Prix de biologie Alfred Kastler 2017 de la Fondation Droit Animal, Éthique et Sciences

Le mardi 5 décembre 2017, le Prix de biologie Alfred Kastler 2017 a été remis par le président Louis Schweitzer à trois membres d’une unité de l’INRA de Jouyen-Josas, le Dr Mohammed Moudjou, le Dr Vincent Béringue et Jérôme Chapuis. La cérémonie de remise s’est déroulée à la Mairie du 5e arrondissement de Paris.

Les trois lauréats aux côtés de Louis Schweitzer et du Pr Nieoullon, neuroscientifique et président du jury. © Michel Pourny / LFDA

Ces chercheurs ont été honorés pour leurs travaux sur les maladies neurodégénératives, et plus spécialement sur l’amélioration qu’ils ont apportée à une technique d’amplification du prion mise en œuvre dans les années 2000 par Claudio Soto. Si cette technique améliorée nécessite encore d’utiliser le tissu cérébral de souris, elle permet de n’utiliser que le cerveau d’une seule souris au lieu des 3 à 400 animaux nécessaires dans la technique initiale. De plus, en utilisant des extraits de cerveau de souris ou de cellules en culture comme milieu de prolifération du prion, elle permet d’analyser une centaine d’échantillons en seulement 3-4 jours. Cette méthode permettra le diagnostic rapide des « maladies à prion » humaines (variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob) et animales (encéphalopathie spongiforme bovine – ESB, tremblante du mouton), ainsi qu’une réduction très importante de l’utilisation des animaux de laboratoire vivants.

L’équipe lauréate a été désignée parmi d’autres candidats par un jury scientifique, réuni le 13 octobre 2017, sous la présidence du Pr André Nieoullon, professeur émérite de neurosciences à l’université d’Aix-Marseille, ancien président de la Société française des neurosciences, spécialiste mondialement reconnu des maladies neurovégétatives. Outre son président, le jury comportait deux membres du comité scientifique de la Fondation, les trois titulaires des Prix Alfred Kastler de 1992, 2013, 2015, la directrice générale de l’Organisation mondiale de la santé animale, la secrétaire scientifique de la Commission nationale de l’expérimentation animal et du Comité national de réflexion éthique en expérimentation animale, et le directeur de Francopa, la plateforme française vouée au développement des méthodes alternatives en expérimentation animale.

Dans son allocution, le président Schweitzer a rappelé l’historique du Prix, et insisté sur la position et l’action de la Fondation qui constamment cherche à faire progresser à la fois l’éthique et la connaissance scientifique, et en particulier dans le domaine très sensible de l’utilisation expérimentale de l’animal, notamment avec la création de son Prix de biologie.

Ensuite le Pr Nieoullon a présenté les lauréats en indiquant leurs curriculums et leurs domaines personnels de recherche, convergeant au sein d’une équipe efficace. Il a particulièrement insisté non seulement sur la technique originale récompensée par le jury, mais aussi sur ce qu’elle laisse espérer, en adaptant son principe, la possibilité de diagnostics précis et précoces d’autres maladies neurodégénératives telles que la maladie de Parkinson, voire la maladie d’Alsheimer.

Le Dr Moudjou a fait une excellente présentation du travail de recherche, particulièrement compréhensible malgré la complexité de la démarche scientifique illustrée de projections très explicatives, qui a été très applaudie par l’auditoire, dans lequel ont été notées les présences du député Loïc Dombreval et de Philippe Lazar, ancien président de l’Inserm et membre du Comité d’honneur de la Fondation.

Après quoi, M. Schweitzer a remis un diplôme à chacun des trois scientifiques, ainsi qu’un chèque de 4 000 € en récompense du travail de recherche de leur équipe.

Rappelons que le Prix de biologie Alfred Kastler est destiné à encourager la recherche et l’application de méthodes évitant l’utilisation expérimentale de l’animal. Il a été fondé en 1983 pour montrer la voie à suivre et refuser d’intervenir dans les affrontements outranciers du moment, entre antivivisectionnistes et milieux de la recherche (*). Il a été dédié en 1984 à la mémoire du professeur Alfred Kastler, prix Nobel, membre de l’Institut, cofondateur de la LFDA et son président de 1979 à 1984.

Le tout premier Prix a été décerné en 1985 lors d’une séance solennelle à l’Institut de France, à laquelle M. Hubert Curien alors ministre de la Recherche et de la Technologie s’était fait représenter. L’année suivante, la directive européenne de 1986 et à sa suite le décret de 1987 et les arrêtés de 1988 ont imposé comme condition fondamentale à l’utilisation expérimentale de l’animal, l’absence de  méthode permettant de l’éviter. Notre choix prémonitoire de 1983 s’en trouvait justifié. Les prix se sont succédés ensuite, attribués à des travaux de grande qualité dans des domaines variés, comme :

  • l’évaluation de traitement sur des nodules cancéreux humains en culture in vitro (1985),
  • l’évaluation de l’hépatotoxicité sur des hépatocytes isolés en suspension (1987),
  • la production par des micro-organismes de traceurs immunitaires (1992),
  • l’étude non traumatisante de chauves-souris nectarivores (1996),
  • l’évaluation de traitement par chimiothérapie sur les cellules cancéreuses colorectales humaines en culture (2011),
  • la formation à la technique chirurgicale sans utilisation d’animal vivant (2013),
  • l’élevage in vitro de tiques infectieuses (2015).

Sans nullement négliger l’importance de la réduction du nombre des animaux et du raffinement des pratiques également prescrites par la directive européenne du 21 octobre 2010 et la réglementation française de 2013 qui en découle, la Fondation met en avant le remplacement de l’animal, car pour respecter à la perfection son bien-être et lui épargner totalement douleur, souffrance et angoisse, n’est-ce pas avant tout de chercher à ne pas l’utiliser ?

À l’occasion du récent Prix de biologie Alfred Kastler, la Fondation Droit Animal, Éthique et Science remercie ses donateurs dont la générosité et elle seule, de leur vivant comme au-delà, lui permet de mettre à l’honneur les chercheurs et leurs travaux, et remercie également les instituts et les organismes qui contribuent à une large diffusion des appels à candidatures au Prix Kastler, et tout particulièrement Francopa, la Plateforme française pour le développement des alternatives en expérimentation animale.

Note

La polémique des années 1970/1980 se perpétue aujourd’hui. En témoignent les récentes publications dans la presse de tribunes confrontant les deux points de vue. Les excès déraisonnables continuent à s’affronter.

D’un côté les chercheurs les plus éminents (1) s’abaissent à ne voir dans la remise en question de l’utilisation expérimentale de l’animal que l’œuvre de « nouveaux prophètes » et de « groupuscules, déguisés en lanceurs d’alerte » usant d’une « communication très contestable (vidéos volées, puis assemblées, propos coupés et déformés, slogans diffamatoires) ».

De l’autre, les tenants des « sciences humaines » (article disponible ici) font montre notamment d’une suspicion systématique à l’encontre des milieux de la recherche, impliqués selon eux dans une routine obscurantiste et pris dans un conflit d’intérêts généralisé, les évaluations préalables à tout projet expérimental étant rendues entre complices, en illustration du vieux proverbe on n’est jamais mieux servi que par soi-même et comme manifestation criante de déni de démocratie scientifique. Une opinion diffamatoire qui mériterait une mise au point cinglante du Comité national de réflexion éthique. Et les signataires de cette tribune montrent leur grande faiblesse scientifique en prenant quelques exemples de « substitution » réussie pour règle générale, un discours partagé par les abolitionnistes enkystés.

En somme au bout de près de 50 ans, on en est toujours à l’affrontement immature. Les scientifiques signataires de la première tribune ont eu au moins le mérite de montrer du doigt l’ignorance générale du public à l’égard de ce qu’impose la réglementation en vigueur, et l’on ne peut qu’approuver ce qu’ils en disent :  « La recherche en 2017 n’a pas grand chose à voir avec celle menée jusque dans les années 80. Les pratiques ont évolué, allant de pair avec l’évolution des connaissances et de la place de l’animal dans la société et notamment la meilleure compréhension de sa sensibilité (les animaux sont considérés comme des êtres sensibles depuis 1976 dans le code rural), avec un tournant depuis la transposition de la directive européenne 2010/63 ». Et les uns et les autres finissent par reconnaître que s’il existe bien des méthodes «  substitutives  », elles sont encore en nombre très insuffisant, et qu’il faudra attendre qu’elles se multiplient, s’ajoutent, se complètent, se vérifient, pour oser dire que l’on pourrait déjà épargner totalement l’animal, sans passer comme encore aujourd’hui pour un plaisantin amateur et irresponsable. D’ailleurs, serait-on parvenu à ce stade, que continuerait à être nécessaire la recherche fondamentale, propre à élucider et comprendre les mystères de la vie.

Jean-Claude Nouët

  1. http://www.liberation.fr/debats/2017/11/30/assez-de-caricatures-sur-l-experimentation- animale_1613661
  2. http://www.liberation.fr/debats/2017/12/08/experimentation-animale-une-controverse-scientifique_1615363

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