
Produit star des fêtes, le foie gras revient en trombe dans les rayons. Mais derrière cette réussite commerciale se cache une réalité terrible : un procédé d’alimentation forcée provoquant une pathologie lourde et des souffrances avérées. À l’heure où plusieurs pays bannissent le gavage, la France persiste, au risque d’entretenir un paradoxe tenace entre culture gastronomique et exigences contemporaines de protection animale.
Une réalité biologique incompatible avec un état sain
À l’approche des fêtes de fin d’année, le foie gras occupe une place centrale dans la gastronomie française et dans l’imaginaire collectif. Souvent présenté comme un produit d’exception associé à la convivialité et à la tradition, il connaît même un net regain commercial. Au premier semestre 2025, les ventes de foie gras en grande distribution ont bondi de 55 % en volume par rapport à 2024, selon les données de la filière. Ce retour en force, largement commenté sur le plan économique, masque pourtant une réalité beaucoup moins visible, celle des conditions de production et de leurs conséquences pour les animaux. Derrière cette dynamique commerciale se trouve une pratique spécifique, le gavage, sans laquelle le foie gras n’existerait pas. Chaque année en France, près de 30 millions de canards et d’oies sont soumis à ce procédé. Le foie gras est d’ailleurs défini juridiquement comme le foie d’un canard ou d’une oie spécialement engraissé par gavage, ce qui rappelle qu’il ne s’agit pas d’un produit naturel, mais du résultat d’une intervention humaine volontaire visant à provoquer une hypertrophie extrême du foie.
Les données scientifiques disponibles sont univoques. Le foie gras n’est pas un foie normal. Le gavage provoque une stéatose hépatique pathologique, caractérisée par un grossissement massif du foie, saturé de graisses, accompagné d’altérations cellulaires incompatibles avec un état sain. Cette pathologie entraîne des perturbations métaboliques importantes et une altération des fonctions physiologiques essentielles de l’animal. Elle ne peut en aucun cas être assimilée à un simple phénomène d’engraissement comparable à ce qui peut être observé dans des conditions naturelles. Le procédé de gavage impose en outre une série de souffrances documentées. L’alimentation forcée, réalisée à l’aide d’une sonde introduite dans l’œsophage, entraîne du stress aigu, des lésions mécaniques de l’œsophage et du jabot, ainsi que des troubles comportementaux. L’augmentation excessive du volume du foie comprime les organes internes, ce qui provoque des difficultés respiratoires, une fatigue chronique, des troubles locomoteurs et une détresse physiologique globale. Ces constats sont étayés par des analyses scientifiques robustes et par plusieurs rapports européens officiels relatifs au bien-être animal.
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Le mythe du comportement naturel
Sur le plan éthologique, l’argument fréquemment avancé par la filière foie gras, et parfois relayé par les pouvoirs publics, selon lequel le gavage reproduirait un comportement prémigratoire naturel, ne résiste pas à l’analyse. Les canards utilisés pour la production de foie gras en France sont majoritairement des canards mulards, issus de croisements, qui sont sédentaires et ne migrent pas. Ils ne présentent donc aucun comportement naturel de constitution de réserves énergétiques en vue d’une migration. Leur imposer une alimentation forcée massive ne correspond à aucun besoin biologique ou comportemental.
S’agissant des oies, la comparaison est tout aussi trompeuse. Chez certaines espèces d’oies sauvages, un léger engraissement du foie peut être observé avant la migration, mais il reste limité et n’excède généralement pas un doublement de la taille du foie. Un tel engraissement demeure compatible avec un état de santé normal et avec la capacité de l’animal à voler. À l’inverse, le gavage tel qu’il est pratiqué dans la production de foie gras peut conduire à un foie jusqu’à dix fois plus volumineux, un état qui empêcherait tout envol et traduit clairement une situation pathologique. L’argument du comportement naturel relève donc d’une construction rhétorique sans fondement scientifique sérieux.
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La singularité française ou le déni de réalité
Sur le plan juridique, la production de foie gras s’inscrit dans un cadre particulièrement paradoxal. Le droit européen de la protection des animaux d’élevage repose sur des principes généraux clairs, notamment ceux énoncés par la directive 98/58/CE, qui impose aux éleveurs de prendre toutes les mesures raisonnables pour assurer le bien-être des animaux et éviter les souffrances inutiles ou évitables. Ce texte, comme d’autres instruments européens, reconnaît que les animaux sont des êtres sensibles dont les besoins biologiques et comportementaux doivent être respectés.
Pourtant, aucune directive européenne n’autorise explicitement le gavage. Plusieurs États ont cependant décidé d’interdire cette pratique, comme l’Allemagne, l’Italie, la Suède ou la Pologne. En dehors de l’Europe, des juridictions ont également pris position sur ce fondement. Aux États-Unis, l’État de Californie a interdit le gavage et la vente de foie gras issu du gavage, au motif que cette pratique constitue un acte de cruauté envers les animaux. La situation française apparaît d’autant plus singulière que le foie gras y bénéficie d’une reconnaissance symbolique et juridique comme élément du patrimoine culturel et gastronomique. Cette reconnaissance ne modifie toutefois ni la réalité biologique du gavage ni les principes juridiques généraux applicables à la protection des animaux.
Pour dépasser les idées reçues, un livret clair et rigoureusement sourcé, intitulé Le foie gras, une gourmandise au prix de la souffrance, a été publié par la LFDA afin de répondre aux questions essentielles relatives au gavage, à la réglementation et aux enjeux éthiques soulevés par cette production. Fondé sur des études scientifiques et des sources institutionnelles, il vise à permettre au public de disposer d’une information complète et accessible. Une version papier peut également être commandée.
La question du foie gras dépasse largement le cadre des fêtes de fin d’année. Elle interroge notre rapport aux animaux, la cohérence de nos choix alimentaires et la capacité du droit à évoluer à la lumière des connaissances scientifiques et des attentes sociétales. À mesure que ces attentes se renforcent et que le bien-être animal s’impose comme un enjeu juridique et éthique majeur, le maintien du gavage apparaît de plus en plus difficile à justifier. Repenser la place du foie gras, c’est engager une réflexion collective sur l’évolution nécessaire de nos traditions à la lumière de la science, de l’éthologie, du droit et de l’éthique.



