Bouquetins du Bargy: première victoire avec la suspension de l’abattage indiscriminé

Depuis 2013, ce sont plus de 480 bouquetins qui ont été éliminés dans le massif du Bargy, en Haute-Savoie, dont 134 après capture par l’Office français de la biodiversité (OFB – ex ONCFS) et test sérologique. L’histoire est longue et pleine de rebondissements, mais à la fin, la ligne de conduite adoptée par les services de l’État a une constante : abattre une partie des bouquetins de façon indiscriminée, c’est-à-dire sans tester au préalable leur santé.

© Bouquetins Corentin Perroux

Un risque de brucellose très réduit, un abattage y compris des animaux sains

Il leur est reproché d’être porteurs de la brucellose, ce qui est vrai aujourd’hui pour environ 20 % d’entre eux en zone cœur du massif (et donc beaucoup moins sur l’ensemble), et ainsi d’être un risque de contamination pour l’élevage bovin local, lui-même maillon important de l’économie du Reblochon. Les éleveurs, fromagers fermiers et fromagers industriels, craignent ainsi de perdre le caractère « exempt de brucellose » de toute la région (la carte « AOP Reblochon » couvre une bonne partie du département).

Depuis 2012, date à laquelle la brucellose a été détecté chez deux enfants, à la suite de la contamination d’un troupeau, plus aucun cas n’a été détecté.

Il est à noter que le Conseil national de protection de la nature (CNPN) a évalué le risque de transmission de la brucellose au cheptel domestique de « quasi-nul » à « minime ». Et en 2016, une lettre de cadrage1 claire et sans équivoque avait été adressée par le ministère de l’Écologie au préfet, selon laquelle les bouquetins sains devaient être préservés, et seuls les animaux séropositifs euthanasiés. Malgré cela, les services de l’État persistent dans l’abattage indiscriminé des bouquetins. Quatre bouquetins abattus sur cinq sont des animaux parfaitement sains ! Parmi les 21 bouquetins capturés cette année, aucun n’est porteur de la brucellose.

Une ferme opposition locale aux tirs

Les consultations successives montrent que la population est attachée à ses bouquetins, avec plus de 80 % d’oppositions aux arrêtés de tirs de bouquetins en moyenne (cf. les synthèses de consultations). De plus, la population locale, les randonneurs, des accompagnateurs en moyenne montagne, se sont mobilisés en 2015 et 2016 pour signifier leur opposition aux tirs par divers moyens, et au prix d’interpellations parfois musclées. Rien n’y a fait, la politique de tirs a été poursuivie, au grand dam des habitants, comme le montre un reportage récent au Reposoir et au Mont-Saxonnex. 

Première victoire devant le tribunal administratif

Le tribunal administratif de Grenoble, dans son ordonnance du 20 août 2020, a donné raison à l’association Animal Cross qui attaquait en référé l’arrêté préfectoral du 29 mai 2020 (qui ordonnait l’abattage indiscriminé de 60 bouquetins pour la période 2020-2022). En effet, la dérogation à la protection d’espèces protégées n’est possible que « s’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante » (article L411-2 du code de l’environnement). En d’autres termes, les solutions autres que l’abattage n’ont pas été explorées par la préfecture, alors que celles-ci sont décrites dans différents rapports du CNPN depuis 2013.

Ce sont ainsi 20 bouquetins qui ont été sauvés cette année, et potentiellement 40 autres les deux années suivantes. Il reste aux avocats d’Animal Cross à se préparer pour le jugement du « fond ».  Une victoire dans un jugement en référé, particulièrement difficile à obtenir, laisse espérer un jugement positif sur le fond quelques mois plus tard.

Les pistes abandonnées depuis 2019

La piste de la vaccination, qui était prometteuse pour garantir une saine évolution de l’espèce dans le temps, a dû être abandonnée. En effet, dans son avis du 5 juillet 2019 relatif à l’évaluation de la pertinence de la vaccination, l’ANSES a conclu que « [… ] la mise en place d’une vaccination aurait un impact négatif important sur la surveillance sanitaire et la gestion du foyer dans la population de bouquetins ». En somme, on ne sait ni vacciner, ni soigner la brucellose auprès des bouquetins.

Alors que peut-on faire ?

Une partie des troupeaux ovins du Bargy vient chaque année des Hautes-Alpes, et ils n’y sont pas parqués. Même s’il existe des processus prophylactiques des bovins, ovins et caprins (par échantillonnage seulement…), il est légitime de se demander si ceux-ci sont testés avant de rejoindre la Haute-Savoie.

ANSES et CNPN ont recommandé, en plus des parcs, de « gérer les rotations de pâtures lors de la première mise à l’herbe : les quelques parcelles à risque, car fréquentées par les bouquetins au printemps lors de la repousse de l’herbe, devraient être occupées en seconde intention. Si une impossibilité se présentait, l’alternative est une installation précoce et temporaire de clôtures adaptées (3 fils, hauteur supérieure à 2 mètres) ». Arguons qu’ici comme pour d’autres sujets liés à la protection de la faune sauvage, la belle alliance Préfecture/Direction départementale des Territoires (DDT) /Chasseurs/Éleveurs va conclure à l’impossibilité de cet effort en vue de la préservation des bouquetins, selon l’axiome d’improtégeabilité si cher à la DDT.

Reste posée, sur ce sujet aussi, la question de la mise en place effective des recommandations de l’OFB et de l’ANSES. Pour les bouquetins comme pour le loup, on peut craindre qu’il n’y ait aucun contrôle de la réalité sur le terrain des mesures préconisées.

Quel avenir pour notre faune ?

Entre la chasse et les zoonoses pouvant affecter l’homme et son économie, la place dévolue à la faune sauvage est plus que réduite. Pourtant, les alertes, telles celle de la plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IBPES) ou encore de spécialistes du wilderness comme Gilbert et Béatrice Cochet et Jean-Claude Génot, ne manquent pas, les effets de manche gouvernementaux non plus, mais la réalité du terrain montre concrètement qu’à la fin, on abat notre faune comme des arbres qui gênent notre passage.

Il faut réaffirmer sans cesse le principe que « Le milieu naturel des animaux à l’état de liberté doit être préservé afin que les animaux puissent y vivre et évoluer conformément à leurs besoins et que la survie des espèces ne soit pas compromise » (art. 1, Déclaration des droits de l’animal), ce qui signifie que dans ce milieu naturel, l’animal sauvage a une priorité sur l’homme, ses activités et ses animaux domestiques.

P. S., administrateur de Animal Cross (Pascal Sourdin)

[1] Lettre du 12 mai 2016 du ministre de l’Environnement, de l’Energie et de la Mer, du ministre de l’Agriculture, et de la secrétaire d’Etat chargée de la Biodiversité, à M. Georges-François Leclerc. Retour

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