La visite au zoo : à la rencontre d’un monde animal artificialisé

Les zoos ont été conçus comme un lieu de spectacle, pour divertir et amuser les visiteurs. Sous couvert d’éducation à la préservation de la biodiversité, le zoo permet au visiteur d’assouvir sa curiosité pour les animaux sauvages exotiques emblématiques.

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La plupart des visiteurs vont au zoo pour passer du bon temps avec leurs proches. Ils perçoivent le zoo comme un lieu d’amusement, qui offre des rencontres recherchées avec des animaux dont le physique ou les comportements suscitent diverses émotions. Le zoo est en effet pensé comme un lieu de spectacle, qui met en scène la frontière symbolique que l’humain cherche à établir entre lui et les animaux mis en captivité pour son divertissement.

Le zoo, un espace conçu par l’humain et pour l’humain

L’espace du zoo est organisé de manière semblable à celui d’un théâtre. On y retrouve une barrière physique entre l’espace de visite et l’enclos. Ce dernier pourrait être comparé à un espace scénique, vers lequel les visiteurs dirigent leur attention. Il comprend également des décors, et joue sur les points de vue. Les animaux ainsi mis en avant dans un espace délimité ont peu d’occasions d’échapper à l’observation publique, voyeuriste et intrusive des visiteurs. Si laisser l’opportunité aux animaux de se soustraire à cette exposition est important pour leur bien-être, il ne faut toutefois pas, pour ces organismes à but lucratif, que la fréquentation du lieu baisse pour cette raison. Les visiteurs s’attendent en effet à assister à un évènement étonnant ou exceptionnel, et à entrer en interaction avec l’animal, par exemple avec un échange de regard.

De tous les sens, c’est en effet celui de la vue qui est privilégié, puisque c’est le plus développé chez l’humain. Or, de nombreuses espèces utilisent davantage d’autres sens, que l’humain ne prend pas suffisamment en compte quand il leur impose leurs conditions de vie. Le caractère artificiel de la captivité est alors source de multiples facteurs de stress sous-estimés par l’humain : que cela concerne l’ouïe (volume sonore des visites, sons inhabituels et imprévisibles des machines d’entretien, ultrasons et sons émis par les ordinateurs, caméras de surveillance…) ; la luminosité (photopériode inadéquate aux besoins, contrastes d’éclairage trop importants, perception perturbée des ultraviolets, lumière des néons perçue par intermittence comme d’incessants flashs lumineux…), ou encore l’odorat (odeur des prédateurs dont l’enclos est proche, nettoyage des enclos qui supprime des marqueurs olfactifs délimitant le territoire…). Les caractéristiques du milieu sont souvent peu adaptées aux besoins de chaque espèce.

Un intérêt pour l’animal dans l’enclos plutôt que pour le devenir de son espèce : une portée informative et éducative des zoos en demi-teinte

La directive 1999/22/CE impose aux zoos européens d’éduquer et sensibiliser le public « en ce qui concerne la conservation de la diversité biologique, notamment en fournissant des renseignements sur les espèces exposées et leurs habitats naturels ». Ils proposent donc des panneaux informatifs, et déploient des campagnes et programmes éducatifs. Une enquête réalisée en 2011 évaluant la mise en application et le respect de cette directive a cependant montré que 50 % des zoos européens visités « ne semblent pas activement rechercher à éduquer le public ». Sur vingt-cinq zoos français sélectionnés au hasard, neuf d’entre eux ne semblaient pas avoir mis en place des activités spécifiques pour éduquer le grand public à propos des espèces et de leur conservation. Neuf organisaient également des spectacles d’animaux dont le niveau du contenu éducatif était très variable entre les zoos, l’objectif final étant évidemment le divertissement du public.

La visée informative et éducative des zoos sur la conservation des espèces peut être discutée. En effet, les preuves de l’efficacité de l’apprentissage de connaissances sur la conservation et la biodiversité restent assez faibles. Celle-ci a rarement été testée par des études complètes. Une vaste étude menée pendant trois ans par l’Association des zoos et aquariums (AZA)[1] a été fortement critiquée. En premier lieu, elle était basée sur l’auto-déclaration des visiteurs sur leur potentiel apprentissage lors de la visite, sans vérifications concrètes des enquêteurs. L’étude comprend de plus un ensemble de biais méthodologiques. Or, si de tels biais peuvent être fréquents, les chercheurs n’ont témoigné d’aucun effort pour les atténuer au regard de leurs interprétations. D’abord, l’échantillon de visiteurs n’était pas aléatoire puisqu’il s’agissait de personnes volontaires, ce qui ne garantit pas la représentativité. L’étude omet de plus un ensemble de facteurs qui sont pourtant à considérer car susceptibles d’influencer les réponses. Les participants connaissaient par exemple son objectif, et ont pu adapter leurs réponses pour qu’elles correspondent aux attentes des enquêteurs. Ces derniers étaient peut-être en train de surveiller les participants, l’étude donnant peu d’informations sur leur positionnement. De plus et pas des moindres, les enquêteurs ont récompensé la participation par des petits cadeaux en guise de reconnaissance, ce qui peut encore modifier favorablement les retours. Au-delà de cette étude, d’autres montrent qu’une sensibilisation lors d’une visite a certes un impact à court terme (les visiteurs ressortent du zoo avec plus de connaissances qu’en y entrant), mais ne modifie pas ou peu les comportements sur le long terme.

Plutôt que de s’intéresser au statut de conservation des espèces, on s’intéresse aux animaux en tant qu’individus, déconnectés de leurs milieux naturels. Les visiteurs commentent sans se lasser les comportements des animaux, leurs activités quotidiennes. Il n’est certainement pas question d’éthologie, autrement dit d’étudier leurs comportements, ici – le temps passé devant chaque enclos restant très court. « Il s’agit simplement pour les spectateurs de partager des impressions. Les scènes d’accouplement, de défécation ou surtout de coprophagie suscitent en général de grands mouvements dans les foules ; les adultes expriment leur dégoût ou leur gêne, rient jaune ou font des mines horrifiées tandis que les enfants hurlent de joie et d’excitation devant des êtres qui transgressent manifestement toutes les normes sociales en vigueur », écrit Jean Estebanez, géographe, dont les recherches portent sur la disposition spatiale des zoos.

Individualisés, les animaux sont, de plus, observés via le prisme du comportement humain : « regarde comme elle prend soin de son amie », « oh, ça se voit qu’ils ne s’aiment pas ! », « mais quel fainéant celui-ci », « elle me fait coucou ! ». Cette tendance à l’anthropomorphisme, les zoos l’encouragent dans leurs programmes de parrainage, dans lesquels ils donnent un nom à leurs vedettes, créant un lien fictif entre le visiteur et « son » animal parrainé.

Le zoo, lieu d’une rencontre fantasmée avec l’exotisme d’une faune dont l’humain se serait extrait

Les visiteurs viennent au zoo avec la motivation de rencontrer un animal dont l’allure et le comportement correspondent à leurs attentes. La culture populaire a construit un imaginaire qui détermine notre rapport aux animaux. Ils sont, par exemple, aisément qualifiés selon une dichotomie méchant-gentil. Comme l’écrit Éric Baratay, historien spécialiste de l’histoire des relations humains-animaux : « Les reptiles, les fauves et les autres carnivores sont dans le groupe des méchants parce que le goût proclamé de la viande est depuis longtemps considéré comme le signe d’une violence barbare. Nombre de singes, jugés espiègles et lubriques, sont aussi rangés là. À l’inverse, les herbivores, et notamment les domestiqués, sont jugés gentils. Cette systématique concerne surtout les mammifères, mais guère les oiseaux ou les poissons plutôt analysés sous l’angle de la beauté ou de la consommation. »

Le zoo est un espace « d’appropriation de l’animal exotique », celui que les visiteurs cherchent à rencontrer avant tout. Les animaux domestiques soulèvent peu d’intérêt, ou seulement dans le contexte des mini-fermes où le contact avec les animaux est permis. Ce que recherchent les visiteurs, c’est bien la rencontre avec l’animal sauvage. Il est imaginé pur, indépendant des hommes. Il incarne la figure emblématique de l’innocence d’un paradis (écologique) perdu, détruit par l’être humain. Ces animaux captifs deviennent alors les représentants de leurs congénères qui évoluent librement dans la nature. L’animal dans l’enclos joue un double rôle : il est à la fois ici (au présent) et d’ici (il vit dans le zoo et n’en sortira pas), tout en évoquant un là-bas (distant, absent et seulement imaginé).

Finalement, c’est toujours en fonction de leur relation à l’espèce humaine que les animaux captifs sont considérés, et il faut que celle-ci soit d’une façon ou d’une autre déstabilisatrice pour qu’ils soient appréciés. L’expérience de la visite au zoo nous questionne inévitablement sur notre place dans l’arbre du vivant. Elle propose une expérience humaine de l’altérité animale. La rencontre avec l’autre, l’inconnu, participe en un sens à l’identification et la définition du soi. La question soulevée est celle du propre de l’Homme, alors même que son unicité est remise en question par des travaux scientifiques (anthropologie, éthologie) et philosophiques.

Conclusion

Sous couvert d’éducation à la conservation de la biodiversité, le visiteur vient se divertir au zoo, dans l’attente fantasmée de la rencontre avec des animaux sélectionnés pour éveiller sa curiosité. Séparés physiquement, l’animal étant placé dans un décor artificiel représentant la nature originelle, comme symboliquement, le visiteur cherche pourtant un contact avec l’animal captif. Ce comportement instinctif questionne la frontière entre leurs deux espèces :  le visiteur personnifie avec empathie l’animal captif, en même temps qu’il contribue par sa visite à sa privation de libertés.

Camille Assié


[1] L’AZA, Association des zoos et aquariums, est une organisation sans but lucratif dédiée à favoriser l’avancement des parcs zoologiques et des aquariums nord-américains dans les domaines de la conservation, de l’éducation, de la science et des loisirs.

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