Restriction des possibilités de vente d’animaux sauvages par la Cour de justice de l’UE

Par un arrêt du 8 septembre 2022, la Cour de justice de l’Union européenne a imposé une restriction à la vente d’animaux sauvages, ce qui pourra contribuer à limiter le trafic de faune sauvage.

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La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu un arrêt restreignant le commerce des animaux captifs issus d’animaux sauvages capturés et importés illégalement. En limitant la possibilité de profiter économiquement du commerce illicite d’animaux sauvages, cet arrêt marque un tournant dans la lutte contre le trafic d’espèces sauvages.

Encadrement de la vente d’animaux sauvages d’espèces menacées

Le 8 septembre 2022, la CJUE a rendu un arrêt concernant le trafic des espèces sauvages sur le territoire européen. Par cet arrêt, la Cour a déterminé qu’un éleveur d’animaux exotiques n’était pas en droit de commercialiser des perroquets dont les géniteurs avaient été importés illégalement dans l’Union. Ce faisant, la CJUE est venue donner des précisions sur le champ d’application du règlement 338/97 relatif à la protection des espèces de faune sauvage et de son règlement d’application (règlement 865/2006). Ces textes codifient tous deux la Convention de 1973 sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES), dite aussi Convention de Washington. Instrument international central dans la lutte contre le trafic des espèces animales sauvages, la CITES « a pour objectif de garantir que le commerce international des espèces inscrites à ses annexes, ainsi que des parties et des produits qui en sont issus, ne nuise pas à la conservation de la biodiversité et repose sur une utilisation durable des espèces sauvages ».

En particulier, cette affaire concerne le commerce de cinq perroquets appartenant à une espèce menacée, les aras hyacinthes, une espèce de perroquets originaires d’Amérique centrale et du Sud-Est qui se caractérisent par le bleu vif de leurs plumes et leur grande taille. En raison de leur statut de conservation vulnérable, la CITES interdit le commerce international des aras hyacinthes. De même, en vertu de la législation européenne, les aras hyacinthes sont inscrits à l’annexe A du règlement 338/97, bénéficiant ainsi du niveau de protection le plus élevé que ce règlement prévoit pour les espèces menacées. En vertu de ce règlement, « l’achat, l’offre d’achat, l’acquisition à des fins commerciales, l’exposition au public à des fins commerciales, l’utilisation à des fins commerciales et la vente, la détention pour la vente, l’offre pour la vente ou le transport pour la vente » de ces animaux sont ainsi interdits.

Une incertitude quant à la protection des espèces nées et élevées en captivité 

Le règlement 338/97 prévoit cependant des dérogations à cette interdiction générale de commerce, notamment lorsque les animaux en question « sont des spécimens nés et élevés en captivité » selon l’article 8 dudit règlement. Le règlement 865/2006 précise deux conditions d’application de cette dérogation (article 54 (2)) : 

  • le « cheptel reproducteur» doit avoir été constitué de manière légale à la date d’acquisition des spécimens ;
  • la détention des spécimens ne doit pas porter préjudice à la survie de l’espèce concernée dans la nature.

En 2015, un propriétaire tchèque de cinq perroquets avait ainsi demandé une dérogation à l’interdiction du commerce aux autorités tchèques en vue de commercialiser ses cinq aras hyacinthes, au motif que les animaux étaient nés et avaient été élevés en captivité. Les autorités tchèques avaient refusé d’accorder une telle dérogation après avoir constaté que les animaux descendaient d’un couple de perroquets qui avait été introduit illégalement en Tchéquie en 1993. 

Contestant cette décision, le propriétaire des perroquets avait engagé une procédure contre le ministère de tutelle des autorités tchèques, le ministère de l’Environnement. Dans ce litige, la Cour tchèque a tout de même relevé que l’acquisition des spécimens parents, descendants des spécimens grands-parents introduits illégalement sur le territoire tchèque, était légale. La Cour tchèque a également souligné le fait que la Tchéquie ne faisait pas partie de l’Union européenne au moment de l’acquisition des spécimens parents et que le droit national tchèque de l’époque n’imposait pas la délivrance d’un certificat sur l’origine des perroquets. 

Le juge tchèque s’est cependant tourné vers la CJUE par le biais d’un renvoi préjudiciel – une procédure en droit européen par laquelle les cours nationales des États membres peuvent demander à la CJUE des précisions sur l’interprétation de la législation européenne. La Cour tchèque a demandé des précisions sur trois points : 

1) Les spécimens grands-parents, importés illégalement et jamais détenus par l’éleveur, font-ils partie du « cheptel reproducteur » au sens du règlement 865/2006 et, ce faisant, leurs conditions d’importations doivent-elles être conformes à ce règlement ? 

2) Les autorités tchèques sont-elles en droit de vérifier l’origine des spécimens parents et, sur cette base, de déterminer si le cheptel reproducteur a été constitué conformément aux règles d’application de la dérogation ?

3) Le juge national doit-il prendre en considération d’autres circonstances de l’affaire, notamment la confiance légitime, lors de l’acquisition des spécimens parents, dans le fait que le commerce de leurs éventuels descendants sera possible, et, le cas échéant, une législation plus souple en vigueur en Tchéquie avant l’adhésion de cette dernière à l’Union européenne ? 

Le critère de la légalité de l’introduction des ascendants

La CJUE a d’abord clarifié le sens de l’expression « cheptel reproducteurs », en suivant les méthodes classiques d’interprétation du droit européen. Elle a examiné tout d’abord le sens littéral des mots (textualisme), puis la manière dont les différentes versions linguistiques du règlement 338/97 se comparent (multilinguisme). Selon les versions linguistiques, le « cheptel reproducteur » s’associe soit aux animaux de l’établissement d’élevage au sens strict ou soit aux animaux de l’ensemble du processus d’élevage en couvrant potentiellement les ascendants qui n’ont jamais été détenus. La CJUE a ensuite conclu qu’une telle définition n’englobe pas l’ascendance des animaux, mais simplement les animaux détenus dans un établissement d’élevage. A priori, le cheptel reproducteur ne couvre donc pas les parents de spécimens élevés par un éleveur qui ne les a ni possédés, ni détenus.

Toutefois, la CJUE a ensuite procédé à une interprétation contextuelle, en examinant la source des dispositions dans le droit international (dans ce cas, la CITES) et l’intention du législateur européen lors de l’adoption du règlement 338/97. 

Bien que la CJUE ait limité la portée des termes « cheptel reproducteur », elle conclut de son analyse contextuelle que le règlement 338/97 laisse une marge importante aux États membres pour accorder ou non des dérogations à l’interdiction du commerce des espèces menacées. L’article II paragraphe 1 de la CITES énonce à cet effet que le « commerce des spécimens des espèces menacées d’extinction doit être soumis à une réglementation particulièrement stricte afin de ne pas mettre davantage leur survie en danger et ne doit être autorisé que dans des conditions exceptionnelles ». 

Selon la CJUE, les autorités tchèques n’ont donc pas violé le règlement 338/97 en incluant l’origine des grands-parents des animaux dans le champ de leur évaluation des risques. Au contraire, pour la CJUE, les autorités tchèques ont agi conformément à l’objectif poursuivi par le règlement 338/97. 

La conservation des espèces menacées comme limite légitime au droit de propriété

La CJUE a également précisé que les limites imposées au commerce des perroquets ne portent pas atteinte au droit de propriété de l’éleveur, reconnu à l’article 17 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dans la mesure où ces limites n’interdisent pas la propriété des animaux, mais seulement leur vente. La CJUE a donc conclu que les limites imposées aux droits de propriété par l’interdiction du commerce sont proportionnées aux objectifs légitimes de la réglementation. Ainsi, l’interdiction de procéder à la vente de spécimens dont l’un des ascendants a été acquis d’une manière qui porte préjudice à la survie de l’espèce dans la nature est justifiée par un objectif d’intérêt général reconnu par l’UE, à savoir la conservation des espèces menacées. La CJUE précise en outre que la commercialisation d’espèces menacées va à l’encontre de leur protection dans la mesure où une telle commercialisation contribue à l’essor d’un marché visant la détention illégale d’animaux sauvages.

Enfin, la CJUE a jugé que l’éleveur ne peut pas bénéficier du principe de confiance légitime au moment de l’acquisition des perroquets du simple fait que des règles moins strictes étaient en place avant l’adhésion de la Tchéquie à l’UE. En tout état de cause, la Cour relève que l’importation des animaux violait déjà à l’époque la CITES, dont la Tchéquie était signataire.  En l’espèce, le caractère illégal de l’importation des oiseaux avait bien été établi.

Une décision positive pour la protection des animaux sauvages en captivité  

Par cet arrêt, la CJUE considère que l’importation illégale d’animaux peut avoir une incidence sur la légalité du commerce futur de la progéniture de ces animaux. Même si cet arrêt n’affecte pas la propriété des descendants des animaux importés illégalement, cette clarification du champ d’application du règlement 338/97 ferme la possibilité pour les commerçants de profiter d’un commerce illégal effectué dans le passé. Cet arrêt améliore également l’application et le respect des règles relatives au trafic d’espèces sauvages en appliquant rétroactivement ces règles à des situations survenues à une époque où les autorités appliquaient des règles moins strictes, avant l’adhésion du pays à l’UE notamment.

Cet arrêt reconnaît en outre que, bien loin de réduire le trafic d’espèces sauvages, le commerce de spécimens nés en captivité stimule la demande et maintient un marché. Cette observation de la Cour va à rebours des arguments mis en avant par les partisans du commerce des animaux sauvages et mérite d’être soulignée.

Pauline Koczorowski


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