Les campagnes de promotion de viande et de lait: un changement notable d’orientation des politiques publiques européennes

Peu connue du grand public, la politique de promotion agricole de l’Union européenne est un levier important pour encourager la consommation de produits agroalimentaires fabriqués en son sein, y compris les produits d’origine animale.

Peu connue du grand public, la politique de promotion agricole de l'Union européenne est un levier important pour encourager la consommation de produits agroalimentaires fabriqués en son sein, y compris les produits d'origine animale.
Publicité en faveur du boeuf financée par l’UE.

En décembre dernier, la Commission européenne a annoncé son intention de verdir son programme de financement consacré à la promotion des produits agro-alimentaires européens. Pour l’année 2022 au moins, l’Union européenne (UE) réduira ses efforts de promotion de produits d’origine animale, tout en encourageant davantage les consommateurs européens à manger des fruits, des légumes et des produits issus des filières de qualité, tels que les produits bios.

Le financement européen consacré à la promotion de viande et de produits laitiers

Peu connue du grand public, la politique de promotion agricole de l’UE est un levier important. Elle vise à encourager la consommation de produits agroalimentaires fabriqués en son sein. Pour atteindre cet objectif, l’Agence exécutive pour les consommateurs, la santé et l’alimentation de la Commission européenne (Consumers, Health and Food Executive Agency– « CHAFEA ») accorde des subventions à des organisations interprofessionnelles en vue de mener des campagnes promotionnelles auprès de consommateurs dans les États membres, mais aussi à l’étranger en soutien aux exportations. Depuis 2021, la Commission européenne a délégué la promotion des produits agricoles à l’Agence exécutive européenne pour la recherche (REA). 

Jusqu’à présent, les organisations interprofessionnelles de tous les secteurs agroalimentaires des pays membres de l’UE pouvaient prétendre à ces subventions, quel que soit le type de produit et sans égard aux méthodes de production qu’elles emploient. Sur la période 2016-2020, la somme consacrée à la promotion des aliments d’origine animale était bien plus élevée que celle consacrée aux fruits et légumes. L’UE avait alors accordé 252,4 millions d’euros aux organisations interprofessionnelles aux fins de mettre en avant la viande et les produits laitiers. Ainsi, au cours de la même période de financement, 32 % des dépenses totales de 776,7 millions d’euros ont été alloués à la promotion de la viande et des produits laitiers, contre 19 % pour les fruits et légumes.

En outre, une étude réalisée par Greenpeace en 2020 a démontré que la viande et le lait bénéficiaient également de campagnes dites « mixtes » qui font la promotion de plusieurs produits, dont des aliments d’origine animale, et dont le montant est estimé à 215 millions d’euros (28 % du budget). En cherchant ainsi à orienter le pouvoir d’achat des consommateurs vers des produits d’origine animale majoritairement issus de l’élevage intensif, la politique de promotion agricole a un fort impact sur le choix des méthodes de production en élevage et, in fine, sur le traitement réservé aux animaux qui s’y trouvent exploités.

Ces campagnes financées par les contribuables européens semblent contredire l’objectif de neutralité climatique d’ici 2050 fixé par le Pacte vert pour l’Europe (« Green Deal »). Elles peuvent également porter atteinte à l’objectif de la stratégie « De la ferme à la table » (« Farm to Fork Strategy ») de l’UE, qui insiste sur la nécessité d’une alimentation saine, durable et humaine. Il était donc grand temps que cette politique soit revue en profondeur.

La mise en cohérence de l’action publique européenne au regard des objectifs du Pacte Vert européen

La Commission européenne reconnaissait déjà les niveaux excessifs de consommation de viandes rouges par rapport aux recommandations nutritionnelles. Si la Commission européenne ne s’engageait pas à mettre fin à la promotion de la viande, elle admettait néanmoins que « les campagnes de commercialisation [promouvant] de la viande à des prix très bas [devaient] par exemple être évitées. » De même, le « Plan européen pour vaincre le cancer » publié en février 2021 insistait sur la nécessité de passer « à un régime alimentaire plus végétal comportant plus de fruits et légumes et moins de viandes rouges et transformées et autres aliments liés à des risques de cancer ».

Il y a lieu de croire que les fonds promotionnels REA peuvent influencer les modes de consommation des citoyens de l’UE en mettant davantage en avant certains produits par rapport à d’autres et en jouant sur la crédibilité des supports de communication portant le logo de l’UE. La révision de cette politique est donc l’occasion de réduire les niveaux de consommation excessifs d’aliments d’origine animale en Europe, qui ont été largement encouragés au cours de la période de financement précédente. À titre d’illustration, la campagne « Pork Lovers Europe », qui s’est déroulée de 2016 à 2019 dans cinq États membres, a bénéficié de 1,4 million d’euros de subventions européennes dans le but d’augmenter la consommation de viande de porc.

Pacte vert et protection des animaux 

Cette réforme de la politique de promotion est également la bienvenue du point de vue de la cohérence de l’action publique européenne en matière de protection animale. En effet, le règlement 1144/2014 qui régit les fonds REA prévoit que les informations fournies dans le matériel promotionnel doivent viser à mettre en évidence la « sécurité des aliments », leurs « aspects nutritionnels et sanitaires », leur « qualité », le « bien-être des animaux » et le « respect de l’environnement et de [la] durabilité ».

Au cours de la dernière période de financement, les campagnes de promotion ont largement mis l’accent sur le respect par les producteurs de la législation en matière d’environnement et de bien-être animal. De nombreuses campagnes concernant les aliments d’origine animale vont même jusqu’à affirmer que les producteurs concernés respectent les normes les plus strictes au monde en matière de bien-être animal. C’est notamment le cas de la campagne « Let’s talk about pork from Europe », diffusée en France, en Espagne et au Portugal. Or, plus de 90 % des porcs en France et en Espagne sont élevés dans des exploitations intensives, où les animaux sont privés d’accès à l’extérieur tout au long de la chaîne de production, où les truies sont enfermées dans des cages et où plus de 95 % des porcelets subissent des mutilations, telles que le meulage des dents et la coupe de la queue.

Il est clair que l’affirmation selon laquelle la législation européenne est respectée ne suffit pas à étayer un niveau de garantie élevée s’agissant du bien-être animal. Au contraire, le droit européen autorise un large éventail de pratiques génératrices de souffrance animale. Par exemple, les cages sont encore autorisées dans les filières ponte, veau et porcine, même si la Commission européenne s’est engagée à présenter une proposition législative en 2023 pour interdire l’élevage en cage des animaux. Les niveaux de densité maximale sont également extrêmement élevés dans tous les secteurs de la production animale, notamment pour les porcs, les poules pondeuses, et les poulets de chair. La législation européenne sur le bien-être des animaux d’élevage autorise en outre le transport d’animaux sur de longues distances dans des conditions qui vont à l’encontre des principes les plus élémentaires du bien-être des animaux d’élevage. Enfin, elle autorise pratiquement toutes les méthodes d’abattage, y compris celles que l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a évaluées comme étant contraires aux principes du bien-être animal (bain électrique pour les volailles et étourdissement au CO2 pour les porcs).

Let’s Talk about Pork – Campagne de publicité pour le porc financée par l’UE

La réforme de la politique de promotion des produits agro-alimentaires européens était donc l’occasion de compenser les insuffisances de la législation sur le bien-être animal et d’améliorer la qualité de l’information délivrée aux consommateurs en réservant l’accès aux subventions aux seuls produits issus des filières de qualité. Il peut notamment s’agir de filières certifiées par des signes de qualité européens contenant des normes de bien-être animal, comme le label biologique de l’UE, ou des labels nationaux publics et privés de bien-être animal. Un tel filtrage semble en outre conforme aux objectifs fixés dans le considérant 3 du règlement 1144/2014, qui dispose que : « les actions d’information et de promotion devraient tendre à améliorer le niveau des connaissances des consommateurs sur les mérites des produits et des modes de production agricole de l’Union et à généraliser la connaissance et la reconnaissance des systèmes de qualité de l’Union ».

Idéalement, il aurait fallu subordonner plus strictement le bénéfice de subventions promotionnelles à la mise en œuvre de « bonnes pratiques » par les producteurs, c’est-à-dire des pratiques allant au-delà des normes légales. Une telle exigence serait également conforme à l’article 13 du traité sur le fonctionnement de l’UE, qui dispose que l’Union et les États membres « tiennent pleinement compte des exigences du bien-être des animaux en tant qu’êtres sensibles. »

Une réponse aux attentes des États membres, des consommateurs et du marché

Jusqu’à ce jour, la politique de promotion des produits agro-alimentaires européens desservait également les politiques nationales en matière de santé publique et d’alimentation. En effet, le Danemark, la Suède, Chypre, l’Italie, les Pays-Bas et la Belgique ont lancé des campagnes nationales et mis à jour leurs recommandations nutritionnelles dans le sens d’une moindre consommation de viande. En promouvant les produits d’origine animale dans le but explicite d’augmenter les niveaux de consommation, la politique de promotion agricole se trouvait ainsi en contradiction avec le considérant 3 du règlement 1144/2014, qui prévoit que les « actions d’information et de promotion devraient compléter et renforcer utilement les actions menées par les États membres. »

Plus largement, la politique de promotion des produits agro-alimentaires européens contredisait la demande sociétale croissante pour une production alimentaire moins carnée. Dans un sondage d’opinion réalisé à l’échelle de l’UE en 2020 par la Fondation Bertelsmann, 68 % des personnes interrogées ont déclaré qu’elles étaient prêtes à réduire leur consommation de viande ou qu’elles n’en mangeaient déjà plus. L’enquête Eurobaromètre de 2016 a également révélé qu’une majorité d’européens était prête à payer davantage pour des produits respectueux du bien-être animal. 

Cette demande sociétale en faveur d’une baisse des niveaux de production et de consommation d’aliments d’origine animale se reflète aussi dans la croissance du secteur des protéines d’origine végétale. Dans son rapport sur le développement des protéines végétales de 2018, la Commission européenne a ainsi reconnu que le marché alimentaire des protéines végétales était « potentiellement très rentable » et qu’il connaissait une « croissance à deux chiffres ».Une réforme de la politique de promotion des produits agro-alimentaires en soutien aux aliments d’origine végétale serait donc conforme à la demande des consommateurs et pourrait ainsi favoriser le développement d’une filière « protéines végétales ».

Conclusion 

Par souci de cohérence avec les objectifs en matière de protection des animaux, de santé et d’environnement, la Commission européenne se devait de réduire considérablement le soutien apporté aux aliments d’origine animale au bénéfice des fruits et légumes non transformés. Pour le moment, ce changement de doctrine a pris forme dans le programme de financement annuel de la Commission européenne. Il est désormais nécessaire qu’une telle évolution soit gravée dans le marbre de la réglementation, au risque de se trouver remise en cause chaque année au gré des changements politiques.

Alice Di Concetto et Ilyana Aït Ahmed 

ACTUALITÉS