Expérimentation animale : la frustration des chiffres

En ce début d’année 2024, le ministère de la Recherche a publié les dernières statistiques disponibles relatives à l’utilisation d’animaux dans le cadre de l’expérimentation animale.

Journée mondiale des animaux de laboratoire

Les données présentées concernent l’année 2022 et prennent en compte tous les animaux sortis d’une procédure expérimentale sur cette période. Si l’on constate une hausse des utilisations d’animaux par rapport à l’année précédente, elle s’explique par le fait qu’une nouvelle catégorie d’animaux est désormais prise en compte dans les statistiques : il s’agit des animaux ayant subi des procédures invasives pour modifier leur génotype afin de les utiliser dans un projet de recherche et qui n’ont finalement pas été utilisés.

Ainsi, le nombre officiel d’animaux utilisés dans des procédures expérimentales en 2022 s’élève à 2 128 058. Si l’on retire les animaux qui n’étaient auparavant pas comptabilisés, on tombe à 1 802 025 utilisations d’animaux, soit 4,9 % de moins qu’en 2021. C’est toujours ça de pris. Cependant, ne nous réjouissons pas trop vite : la baisse n’est pas significative et entre 2019 et 2021 (2020 n’étant pas représentative car chamboulée par les confinements dus à la crise de la Covid-19), une hausse d’environ 1,5 % a été constatée. En outre, de nombreux autres animaux n’apparaissent pas dans ces chiffres (voir l’article « Expérimentation animale : légère baisse du nombre d’animaux utilisés en 2019 » dans la revue n° 110).

Toujours les mêmes espèces favorites des chercheurs

Comme chaque année, la souris est l’espèce la plus utilisée dans les laboratoires : 1,4 million, soit 66 % des utilisations. Suivent les poissons (9 %), les lapins (9 %) et les rats (8 %). L’utilisation de primates a augmenté : 4147 en 2022 contre 3593 en 2021. Parmi ces utilisations, 3021 impliquent des primates utilisés pour la première fois – une partie des animaux pouvant être utilisée pour plusieurs expériences.

Si 97 % des animaux proviennent d’élevages européens, pour les 3 % restants, le ministère explique qu’il s’agit « par exemple de lignée de souris transgéniques en provenance de grands éleveurs américains ». Mais on constate également que 526 chiens, 27 chats et 28 furets font partie des animaux nés en dehors de l’Union européenne. Pour ce qui est des primates non réutilisés, 64 % proviennent de l’Île Maurice, 19 % d’Asie et 1,5 % d’Amérique. Le primatologue Cédric Sueur dénonçait dans ces colonnes le transport de primates pour la recherche (voir l’article « L’arrêt du transport de macaques par Air France peut ouvrir des perspectives scientifiques et éthiques pour une meilleure recherche française » dans la revue n° 114).

Statistiques animaux de laboratoire

Toujours trop de souffrance

Les espèces qui sont les plus réutilisées dans des expériences sont des gros mammifères : singes, notamment les macaques rhésus (62 % sont réutilisés), les équidés (84 %), les chats (68 %), les chiens (44 %), les chèvres (71 %) et les bovins (29 %).

Nous nous alarmons tous les ans de la sévérité des procédures que subissent les animaux, qui détermine leur niveau de souffrance. En 2022, toujours 12 % des utilisations d’animaux impliquent des procédures sévères. Ce sont deux points de moins que l’année précédente, mais cela reste trop. Cela concerne par exemple 162 345 utilisations de souris, mais aussi 225 de chiens, 221 de primates et 96 de céphalopodes. Pour le reste, 41 % des utilisations sont des procédures de sévérité modérée, 42 % de sévérité légère et pour 5 %, l’animal est endormi et n’est pas réveillé.

Ce qui peut aussi impliquer une souffrance importante pour les animaux, c’est la sélection génétique qui a entrainé un phénotype dommageable chez eux, c’est-à-dire des caractéristiques qui altèrent gravement leur état général. Cela concerne 5 % des utilisations d’animaux, dont par exemple 33 chiens, cinq moutons, 39 porcs ou encore 4 022 poissons-zèbres.

Toujours les mêmes domaines d’utilisation

La recherche fondamentale reste le premier domaine d’utilisation d’animaux à des fins scientifiques (39 %), stable par rapport à l’année précédente (38 %). Viennent ensuite les tests toxicologiques et réglementaires (24 %) et la recherche appliquée (23 %). L’enseignement et la formation représente 1,7 % des utilisations. Du fait de la nouvelle catégorie d’animaux pris en compte dans les statistiques, que nous avons mentionnée en début d’article, la maintenance d’effectifs d’animaux représente 10,6 % des utilisations en 2022, contre 3,7 % en 2021. En ce qui concerne la préservation des espèces, 99 % des utilisations impliquent des poissons.

Pour revenir aux tests d’innocuité des produits, 231 113 utilisations d’animaux répondent à des exigences législatives ou réglementaires : 67 % pour les médicaments et vaccins à usage humain, 14 % pour les médicaments et vaccins à usage vétérinaire, 11 % pour les appareils médicaux comme les prothèses (57 % des utilisations impliquent des cochons d’Inde), 7 % pour l’industrie chimique (les deux-tiers concernent des rats) et 2 % pour les produits phytosanitaires (rats et souris) et biocides (61 % utilisent des poissons zèbres).. Les utilisations d’animaux pour des tests requis par la loi ou la réglementation représentent 11 % du total des utilisations.

Domaines d'utilisation des animaux de laboratoire

Lire aussi : « L’expérimentation animale en question – Accélérer la transition vers une recherche sans animaux »

Conclusion

Le remplacement, la réduction de l’utilisation d’animaux à des fins scientifiques et le raffinement des méthodes expérimentales (le fameux principe des 3R) est une œuvre au long cours. La trop faible baisse des statistiques de l’expérimentation animale est source de frustration, année après année, pour les défenseurs des animaux. Il faut creuser sous la surface de ces statistiques froides pour y déceler des réalités peu réjouissantes. Quand on s’y attèle, on se rend compte que la tâche reste immense. Mais nous n’abandonnerons pas. Nous le devons aux animaux sacrifiés pour la science, à ceux qui participent actuellement à des projets de recherche et à tous ceux qui y prendront encore part dans le futur.

Nikita Bachelard

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