Ras-le-bol des fous de la gâchette

La chasse pose des problèmes de sécurité. De nombreux habitants des campagnes n’en peuvent plus d’avoir peur de sortir de chez eux en période de chasse.

« Un jour, un chasseur »: une pétition pour plus de sécurité face aux chasseurs

Recueillant le témoignage de victimes de la chasse, ou de l’entourage de victimes humaines ou animales disparues ou blessés, de personnes ayant frôlé la catastrophe à cause d’une balle perdue dans une voiture, une maison ou un casque, le collectif « Un jour, un chasseur » a lancé une pétition sur le site du Sénat en septembre 2021. La pétition a recueilli et dépassé rapidement les 100 000 signatures requises, incitant le Sénat a créé une mission de contrôle de la sécurité à la chasse. Démarrée en décembre 2021, les sénateurs rapporteurs Patrick Chaize et Maryse Carrère ont auditionné toutes les parties prenantes, dont la LFDA le 15 février 2022. La mission a finalement rendu son rapport « La sécurité : un devoir pour les chasseurs, une attente de la société » mi-septembre 2022. Les sénateurs proposent 30 recommandations, mais peu sont réellement intéressantes. La nouvelle saison de chasse 2022-2023 entrainant déjà son lot d’accidents et d’incidents, le gouvernement a compris qu’il était temps de s’emparer du sujet.

Les accidents et incidents de chasse

Lorsque l’on parle de chasse, on ne parle pas d’une activité de plein air comme une autre. Il s’agit d’une activité pratiquée avec des armes, blanches ou à feu, dont l’objectif est de tuer. À ce titre, la chasse ne peut pas être traitée comme les autres activités d’extérieur, tels que la randonnée, le cyclisme ou encore le ski. C’est pourtant ce qu’essaient d’insinuer les chasseurs, et notamment le premier d’entre eux, le président de la Fédération nationale des chasseurs. Le respect des règles de sécurité est essentiel. C’est bien souvent un manquement aux règles de sécurité qui conduit aux accidents et incidents de chasse : tir non-fichant (c’est-à-dire ascendant, au lieu d’être tiré en direction du sol), tir à proximité ou en direction des habitations et des routes, non-respect de l’angle des 30 degrés (voir illustration), arme non utilisée chargée ou non cassée, cible mal identifiée… Pour la saison dernière, l’Office français de la biodiversité a relevé 90 accidents (personnes blessées ou décédées), dont 8 mortels, ainsi que 104 incidents (tirs en direction des habitations, des véhicules et sur des animaux domestiques), dont 54 tirs en direction des habitations, 33 tirs vers de véhicules et 18 tirs sur des animaux domestiques. Si l’OFB se félicite de la baisse du nombre d’accidents par rapport à il y a 20 ans (67 accidents dont 31 mortels en 2001-2002), le fait que les accidents et incidents persistent malgré les règles de sécurité et la médiatisation de la situation est un problème de taille.

Les propositions des sénateurs

Afin d’y remédier, les sénateurs de la mission ont fait 30 recommandations. Parmi elles, le rapport cite le renforcement de la formation des chasseurs et de l’examen du permis de chasser, l’amélioration du suivi et du maniement des armes, le renforcement des moyens de police des agents de l’OFB, la communication du lieu des battues aux autres usagers de la nature via des applications… Deux mesures retenues par les sénateurs semblent des prérequis indispensables à la pratique de la chasse : le délit d’alcoolémie basé sur celui du code de la route (soit l’interdiction de chasser avec plus de 0,5 grammes d’alcool dans le sang) et la délivrance d’un certificat médical annuel.

D’autres mesures retenues par les sénateurs sont inquiétantes : à propos des sanctions, le rapport propose seulement des suspensions de permis temporaires, au maximum de 10 ans dans le cas d’homicide involontaire, ainsi que des stages alternatifs aux sanctions pénales en cas de comportements dangereux. Pourtant, des sanctions pénales bien plus sévères qu’actuellement et bien mieux appliquées auraient certainement pour effet d’inciter davantage les chasseurs à prendre le temps de vérifier que toutes les mesures de sécurité sont réunies avant de tirer. Dès une erreur d’identification (« j’ai pris le cycliste/cueilleur de champignons/chien/cheval pour un sanglier »), le permis de chasse devrait être retiré définitivement. Une autre proposition est la généralisation des chartes entre les fédérations de chasse et les fédérations de sport de nature. Cette mesure fait fi des nombreux utilisateurs de la nature qui ne sont pas licenciés dans un club de sport.

Les sénateurs rapporteurs de la mission, défenseurs de la chasse, profitent de ce rapport pour recommander l’introduction d’un délit d’entrave à la chasse, puni de 6 mois de prison et 7 500 euros d’amende, dont la définition large pourrait concerner n’importe quel promeneur. La LFDA s’est insurgée contre cette mesure inutile pour la sécurité à la chasse, totalement hors-propos et dangereuse pour les libertés fondamentales.

En revanche, les mesures proposées par la fondation et d’autres organisations de protection de la nature, comme l’interdiction de la chasse le dimanche ou l’éloignement des parties de chasse des routes et des habitations, n’ont pas retenu l’attention des sénateurs. Pourtant, le dimanche sans chasse permettrait à l’ensemble de la population de profiter sereinement de la nature au moins un jour par semaine, sans avoir peur de se faire tirer dessus. Cette mesure est plébiscitée par 76 % des Français interrogés, selon un récent sondage IFOP pour la Fondation 30 millions d’amis. Quant aux tirs en direction des habitations, des routes et des chemins, ils représentent 51 % des incidents et 17 % des accidents en 2021-2022, selon l’OFB.

Le gouvernement s’empare enfin du sujet

Fin octobre 2022, la secrétaire d’État à l’Écologie, Bérangère Couillard, a annoncé le lancement d’une concertation sur la sécurité à la chasse, en expliquant que toutes les mesures étaient « sur la table » et qu’il « n’y [avait] pas de sujet tabou ». Le gouvernement devrait notamment réfléchir au délit d’alcoolémie et à l’instauration d’une demi-journée sans chasse. Ce serait la moindre des choses.

Les conclusions de cette concertation sont attendues pour la fin de l’année. Il est temps que le gouvernement prenne des mesures fortes pour protéger tous les usagers de la nature, et y compris les animaux, pour lesquels certaines mesures de sécurisation auraient des bénéfices incontestables (voir article de Solenn Martin dans le numéro 114).

Nikita Bachelard

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