Remise en cause de l’interdiction de l’expérimentation animale en cosmétologie ?

Depuis 2013, dans l’Union européenne, les entreprises de cosmétiques n’ont plus le droit de tester sur des animaux vertébrés des produits cosmétiques ou des ingrédients utilisés dans la composition des produits, ni de commercialiser des produits qui ont été ou dont un ingrédient a été testés sur des animaux. Évidemment, puisqu’il existe un potentiel risque sanitaire lié à la toxicité d’un produit chimique, des exemptions sont possibles.

maquillage cosmétique

Au mois d’août 2020, la Chambre de recours de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) a rendu une décision concernant l’appel d’une décision d’un fabricant de produits cosmétiques allemand Symrise AG. Elle a décidé que Symrise AG devait effectuer des tests sur des animaux afin de déterminer la toxicité potentielle de deux substances pourtant uniquement utilisées dans des produits cosmétiques : homosalate et 2-ethylhexyl salicylate.

L’objet de la décision de l’ECHA

Une polémique a commencé à enfler, notamment outre-manche et à Bruxelles, après la parution d’un article du Daily Mail titrant : « New EU rule says cosmetics MUST be tested on animals despite the chemicals being used in hundreds of ‘cruelty free’ products supported by ambassadors such as Leona Lewis » (Une nouvelle règle de l’UE dit que les cosmétiques DOIVENT être testés sur des animaux malgré que les produits chimiques soient utilisés dans des centaines de produits labellisés « sans cruauté » soutenus par des ambassadeurs telle que Leona Lewis). Pour l’association PETA, l’interdiction de tests sur des animaux en cosmétologie est mise à mal. Qu’en est-il exactement ?

Un désaccord était survenu en 2018 entre l’entreprise Symrise AG et l’ECHA au sujet des tests de toxicité des substances précédemment citées. Symrise a estimé que des tests utilisant des méthodes alternatives et les données déjà connues sur ces substances étaient suffisants pour prouver la non-toxicité de ces substances utilisées dans la fabrication de crèmes solaires. L’ECHA a demandé que des tests de toxicité sur animaux soient réalisés pour assurer la sécurité des travailleurs en contact avec ces deux substances mais l’entreprise a fait appel de cette décision. Finalement, la Chambre des recours a rendu deux décisions le 18 août 2020 (une pour chaque substance) réfutant l’appel de l’entreprise et la sommant de réaliser les tests sur des rats, des lapins et des poissons. L’agence s’inquiète notamment de la possibilité que la substance 2-ethylhexyl salicylate soit un potentiel perturbateur endocrinien.

PETA, qui intervenait comme soutien à l’entreprise dans l’affaire, estime que ces décisions sont contraires au règlement sur les produits cosmétiques et s’inquiète des potentielles répercussions que ces décisions pourraient avoir sur les autres entreprises qui devraient aussi tester des substances sur des animaux.

Le règlement REACH et l’interdiction de tester des cosmétiques sur les animaux

Pour y voir plus clair, rappelons en substance les normes européennes en matière de tests sur les animaux pour tester la toxicité des produits chimiques.

  • Le règlement REACH réglemente l’utilisation des produits chimiques.
  • Tous les produits chimiques utilisés dans l’UE à toute fin doivent être testés pour vérifier leur innocuité.
  • Les tests peuvent se faire à l’aide de méthodes alternatives et s’il n’en existe pas, avec des animaux vivants.
  • Le règlement sur les produits cosmétiques interdit quant à lui de tester des produits cosmétiques et leurs ingrédients sur des animaux et de commercialiser des produits qui ne respecteraient pas cette règle. Les substances chimiques et les produits finis doivent donc être testés à l’aide de méthodes alternatives à l’expérimentation animale.

Cependant, le règlement sur les produits cosmétiques permet des exemptions : des tests sur animaux peuvent être réalisés pour tester une substance si celle-ci est soupçonnée d’être dangereuse pour les travailleurs qui sont en contact avec elle. Dans ces deux décisions, l’ECHA a donc estimé que les tests sans animaux n’étaient pas suffisants pour déterminer l’innocuité de ces deux substances pour les travailleurs. Les produits cosmétiques finis pourront quand même être commercialisés dans l’UE puisque cette exemption est prévue par le règlement européen sur les cosmétiques.

Conclusion

En clair, l’interdiction de tests sur les animaux pour les produits cosmétiques n’est pas remise en cause. Cette décision prend simplement en compte le règlement REACH qui impose des tests de toxicité et le règlement cosmétiques qui permet une exemption en cas de doute sur la sécurité des travailleurs. Les entreprises de cosmétiques devront continuer à utiliser des méthodes alternatives pour tester leurs produits.

Néanmoins, ces décisions s’éloignent quelque peu de l’article 13§1 du règlement REACH qui dispose : « En ce qui concerne la toxicité pour l’espèce humaine en particulier, les informations sont produites autant que possible par d’autres moyens que des essais sur des animaux vertébrés, par le recours à des méthodes alternatives, […] ou par l’exploitation de données sur des substances structurellement proches (regroupement ou références croisées) ». En effet, « les essais sur des animaux vertébrés réalisés aux fins du présent règlement ne sont effectués que s’il n’existe aucune autre solution » (article 25 §1). Il est donc décevant de voir la Chambre des recours de l’Agence européenne des produits chimiques aller dans le sens inverse de la réduction du nombre d’animaux utilisés pour les tests de toxicité des produits chimiques, surtout quand il s’agit de substances utilisées uniquement en cosmétologie. Le message envoyé est inquiétant ; il faut continuer sans relâche à se battre pour limiter l’expérimentation animale.

Nikita Bachelard

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