Article 13 du TFUE : comment l’Union européenne autorise des pratiques culturelles et religieuses contraires au bien-être animal

Selon Donald M. Broom, professeur émérite en bien-être animal à l’université de Cambridge, « le bien-être de centaines de millions d’animaux a crû grâce aux politiques et au droit de l’Union européenne ». L’Union accorde une importance particulière au bien-être animal, et ce depuis plusieurs décennies.

La reconnaissance de la sensiblité des animaux au niveau de l’Union

L’une des avancées majeures est la mention du bien-être animal dans le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Son article 13, issu d’un protocole annexé au Traité d’Amsterdam de 1997 et en vigueur depuis 2009, dispose que « lorsqu’ils formulent et mettent en œuvre la politique de l’Union dans les domaines de l’agriculture, de la pêche, des transports, du marché intérieur, de la recherche et développement technologique et de l’espace, l’Union et les États membres tiennent pleinement compte des exigences du bien-être des animaux en tant qu’êtres sensibles ». Les animaux sont donc reconnus dans l’un des traités fondamentaux de l’Union européenne comme des êtres doués de sensibilité. 

Les dérogations au bien-être animal tenant aux particularités des États-membres

L’article 13 précise cependant que l’Union doit, parallèlement à sa prise en compte du bien-être animal, respecter « les dispositions législatives ou administratives et les usages des États membres en matière notamment de rites religieux, de traditions culturelles et de patrimoines régionaux ». Il reflète donc les enjeux autour de l’équilibre entre le bien-être animal et le respect des particularismes culturels et religieux, propre à une Europe des nations. L’article 22 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne dispose en outre que « l’Union respecte la diversité culturelle, religieuse et linguistique ». Au nom de cette diversité, un certain nombre de pratiques incompatibles avec le bien-être animal restent autorisées. 

Les patrimoines régionaux : l’exemple de la corrida

La corrida est considérée par l’Espagne, le Portugal et la France comme faisant partie du patrimoine culturel de certaines de leurs régions. Par exemple en France, en réponse à une question prioritaire de constitutionnalité posée en 2012, le Conseil constitutionnel a considéré que la tradition de la corrida n’était pas contraire à la Constitution française et certains départements peuvent invoquer l’existence d’une « tradition locale ininterrompue » pour justifier cette pratique. Cette décision n’est contredite par aucune législation européenne, et ce malgré l’obligation d’étourdissement des animaux avant l’abattage établie par le règlement (CE) n° 1099/2009 du Conseil du 24 septembre 2009. L’absence d’interdiction de la corrida par le droit de l’Union traduit l’importance accordée aux patrimoines régionaux des États membres au détriment du bien-être animal.

Les traditions culturelles : l’exemple du foie gras

Au même titre qu’elle autorise la corrida, la France protège le foie gras en raison de sa place dans le patrimoine culturel et gastronomique du pays. L’article L654-27-1 du code rural dispose en effet que « le foie gras fait partie du patrimoine culturel et gastronomique protégé en France. On entend par foie gras, le foie d’un canard ou d’une oie spécialement engraissé par gavage ». Or le Conseil de l’Union européenne a adopté dès 1998 la directive 98/58/CE selon laquelle « aucun animal n’est alimenté ou abreuvé de telle sorte qu’il en résulte des souffrances ou des dommages inutiles et son alimentation ne doit pas contenir de substances qui puissent lui causer des souffrances et des dommages inutiles ». Cette directive a conduit à l’interdiction du foie gras dans plusieurs États, notamment en Pologne et en Italie. L’Union n’a cependant pas enjoint la France à faire de même en raison de ses traditions culturelles.

Les rites religieux : l’exemple de l’abattage rituel

L’article 10 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne consacre la liberté de pensée, de conscience et de religion. Ce droit implique notamment « la liberté de manifester sa religion ou sa conviction par (…) les pratiques et l’accomplissement des rites ». L’abattage rituel fait partie des pratiques et des rites protégés par la liberté religieuse. C’est pour cela que le règlement (CE) n° 1099/2009 du Conseil du 24 septembre 2009 précité prévoit une exception en ce qui concerne l’abattage religieux, notamment halal ou casher. Les religions juive et musulmane requièrent que les animaux soient saignés en pleine conscience : ce type d’abattage est licite en raison de la liberté religieuse. Or selon la Fédération des vétérinaires d’Europe (FVE), du point de vue du bien-être animal, l’abattage d’animaux sans étourdissement est inacceptable en toutes circonstances.

Conclusion :

Ainsi, l’article 13 du TFUE permet certes de reconnaître le bien-être animal comme une valeur de l’Union européenne, mais les dérogations qu’il accorde aux États membres le vident de sa substance. Le professeur émérite de droit public François Hervouët estime que cette disposition « demeure très prudente car elle multiplie les limites et les conditions d’application, au point que l’on peut se demander si elle marque une véritable avancée ou si sa portée est seulement symbolique »[1].

Pour que le bien-être animal soit davantage respecté malgré l’existence de rites et de traditions qui y contreviennent, une évolution dans l’appréhension de ceux-ci serait envisageable. Certains cultes pourraient par exemple accepter un « post-cut stunning », c’est-à-dire un étourdissement pratiqué juste après l’égorgement des bovins. Il serait en effet conforme à l’abattage rituel tout en causant moins de souffrance aux animaux que l’abattage sans étourdissement. L’évolution de l’opinion publique sur certains sujets relatifs au traitement des animaux devrait également poser la question de la pertinence de conserver une tradition contraire au bien-être animal. En France, 75 % de la population s’oppose à la corrida. La fréquentation des arènes est en baisse constante, non seulement en Europe mais également en Colombie, qui constitue pourtant l’une des plus grandes assises de la tauromachie en Amérique du Sud. Un tel désintérêt pour cette pratique pourrait à terme mettre fin à cette tradition, aussi bien en France qu’en Europe et dans le reste du monde. Dans le même sens, les combats de coqs ne sont plus populaires en France : il est estimé à environ 1000 le nombre de coqueleux dans les Hauts-de-France, seule région métropolitaine où cette pratique reste autorisée. Le Conseil constitutionnel, dans une décision du 31 juillet 2015, a également confirmé l’interdiction d’ouvrir de nouveaux gallodromes, ce qui semble mener vers la fin des combats de coqs. Au-delà des exigences posées par l’article 13 du TFUE, l’évolution des cultes et des traditions pourrait donc tendre à une meilleure protection du bien-être animal.

Valentine Labourdette


[1] François HERVOUËT, « Sensibilité animale et droit de l’Union européenne », Sensibilité animale : perspectives juridiques, CNRS éditions, 2015, p.213

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