Malgré une législation ambitieuse, l’Union européenne n’est pas parvenue à éradiquer la pêche illicite

Malgré des mesures strictes et utiles pour lutter contre la pêche illicite dans l’Union, la Cour des comptes européenne estime que les objectifs n’ont pas été atteints.

Peche illicite union européenne

La pêche illicite désigne les activités qui se pratiquent sans licence, en violation des réglementations ou des obligations de déclaration des poissons capturés. On estime qu’elle représente entre 11 et 19 % des captures mondiales de poissons, pour un montant équivalent à 10 à 23 milliards de dollars. En plus de menacer la sécurité alimentaire des populations et d’encourager l’exploitation d’êtres humains (comme le souligne WWF), la pêche illicite épuise les ressources halieutiques et accélère la dégradation des écosystèmes marins.

En 2015, l’Union européenne (UE) s’est fixée pour objectif de mettre un terme à ce fléau à l’horizon 2020. Dans son rapport du 26 septembre 2022, la Cour des comptes européenne (CCE) procède à une évaluation des principaux règlements européens en matière de lutte contre la pêche illicite, et conclut qu’ils n’ont pas permis d’atteindre cet objectif.    

Les dispositifs européens de lutte contre la pêche illicite

L’UE se place au premier plan des échanges internationaux générés par les activités de pêche : elle est le premier importateur mondial de produits de pêche, possède l’une des flottes les plus importantes au monde et produit à elle seule 6 % des produits de la pêche mondiale. Un citoyen européen consomme en moyenne 24 kg de poisson par an, essentiellement du thon, du cabillaud et du saumon; or, le cabillaud de mer du nord, comme le merlu de Méditerranée, ou encore la sole, qui sont aussi très pêchés, font partie des espèces dont les stocks sont les plus surexploités.

L’Europe a donc un rôle majeur à jouer dans la lutte contre la pêche illicite, à la fois au sein de son territoire (la politique de la pêche y relevant de sa compétence exclusive) et au-delà de ses frontières. Dès 2008, elle a établi un cadre juridique visant à assurer la légalité de tous les produits de pêche vendus sur son territoire.

Le système de certification des captures pour assurer la légalité des produits importés

Pour éviter l’entrée sur le territoire européen de produits de la pêche illicite, l’UE impose aux navires de pêche battant pavillon étranger l’obligation de remettre un certificat de capture préalablement validé par leur État d’immatriculation. Ce certificat doit notamment détailler le contenu du lot importé (espèces capturées, poids, zones de capture) et confirmer la validité de la licence de pêche du navire. L’État du port européen est ensuite tenu de procéder à des contrôles sur au moins 5 % des poissons débarqués. Les navires épinglés risquent des sanctions pouvant atteindre jusqu’à cinq fois la valeur des poissons capturés. Selon la CCE, ce système a permis de détecter des infractions dans 11 % des contrôles et d’imposer des sanctions d’un montant total de près de 8 millions d’euros.

À travers une analyse comparative de systèmes similaires aux États-Unis et au Japon, la CCE souligne que le système européen est le plus complet et le plus exigeant en la matière.

Le système des cartons pour identifier les États tiers non coopérants

Pour identifier les États tiers dont les réglementations ne sont pas en accord avec les standards européens de lutte contre la pêche illicite, l’UE a mis en place un système de cartons. La Commission européenne engage d’abord un dialogue visant à inciter le pays tiers à mettre en place des mesures adéquates. Cela s’est révélé efficace dans la plupart des cas, par exemple en Thaïlande, point névralgique de la transformation du thon. Si le dialogue est infructueux, la Commission peut sanctionner le pays d’un carton jaune ou rouge. Ce dernier identifie le pays comme non coopérant et engendre le refus systématique de toute importation de sa provenance. C’est le cas pour trois pays à ce jour : le Belize, le Cambodge et la Guinée.

Le contrôle des activités de la flotte européenne

Pour les activités de pêche dans les eaux européennes, ainsi que celles effectuées hors de l’Europe par des navires européens, l’UE détermine annuellement des limites de captures par espèce de poisson et par zone, réparties ensuite en quotas. Les États membres sont tenus de contrôler la bonne application de ces règles. Ce système a permis de détecter plusieurs dizaines de milliers d’infractions et d’améliorer la gestion des stocks halieutiques en Europe.

L’Union soutient par ailleurs les initiatives des pays membres visant à renforcer les systèmes de contrôle nationaux à travers un fonds spécial (580 millions d’euros entre 2014 et 2020), dont la CCE souligne l’efficacité.

Les limites de l’action européenne

Des disparités dans la qualité des contrôles et la sévérité des sanctions appliquées

Les contrôles réalisés sur les produits de pêche sont d’ampleur et de qualité variable selon les États membres. Par exemple, contrairement à la France et l’Espagne, qui procèdent selon la CCE à des contrôles d’ampleur et de qualité élevées, la Pologne et le Danemark n’ont pas respecté le minimum de 5 % des inspections. Concernant les sanctions appliquées, on constate aussi des écarts considérables d’un pays membre à l’autre : pour une infraction similaire, le montant d’une amende peut varier de 200 euros à Chypre à plus de 7 000 euros en Espagne. De plus, les critères qui servent à qualifier les infractions (et notamment les infractions graves) diffèrent selon les législations nationales, ce qui entraîne des sanctions différenciées.

Des modalités pratiques obsolètes

Autre faille importante : le système de certification repose encore sur des supports papier, ce qui rallonge les délais de traitement, augmente les risques d’erreur ou de fraude, et empêche le croisement d’informations entre États membres. Pour pallier ces lacunes, la Commission a lancé en 2019 un système informatique à l’échelle européenne, permettant de numériser la gestion des certificats de capture. Aucun pays ne l’utilise à ce jour, mais la Commission envisage de le rendre obligatoire.

Des propositions d’amélioration en attente d’adoption

Malgré un arsenal réglementaire solide et une influence sur les pays tiers, la pêche illicite n’a pas été éradiquée en Europe : 43 % des populations de poissons européennes sont encore surpêchées. La CCE recommande d’envisager une uniformisation complète à la fois des critères de détection des risques, de l’ampleur et de la qualité des contrôles, des sanctions et du traitement informatique pour la traçabilité des produits.

Ces recommandations sont en ligne avec les efforts engagés par la Commission pour répondre aux problématiques constatées. En attestent les inspections, vérifications et audits réguliers qu’elle initie, les nombreux moyens financiers et opérationnels qu’elle mobilise pour accompagner les États membres, et l’évaluation qu’elle conduit de ses propres politiques. Son analyse du règlement relatif au contrôle des pêches a ainsi abouti, en 2018, à une proposition destinée à corriger les failles du système. Dans le cadre de son « pacte vert » pour l’Europe, la nouvelle Commission a réitéré son engagement pour une politique de la pêche durable ; à ce stade cependant, la proposition n’est toujours pas adoptée.

Marie Elissalt


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