Chaque année, nous les attendons avec un mélange d’impatience et d’inquiétude: les statistiques sur l’utilisation des animaux à des fins scientifiques en France pour l’année 2020 sont en baisse par rapport à l’année précédente. Malgré tout, le nombre d’animaux sensibles concernés ne diminue pas de façon significative dans notre pays.
Près de huit millions d’animaux utilisés dans les laboratoires européens en 2020
La fin de l’expérimentation animale est-elle possible ? Si elle représente un objectif, elle n’est clairement pas pour tout de suite. Les dernières données disponibles pour l’Union européenne (UE), à laquelle s’ajoute la Norvège, qui est soumise à la même législation que les États membres, proviennent de l’année 2020, année de pandémie et des premiers confinements. Malgré une légère baisse du nombre d’animaux utilisés pour la première fois par rapport à l’année précédente, les données suggèrent que les animaleries des laboratoires ne sont pas près d’être vides.
L’impact de la Covid-19
Le nombre d’animaux utilisés pour la première fois dans une procédure expérimentale s’élevait en 2020 à 7 938 064, soit 24 % de moins qu’en 2019. Mais attention, pour la première fois depuis que les statistiques de l’expérimentation animale sont relevées, le Royaume-Uni n’était plus comptabilisé dans les données, puisqu’il a quitté l’UE. Ainsi, en enlevant le Royaume-Uni des données de 2019, la baisse n’était en fait que de 9 %. Cette baisse est bienvenue, mais le contexte invite à la prudence. En effet, l’année 2020 a été marquée par un arrêt brutal et prolongé de l’activité de nombreux laboratoires, par la faute des confinements liés à la pandémie de Covid-19 mis en place dans de nombreux pays et par le report de certains projets de recherche. Ce contexte explique, au moins en partie, la baisse du nombre total d’animaux utilisés cette année-là.
Toutefois, la recherche de vaccins contre la Covid-19 peut aussi expliquer la hausse d’utilisation d’animaux dans certains pays. Ainsi, 16 États membres, dont la France, ont enregistré une chute du nombre d’animaux utilisés et 11 ont relevé une hausse. Par exemple, le Danemark a indiqué avoir réalisé des tests sur des visons, en lien avec leur infection à la Covid-19. La Lettonie a indiqué avoir réalisé une expérience sur les chats pour connaître la transmission potentielle du virus de la Covid-19 entre les humains et leurs compagnons félins. Les Pays-Bas expliquent aussi la hausse de leur utilisation de chiens, chats, furets, macaques et hamsters par cette raison.
Les principaux pays utilisateurs
En 2020, l’Allemagne et la France conservent la première et la deuxième place du podium des plus gros utilisateurs européens d’animaux dans des procédures expérimentales, avec respectivement 1,49 et 1,48 millions d’animaux utilisés. En 2019, le Royaume-Uni était le troisième plus gros utilisateur d’animaux pour l’expérimentation dans l’Union. Il cède désormais sa place à la Norvège. À eux trois, ces pays représentent 55 % des utilisations d’animaux en Europe.
Les espèces les plus représentées dans les laboratoires européens
Les espèces animales les plus représentées dans les laboratoires de l’Union sont les souris, avec près de 3,9 millions, suivies par les poissons (2,2 millions), les rats (665 000), les oiseaux (510 000) et les lapins (344 000). Les primates étaient 4 784 à être utilisés pour la première fois dans une expérience.
Presque 117 000 procédures ont utilisé des animaux qui avait déjà pris part à une expérience auparavant. La réutilisation est réglementée : les animaux doivent être dans un état satisfaisant pour subir une nouvelle expérience.
Les domaines d’expérimentation
Les domaines d’utilisation sont variés. La plus grande utilisation d’animaux est faite par la recherche : 41 % pour la recherche fondamentale et 31 % pour la recherche appliquée. Cependant, la Commission européenne note des difficultés dans la déclaration des expériences, avec une utilisation trop importante des catégories « autres recherches fondamentales ». Cela limite grandement l’analyse des sous-domaines concernés par l’utilisation d’animaux, comme la neurologie, l’éthologie, l’oncologie, etc. La Commission a révisé les méthodes de déclaration dans une décision d’application prise en 2020, afin de remédier à ces problèmes de transparence. Nous en verrons le résultat au prochain recensement.
Les 28 % restants se répartissent entre les tests d’innocuité requis par la réglementation européenne (17 %), la production de produits de routine – par exemple, les anticorps monoclonaux – (5 %), la protection de l’environnement, l’enseignement, la préservation des espèces et les enquêtes médico-légales (5 %). Les tests requis par les autorités européennes concernent la mise sur le marché de médicaments à usage humain (54 %), à usage vétérinaire (23 %) et l’industrie chimique, pour les produits ménagers et les produits phytosanitaires notamment (9 %).
Des tests inutiles toujours réalisés
Dans l’Union, certains tests, comme les tests pyrogènes sur les lapins, continuent à être réalisés dans certains cas, alors que des alternatives existent et sont validées par les autorités européennes. À l’instar de ce que nous indiquions pour l’année 2019, la France reste le principal coupable dans ce domaine.
La Commission européenne note que le recours à ces tests, qui causent de grandes souffrances, diminue, mais que des efforts doivent encore être accentués pour se passer totalement des animaux.
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Tenu par la législation européenne de rendre public les statistiques sur l’expérimentation animale chaque année, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a publié récemment – toujours avec un retard – celles pour l’année 2021 en France. Alors qu’en 2020, le nombre d’animaux utilisés dans les laboratoires français avait chuté de 12 %, à cause de la pandémie de Covid-19, atteignant 1,6 million d’animaux, l’expérimentation animale augmente en 2021.
L’expérimentation animale repart à la hausse en France en 2021
Les dernières statistiques révèlent que près d’1,9 million d’animaux ont été utilisés dans une procédure expérimentale pour la première fois, soit +15 % par rapport à 2020, et +1,5 % par rapport au niveau avant Covid-19.
Les modèles animaux
À l’image des données pour l’Union européenne, les souris sont les animaux les plus nombreux dans les laboratoires français : 1,15 million, soit 61 % du total des animaux utilisés. Les poissons arrivent en deuxième position (199 000). Les lapins raflent la troisième place (172 000), suivis par les rats (165 000). Pourtant, selon un sondage Ipsos pour One Voice réalisé en avril 2023, 65 % Français interrogés souhaitent l’interdiction des tests sur les rongeurs.
Les chiens et les chats sont aussi utilisés, malgré l’opposition massive de 85 % des Français : les canidés sont 4 383 à subir des expériences, et les félins, 1 018.
On dénombre également des animaux de ferme : poules et poulets (77 500), cochons (15 000), dindons (13 900), moutons (4587), bovins (1906).
L’augmentation du nombre de céphalopodes (pieuvres, seiches) est spectaculaire : +279 % comparé à 2020 et multiplié par 11,8 par rapport à 2019.
Quant aux singes, ils sont 2 819 à avoir été utilisés pour la première fois en 2021, auxquels s’ajoutent des primates qui avaient déjà pris part à des expériences dans les années précédentes. Une partie des procédures impliquant des macaques à longue queue concernait l’évaluation des vaccins et le traitement contre la Covid-19. Selon le sondage déjà évoqué, 81 % des personnes interrogées souhaitent l’interdiction de l’expérimentation sur les singes.
Parmi les personnes interrogées dans ce sondage, 55 % se prononcent pour l’arrêt des tests sur les insectes. Même si ces derniers n’ont pas à être comptabilisés dans les statistiques sur l’expérimentation animale, mouches, vers nématodes et autres petites bêtes subissent aussi des tests. Les milieux scientifiques considèrent qu’ils sont des modèles de remplacement des animaux sentients. Nous ne pouvons pas considérer que remplacer un animal par un autre animal, même si sa sensibilité n’est pas encore avérée, est une méthode de remplacement à l’expérimentation animale.
L’origine des animaux de laboratoire
La plupart des animaux (87 %) viennent d’élevages agréés dans l’Union européenne. Il s’agit d’élevages d’animaux destinés à l’expérimentation qui ont reçu un agrément de la part des autorités car ils respectent les normes d’hébergement édictées par la législation européenne sur la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques. Dix pour cent (10 %) des animaux proviennent d’élevages de l’UE non agréés, par exemple parce qu’ils sont des fournisseurs occasionnels (fermes). Les animaux nés hors de l’UE représentent 3 % des animaux. Leurs conditions d’élevage ne sont pas contrôlées et les animaux subissent un temps et des conditions de transport néfastes à leur bien-être. Toutefois, selon le ministère de la Recherche, 96 % des animaux nés hors de l’UE sont des poissons sauvages qui ont pris part à des expériences dans le cadre de programmes liés à l’étude de l’environnement et à la conversation des espèces.
La France héberge des élevages d’animaux destinés à l’expérimentation animale. Certains défrayent souvent la chronique car ils font l’objet de manifestations par des militants de la cause animale : le centre d’élevage de beagles des Souches, dans l’Yonne, propriété de l’entreprise Marshall BioResources, et le centre de primatologie de l’université de Strasbourg, en périphérie de la ville. Les primates, justement, sont majoritairement nés en Afrique (65 %), puis en Asie (25 %), dans l’Union (14 %) et enfin, en Amérique (1 %).
Selon le sondage Ipsos précédemment cité, 85 % des Français interrogés réclament l’interdiction des élevages de chiens destinés à l’expérimentation animale en France. Pour les élevages français de singes, ils sont 80 % à vouloir leur fermeture. De plus, 81 % souhaitent l’interdiction de la capture de macaques en Asie et leur envoi en France pour l’expérimentation animale, une pratique qui a pourtant lieu selon une enquête de l’association One Voice.
La sévérité des procédures
La France se distingue de ses voisins européens par le nombre de procédures sévères pratiquées par les expérimentateurs. Ces procédures causent d’extrêmes souffrances ou des souffrances prolongées aux animaux. En 2020, elles représentaient 10 % des utilisations d’animaux dans l’UE, soit 797 000. La France en a réalisé 28 %, versus 8 % pour l’Allemagne et 10 % pour la Norvège. En 2021, les procédures sévères représentaient encore 14 % du total de procédures expérimentales dans les laboratoires français. Elles sont subies majoritairement par des souris (68 %), puis par des poissons (21 %) et des rats (9 %).
Conclusion
Les données statistiques françaises de l’année 2021 ne sont pas vraiment encourageantes, comme le montre le nombre toujours important de procédures sévères réalisées dans le pays, ainsi que l’augmentation du nombre totale de procédures, y compris par rapport au niveau précédant la pandémie. La France, ainsi que le reste de l’Union européenne, peuvent et doivent faire mieux.
Nikita Bachelard