Un statut juridique pour l’animal: à quoi bon?

Les deux auteurs réfléchissent au statut juridique de l’animal et à sa pertinence en droit français dans l’objectif de mieux protéger les animaux.

Vache au pré

L’animal en quête d’un statut?

Le statut de l’animal, toujours inachevé, se situe au carrefour d’une réflexion à la fois historique, philosophique, scientifique et de plus en plus éthique.

S’il en résulte comme le soulignait déjà le rapport Antoine[1] que « les animaux sont de plus en plus protégés pour eux-mêmes » (p. 37), c’est en raison non seulement de la découverte de leur propre sensibilité, mais également de l’évolution du lien d’affection que l’homme entretient avec les animaux.

Certes, le législateur a fait évoluer leur statut en insérant dans le code civil un nouvel article 515-14 aux termes duquel « les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité », mais il ne crée aucunement une troisième catégorie entre les personnes et les choses. Et si les animaux, par ailleurs dépourvus d’une définition juridique, ne sont plus des meubles par nature, ils ne bénéficient pas du statut des personnes. Ils restent soumis au régime des biens. Leur condition juridique n’évolue pas fondamentalement. L’animal désormais être vivant doué de sensibilité n’en demeure pas moins un objet d’appropriation, une source d’enrichissement et parfois de responsabilité pour son gardien. Il n’est pas pour autant abandonné aux caprices des hommes, car, même lorsqu’il était un bien, des lois assuraient sa protection.

Dès lors, est-il pertinent de conférer un statut à l’animal ? Autrement formulée, la question du statut de l’animal est-elle une condition absolue de sa protection ? Et pour quels apports supplétifs ?

Pour répondre à cette légitime première interrogation, retour sur un concept en cours.

Protéger l’animal indépendamment d’un statut?

« L’hétérogénéité de(s) régimes juridiques applicables aux animaux » incluant désormais les notions de « sensibilité » et de « bien-être », ne permet pas la constitution d’un véritable droit international animalier qu’aucun code ne rassemble d’ailleurs[2]. Si le droit international, bien que modeste, a incontestablement aiguillonné de nombreuses règlementations nationales[3], ce mérite revient principalement au droit européen qui « apparaît comme le moteur essentiel de l’élaboration d’un droit moderne de l’animal » (Suzanne Antoine, 2005).

Le Conseil de l’Europe qui, dès 1949, ambitionnait de promouvoir les valeurs humaines, a incorporé en 1961 celles de la préservation de l’environnement et de la protection des animaux domestiques, en particulier la suppression de toute souffrance ou dommage évitables à l’animal. En résultèrent de nombreuses conventions [4] et résolutions portant principalement sur le transport international des animaux, l’élevage, l’abattage, les expérimentations scientifiques, sans omettre les animaux de compagnie [5].

Dans son sillage, la Communauté européenne, qui pourtant en 1957 n’avait aucune compétence en matière de protection animale et n’en a d’ailleurs guère davantage aujourd’hui, a considérablement légiféré dans ce domaine tant pour harmoniser les législations des États sur l’élevage, les transports, l’abattage, l’expérimentation et la politique sanitaire, que pour peser sur les échanges internationaux grâce aux accords passés (exemple : le CETA, entré en vigueur partiellement et provisoirement depuis le 21 septembre 2017, doit encore être ratifié par les États membres de l’UE). Elle s’est appropriée le concept de « bien-être animal » afin d’améliorer ses conditions de vie, en tant qu’être vivant et sensible Exemple : CETA, entré en vigueur partiellement et provisoirement depuis le 21 septembre 2017, doit encore être ratifié par les États membres de l’UE [6], donc per se. Le législateur doit désormais tenir compte non seulement des capacités de souffrance des espèces, mais également de leurs besoins physiologiques et éthologiques, sous le contrôle d’une police sanitaire. Reste à déplorer que ces obligations « ne portent pas sur toutes les espèces » (p. 88), ou demeurent illogiques. Si certaines espèces ne sont pas couvertes par un règlement ou une directive spécifique concernant leur élevage, en revanche, elles le sont par les autres législations et réglementations (transport, abattage, expérimentation). Il en va de même pour d’autres espèces : les lapins, les dindes, les ovins et caprins, les oies et canards, les vaches laitières et allaitantes et les poissons (ces derniers sont protégés en matière d’expérimentation mais très peu de dispositions les concernent dans les textes relatifs au transport et à l’abattage).

Somme toute, cette prodigalité juridique fait toutefois la démonstration de l’existence d’une protection de l’animal qui, même si elle apparaît à maints égards perfectible, et s’est développée indépendamment de tout statut [7]. L’exploitation n’exclut donc pas toute compassion ni la prise en compte de la sensibilité dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques qui en sont le support (l’agriculture, tout particulièrement).

C’est un phénomène identique qui est à l’œuvre pour l’embryon et le fœtus… et même le cadavre, qui n’est pourtant plus sensible et n’est plus personne, doit être traité avec respect, décence et dignité. Ainsi, l’actuelle summa divisio inscrite dans les ordres juridiques nationaux est dès lors questionnée, principalement parce qu’elle masque la singularité des animaux êtres sentients qui, s’ils ne sont pas des personnes, ne sont pas pour autant réductibles à des choses juridiques pures.

Si l’on déplore que dans la plupart des États le statut del’animalne se soit pas totalement émancipéde sa « réification » ou de sa patrimonialité, c’est parce que cette situation ne correspond plus à la réalité de la nature animale que nous révèle la science toutes disciplines confondues.

Un statut pour mieux protéger l’animal?

Partant de ces constats, quelles contributions additionnelles pourrait procurer un statut à la protection de l’animal ? La dotation d’un statut à l’animal pourrait contribuer, entre autres, à améliorer sa protection, la rendre plus cohérente et idéalement tendrait à la suppression de son exploitation. En d’autres termes, l’animal personne juridique titulaire de droits deviendrait « sujet » de droit, selon le même procédé que celui octroyé à une entité non humaine, la personne morale. Cette personnalité juridique technique permettrait principalement de dissocier les droits des devoirs (conférer des devoir à l’animal relèverait d’un certain anthropomorphisme),et ainsi d’attribuer des droits sans aucune contrepartie à l’image de la maxime « infans conceptus ».

En découlerait nécessairement un droit à la protection de la sensibilité des animaux, pouvant se décliner en fonction des attentes de la société civile qui « n’est pas nécessairement disposée à reconnaître sans délai aux animaux des droits assimilables à ceux des Hommes » (Marguénaud, 2016, p. 164).

Par son approche générale, un statut aurait donc l’avantage de fournir plus de cohérence et de lisibilité au maquis règlementaire, ventilé dans pas moins de 11 codes – principalement 5, avec pour effet, une probable atténuation des discriminations entre espèces, dès lors bien plus difficiles à justifier.

Un statut permettrait sans doute une application nouvelle, plus rationnelle et systématique de l’arsenal dédié à la protection animale. Il guiderait non seulement l’interprétation des règles existantes, mais encore l’élaboration des règles nouvelles dans un sens plus protecteur de l’animal, en tenant meilleur compte de sa sensibilité et de ses besoins. Toutefois, ce statut ne peut en être le garant parfait de cette protection. Le statut ne se résume pas à une simple qualification juridique. Il est censé déterminer – et c’est là son objet – un régime juridique.  En devenant une troisième catégorie entre les personnes et les choses (celle d’« êtres vivants et sensibles » ?), l’ensemble des règles applicables serait, au regard de la diversité des espèces, particulièrement épineux à construire. En elle-même, cette catégorie inédite ne postulerait pas nécessairement une certaine protection ni un certain niveau de protection. Il en va de même des notions de « personne animale » ou de « personne non humaine ». Quel sens auraient ces qualifications (surtout les dernières) si l’exploitation de l’animal (à des fins agricoles ou scientifiques) perdure ? Le combat pour la reconnaissance d’un statut demande une grande quantité de ressources pour des résultats incertains.

Dès lors, si l’amélioration de la condition juridique de l’animal et sa protection demeurent l’objectif principal, il semble de moins en moins utile de placer la question de son statut au centre du débat. Car force est de constater qu’elle se construit néanmoins en dehors de tout statut, certes timidement, et ce tant à l’échelon international (européen) que national.

Il ne s’agit pas tant de mettre entre parenthèses la féconde réflexion sur le statut de l’animal (personne sui generis, chose améliorée, être sensible…), que de faire en sorte qu’elle revitalise le débat sur l’amélioration de sa condition juridique et de sa protection.

En effet, comme le rappelle David Chauvet, docteur en droit privé, l’intérêt d’un statut est avant tout symbolique. Et il cite à cet effet Steven Wise : « L’intention est de faire reculer l’anthropocentrisme, de faire admettre que les animaux peuvent s’élever à un niveau de dignité semblable au nôtre » (Steven Wise, 2018).

Martine Derdevet et Fabien Marchadier

[1] Suzanne Antoine, Présidente de chambre honoraire à la Cour d’appel de Paris et trésorière de la Ligue française des droits de l’animal (LFDA), « Rapport sur le régime juridique de l’animal », 10 mai 2005. Retour

[2] Denys-Sacha ROBIN, « Statut et bien-être des animaux : quelques remarques sur les balbutiements d’un droit international animalier, Journal du droit international », Clunet n° 2, Avril 2016, doctr. 5. Retour

[3] Charte de l’environnement, intégrée en 2005 dans le bloc de constitutionnalité français ; Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme adoptée par l’Unesco en octobre 2005. Retour

[4] Convention européenne sur la protection des animaux dans les élevages Strasbourg, 10.III.1976, Article 3. Retour

[5] Convention européenne pour la protection des animaux de compagnie Strasbourg, 13.XI.1987. Retour

[6] Protocole additionnel N°10 annexé au Traité d’Amsterdam du 2 juin 1997, repris par l’article 13 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne « TFUE ». Retour

[7] Loi Grammont du 2 juillet 1850 qui punit « ceux qui auront exercé publiquement et abusivement des mauvais traitements aux animaux domestiques ». Loi du 19 décembre 1963 qui incrimine les actes de cruauté commis sur les animaux domestiques. Décret du 9 février 1968, fixant les modalités de la réalisation de l’expérimentation sur les animaux vivants. Retour

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