant, comme l’a très bien dit Jean-Marc, qu’il n’y avait pas 600 à 800 loups en France, mais peut-être 8 000 ou 10 000, peut-être 10 fois plus. Ce serait quand même un comble et pourtant, ça existe ! Avec un certain nombre d’experts, de citoyens, nous avons lancé un appel qui va exactement dans le sens de ce que dit Jean-Marc Landry. On a même une pétition qui a plus de 30 000 signataires, qui cherche justement à mettre en avant des connaissances pour étayer des propos. Ce ne sont pas des propos intégristes que l’on a, mais de la connaissance étayée, de la connaissance médiane comme il a très bien dit.

Ce qui est, je pense, à privilégier, c’est peut-être de voir que l’État n’est pas le seul acteur susceptible d’agir. Il faudrait non pas aller contre l’État, parce qu’il a une vraie légitimité, mais aller à côté de l’État pour que des solutions proposées comme celle de Jean-Marc Landry puissent être accompagnées, pour qu’on ne soit pas dans une situation dans le plus haut niveau de l’État, alors qu’on propose une gestion adaptative qui a été refusée. Je pense qu’il est grand temps que les citoyens et les chercheurs soient mobilisés.

Jean-Marc Landry

Pour que tout le monde comprenne bien, c’est vrai qu’aujourd’hui il y a des citoyens qui prennent un petit peu la science en otage. Moi, ça ne me pose pas de problème que des citoyens remettent en cause la génétique, à condition qu’ils utilisent des méthodes scientifiques et qu’ils aient une approche aussi scientifique que les scientifiques. Être scientifique, c’est simplement mettre en place une approche scientifique et puis faire des statistiques.

On a le cas des hybrides, par exemple, sur lesquels des citoyens éleveurs ont dit « en fait, tous les loups en France sont des hybrides ». Nos généticiens espagnols, portugais, italiens, suisses ou français montrent que ce n’est pas le cas. Mais cette idée-là est passée jusqu’à l’Assemblée nationale. Le comptage des loups par l’Office français de la biodiversité (OFB) a été qualifié comme un des meilleurs monitorings des loups en Europe. Comprenez que nous, on nous demande de compter des loups. C’est compliqué quand même de compter des loups. On compte plutôt des meutes ou des zones de présence permanente. Les Français ont cette particularité : ils ont de très bons gars qui travaillent à l’OFB, des statisticiens qui nous font des estimations d’année en année. Je pense qu’on est un des meilleurs pays au monde à avoir ces estimations-là. En face, vous avez des gens qui disent que tout ce qu’ils font – excusez-moi du terme – « c’est de la merde, ce sont des menteurs parce que toute façon, ils trichent comme les généticiens qui font exprès de dire qu’il n’y a pas d’hybrides ». Tout d’un coup, nous, on se trouve confrontés à ça. C’est là où il faut qu’il y ait un cadre. Ces complotistes ou ces gens-là sont soutenus, et nous qui sommes des scientifiques qui mettons des choses en place, on doit se justifier de ce qu’on raconte. On me demande de prouver que le loup n’est pas un hybride ou que le loup a été réintroduit, etc. Moi, je fais mon travail de scientifique. C’est plutôt aux autres de prouver avec une méthode scientifique que ce sont des hybrides, pas le contraire.

Laurence Parisot

Tout d’abord, sachez que le directeur général de l’OFB sera là cet après-midi, donc c’est un sujet qu’on pourra aussi aborder avec lui. Hélène, au vu, de votre expérience, notamment dans les ministères, est-ce que vous avez le sentiment qu’au sommet de l’État on arrive à obtenir les informations les plus objectives, les plus scientifiques, les plus rationnelles possible, et est-ce que l’État s’est doté des agences qui sont nécessaires pour cela, ou bien est-ce qu’il y a un manque ?

Hélène Soubelet

Je pense qu’on a un système qui potentiellement pourrait fonctionner. Le problème, c’est l’érosion des fondements scientifiques au fur à mesure des processus, comme je l’ai expliqué tout à l’heure. Il s’agit de la confrontation entre la connaissance scientifique et la croyance : d’un côté, il y a les faits scientifiques, et de l’autre côté, on nous oppose des perceptions, des craintes, des croyances. Je pense que ce qui se passe sur le loup, c’est typiquement ça : c’est une intime conviction, mais qui n’est pas basée sur autre chose que le fait d’avoir entendu un groupe d’éleveurs, de chasseurs, parler de quelque chose, et on y croit. La science, elle, est armée pour répondre à ça, elle analyse, elle compare, elle modélise. Il ne faut pas baisser les bras, même si la recherche a un petit désavantage : elle met en discussion ses propres incertitudes. Ça peut donner des atouts à ceux qui veulent démonter les recherches scientifiques et les résultats qui sont produits en disant : « Regardez, les chercheurs ne sont pas d’accord entre eux, les résultats se contredisent, il y a des incertitudes. »

Je pense qu’il faut quand même tenir le cap. La science évolue, elle avance, elle s’autocorrige parfois, mais la plupart du temps, elle confirme les résultats antérieurs. C’est vrai, il y a des résultats scientifiques qui sont mis en doute par d’autres études, et puis on évolue. Collectivement, il faut tenir la route, il faut continuer à affirmer que les décisions devraient être prises sur la base des meilleurs résultats scientifiques disponibles au moment où on prend la décision. Ce sera toujours une meilleure décision que si on se base sur des croyances. Ce n’est pas facile, et moi, je n’ai pas vraiment de solution pour faire changer d’avis quelqu’un qui croit fermement par exemple que le changement climatique ne se produit pas, ou qui dit que la perte de biodiversité, c’est une foutaise, ou qu’il y a 60 000 loups en France.

Question 2

Bonjour, je m’appelle Romain, je suis étudiant en première année de licence de commerce international et j’avais une question pour vous, Mme Soubelet, au sujet de ce que vous avez dit tout à l’heure sur la préservation de l’environnement. Je suis tout à fait d’accord avec vous, je pense qu’il faut changer notre mode de consommation avec des produits biologiques ou locaux. J’ai une question : que faire lorsque les moyens ne sont pas forcément là ? Les prix du biologique descendent, mais ils restent quand même généralement supérieurs à ceux des produits des grandes enseignes. Le local est encore très cher, même pour les légumes et les fruits. Ça reste compliqué pour une bonne partie de la population d’acquérir ces choses-là. Moi, j’aimerais bien manger de la viande locale sachant que c’est vraiment meilleur, mais je n’ai pas vraiment les moyens pour manger ainsi. Qu’est-ce que vous préconisez dans ce cadre-là ?

Hélène Soubelet

Nous avons fait un colloque à la Fondation sur cette question des transitions alimentaires et de leur lien avec la biodiversité et la santé. En réalité, la différence de prix entre le panier de nourriture biologique et le panier non-biologique, c’est 20 %. C’est vrai que c’est 20 % de plus à payer pour le consommateur. Mais cette consommation induit de nombreux bénéfices, l’agriculture biologique protège l’environnement, notamment en diminuant la pollution, mais en réalité, quand on change d’alimentation pour passer à une alimentation bio, on réfléchit à son régime alimentaire. C’est là qu’on se rend compte que, dans notre civilisation occidentale, on consomme trop de viande. Donc on baisse aussi sa consommation de viande et on modifie les produits qu’on achète.

Au final, ce qui est constaté, c’est que pour le même apport calorique et nutritionnel, on a en fait une différence qui n’est que de 12 %. Mais cette différence, c’est uniquement les chiffres du prix du marché, ils ne reflètent pas le prix de la nourriture. Il faut bien comprendre que l’agriculture conventionnelle est fortement subventionnée par l’argent publique et que c’est ce qui explique que le prix est tiré vers le bas. On paie l’agriculture conventionnelle, tous. Même si vous consommez bio, vous payez avec vos impôts, parce que l’État a subventionné cette agriculture en lui permettant par exemple de ne pas réparer ses dégâts, comme la pollution des sols, la pollution de l’air, la destruction de la biodiversité. On paie aussi avec d’autres choses qui ne sont pas monétaires, par exemple la santé. Quand vous ne consommez pas bio, finalement, vous le payez avec votre santé. Il y a une grosse cohorte qui a été conduite par l’étude Nutrinet Santé qui démontre très clairement que quand on consomme un régime exclusivement composé d’aliments biologiques, on a 25 % de moins de risque de développer des cancers. Je pense que c’est un choix individuel qui doit nous conduire à nous interroger pour savoir s’il est normal de toujours diminuer le budget de notre panier alimentaire ? Depuis ces 30 dernières années, on paie de moins en moins cher pour se nourrir. Est-ce que c’est un bon choix pour notre propre santé ? Je ne parle même pas de la santé de nos enfants ou des générations futures qui auront une Terre complètement polluée par les pesticides. Je parle uniquement de notre propre santé. Il y a aussi des incidences sur l’obésité, le diabète… Il y a énormément de bénéfices à consommer bio pour soi-même, pour la biodiversité, pour l’environnement et pour tellement d’autres choses qu’en fait, cette affaire, je pense que le seul prix, est un très mauvais indicateur.

Question 3 : Jean-Luc Guichet

Bonjour, Jean-Luc Guichet, membre du conseil scientifique de la LFDA, professeur de faculté par ailleurs. Je suis enseignant-chercheur et je travaille sur la question de l’animal. J’ai une observation et une question. La première observation, c’est que je vois une sorte de tournant environnementaliste de la question animale qui pour moi est un signe de maturation de cette question, ainsi qu’une perspective plus pertinente qu’une perspective très individualisée, plutôt fondée sur la question seulement du droit. La deuxième chose est qu‘il y a une complexité théorique évidemment beaucoup plus forte sur la question, dont vous avez souligné l’importance, qui est celle de la connaissance fondamentale. Voici ma question : je trouve que c’est un peu embêtant d’insister sur des points qui sont des points de durcissement, des lignes de clivage et de confrontation sociale – il est très bien d’avoir pu souligner l’importance du point de vue de l’éleveur – et d’autres lignes qui pourraient être plus stratégiques. Est-ce que la question des zones humides, par exemple, n’est pas plus fondamentale que la question du loup ? Les zones humides, fondamentales dans les écosystèmes, subissent une raréfaction très forte depuis des années avec l’artificialisation des sols du terrain. Ce n’est pas seulement la destruction des amphibiens par exemple, mais aussi des points de repos pour les oiseaux migrateurs, pour toute la faune… Est-ce que la question du loup, qui est un point de durcissement des clivages sociaux, est aussi fondamentale que d’autres questions comme celles portant sur les abeilles, les insectes pollinisateurs, les zones humides ? Merci.

Laurence Parisot

Je ne crois pas qu’on ait mis en avant la question du loup pour faire une hiérarchie, c’était plutôt pour faire une illustration.

Jean-Marc Landry

 Je peux vous rejoindre. C’est vrai qu’aujourd’hui le loup est une espèce ambassadrice et une espèce parapluie. C’est vrai qu’on est beaucoup plus inquiets de la disparition de plein d’autres espèces, des zones humides, etc. Sauf que tout le monde s’en fout parce que personne n’en parle. Pour moi, le loup est un ambassadeur : il représente toutes les autres espèces. Je suis spécialisé sur ce sujet, j’essaye de tirer les gens en leur disant qu’aujourd’hui, on est capables de cohabiter avec des grands prédateurs sur un territoire. Je pense qu’on est capable de cohabiter avec des zones humides, avec des orthoptères et toutes les autres espèces. Je milite sur ces points. Au fond, si demain il n’y a plus de loup en Europe, c’est embêtant, mais s’il n’y a plus de zones humides, il n’y a plus d’orthoptères, il n’y a plus de pollinisateurs… C’est bien pire.

Concernant les pollinisateurs, on a eu une votation en Suisse récemment pour voter pour ou contre les pesticides. Les suisses ont voté pour les pesticides. On continue d’utiliser des pesticides pendant que les abeilles sont en train de disparaître. Pour moi, le loup met en lumière tout ça. C’est ce que j’essaie d’expliquer, que tout est lié. Je ne travaille que sur le loup et sa relation avec les humains. Le loup me montre qu’il y a d’autres problèmes sur la biodiversité et sur la modification du climat par exemple, et que tout est lié. Le loup est très proche de l’humain parce qu’on a eu une histoire avec le loup. C’est aussi notre miroir parce qu’on a posé sur le loup tous nos défauts. Il tue également plus qu’il ne peut consommer, mais c’est exactement ce qu’on fait en tant qu’humains. Aujourd’hui, on a un défi de taille qui est connu de tous et qui est très médiatique, c’est le loup. Essayons de résoudre ce problème-là parce que moi, ça me donne à un immense espoir pour tout le reste.

On parle de biodiversité. C’est pour ça que je suis venu aujourd’hui, c’est un message que je voulais vous faire passer. Je pense qu’il faut arrêter d’attendre des autres. Je pense que nous sommes la force et c’est nous qui allons changer le monde, ce n’est pas Macron, ce n’est pas par Parmelin, le président suisse. C’est nous. La première chose que je vois souvent, quand je donne des conférences, ce sont nos jardins, pour ceux qui en ont. Arrêtons de planter des espèces exotiques, plantons des espèces indigènes pour qu’on puisse avoir des réseaux dans nos jardins. C’est aussi simplement consommer différemment. Apprenons à cuisiner, par exemple avec des produits locaux si c’est possible.

Laurence Parisot

Nous allons arrêter là-dessus. La table ronde qui suit va approfondir sur le sujet des changements économiques. Voilà, merci beaucoup à vous deux. 


Lire les autres interventions :

 

ACTUALITÉS