Fin du commerce d’ailerons de requins en Europe: à la Commission de se prononcer

L’initiative citoyenne européenne (ICE) «Stop finning – Stop the trade» a dépassé le million de signatures et a donc été enregistrée par la Commission européenne le 11 janvier 2023. Elle défend l’interdiction du commerce d’ailerons de requins au sein de l’Unions européenne et vers les pays hors UE.

Une ICE est une pétition officielle adressée à la Commission européenne lui enjoignant de statuer sur un sujet précis. Trois conditions sont nécessaires pour qu’une ICE puisse être présentée devant la Commission: 1) l’ICE doit récolter au minimum un million de signatures valides, 2) ces signatures doivent provenir d’au moins sept États membres et 3) avoir été récoltées sur une durée maximale d’un an.
Initiée en 2020 et largement soutenue par les ONG de protection des milieux marins, telles que Bloom ou Sea Shepherd, l’ICE “Stop Finning” est portée par Niels Kluger, moniteur de plongée à l’origine et membre actif de l’association internationale Sharkproject, qui lutte pour la sauvegarde des requins. L’ICE « Stop Finning » a atteint 1 119 996 signataires en 2022 et a donc été présentée au Commissaire européen pour l’environnement, les océans et la pêche, Virginijus Sinkevičius, le 6 février 2023.

Le “finning” : une pratique cruelle et menaçant les écosystèmes

La pratique du finning ou shark finning consiste à pêcher des requins, découper leurs ailerons à vif, pour ensuite les rejeter agonisants ou morts dans la mer. Cette pratique, portée par un commerce très lucratif, est présente dans le monde entier. En Asie, notamment en Chine et au Japon, les ailerons de requins sont des mets traditionnels de luxe particulièrement recherchés pour leurs vertus réputées thérapeutiques. Hong Kong se place ainsi au premier rang des importations mondiales d’ailerons de requins, responsable de la moitié du commerce mondial. En mai 2020, les autorités hong-kongaises ont procédé à une importante saisie de 26 tonnes d’ailerons, contenus dans deux conteneurs maritimes en provenance d’Équateur, prélevés sur les corps de 38 500 requins en voie de disparition. Certaines nageoires sont en effet issues d’espèces protégées par des conventions internationales. Avec la pêche commerciale, la pratique du finning est l’une des principales menaces qui pèsent sur la survie de ces prédateurs. Et pour cause, le commerce d’ailerons de requins est peu réglementé et l’absence de contrôles a pour effet de laisser prospérer un commerce illégal.

En plus d’être cruelle, la pratique du finning contribue à dérégler les équilibres des écosystèmes marins du fait de la disparition des espèces de requins. Situés en haut de la chaîne alimentaire, les requins sont qualifiés d’espèce « clé de voûte »car ayant un impact structurel sur leur écosystème. Alors qu’un tiers des espèces de requins sont déjà menacées, la pratique du finning pèse sur les populations et amplifie le risque d’atteindre le point de basculement irréversible vers l’extinction de l’espèce. Cette ICE s’insère, à l’échelle internationale, dans une dynamique de protection de la biodiversité marine. La COP15 sur la biodiversité a établi un objectif de protection de 30 % des mers de la planète d’ici 2030. De même, un Traité sur la haute mer vient d’être conclu le 4 mars 2023 sous l’égide de l’ONU, incluant également un objectif de protection des ressources biologiques marines.

Une réglementation européenne incomplète

Par un règlement de 2003, l’UE a interdit les activités de finning, soit le fait « d’enlever les nageoires de requin à bord des navires et de conserver à bord, de transborder ou de débarquer des nageoires de requin » dans les eaux européennes. Jusqu’en 2013, un régime dérogatoire s’appliquait pour certains États membres, comme l’Espagne et le Portugal. L’UE a depuis mis fin à ces régimes dérogatoires, rendant ainsi la pratique du finning officiellement interdite dans l’ensemble des eaux européennes. Si le droit européen autorise la pêche des requins, « les nageoires […] ne sont pas enlevées de la carcasse avant d’être débarquées », de sorte que les requins ne peuvent être pêchés uniquement pour leurs ailerons.

Cependant, le règlement de 2003 ne met pas fin au commerce d’ailerons de requins en UE. Par conséquent, bien que la pratique du finning soit interdite dans les eaux européennes, la vente d’ailerons reste autorisée sur le marché de l’UE. Or, l’interdiction de la pratique du finning ne peut être pleinement efficace sans une interdiction de mise sur le marché des ailerons de requins, dans la mesure où le finning reste une pratique courante dans les pays hors de l’UE.

Par le passé, le législateur européen avait pourtant pris conscience de l’importance d’assortir l’interdiction de certaines pratiques cruelles envers les animaux à une interdiction d’importations et de vente. À titre d’exemple, la fourrure de chats et de chiens est interdite sur le marché européen, ainsi que son importation dans l’UE et son exportation depuis cette dernière, de manière à purger le marché européen de produits non conformes à la législation européenne. Le législateur a également prévu une interdiction stricte de la vente des produits qui en contiennent, parant ainsi aux difficultés d’identification des peaux animales par les douaniers. Il est également possible de citer l’interdiction de capture d’animaux par usage de pièges à mâchoires, également assortie d’une interdiction de vente de tout produit provenant d’animaux ayant été chassés au moyen de ces pièges.

À l’image de ces mesures, les associations à l’origine de l’ICE insistent sur la nécessité d’une interdiction totale des exportations, importations et transit d’ailerons de requins « en vrac », indépendamment de l’espèce. Lors d’une audition publique au Parlement européen en présence de la Commission le 27 mars dernier, les représentants de l’ICE ont encouragé l’UE à suivre la voie des États-Unis, du Canada ou du Royaume-Uni, qui ont déjà interdit le commerce d’ailerons ou sont sur le point de le faire.

L’interdiction du commerce d’ailerons entre les mains de la Commission

À la suite du dépôt de l’ICE devant la Commission et son audition publique devant le Parlement européen, la Commission européenne devra apporter des conclusions juridiques et politiques sur le commerce d’ailerons de requins au sein de l’UE. Cette réponse, sous forme de communication officielle, est attendue pour l’été 2023 et devra contenir un avis motivé des actions que la Commission compte ou ne compte pas entreprendre.

Interdire les importations et les exportations d’ailerons de requins depuis l’UE permettrait à cette dernière de répondre à ses engagements internationaux en termes de développement durable et de préservation de la biodiversité. Une interdiction d’importation et d’exportation au nom de la préservation de l’environnement aurait ainsi pour effet de rendre la politique commerciale de l’UE cohérente avec la volonté des institutions européennes de positionner l’UE en tant que modèle en matière de protection de la biodiversité. Ce faisant, la Commission européenne alignerait le droit européen sur les mesures prises par les autres puissances commerciales, notamment les pays américano-britanniques. L’avenir proche dira si la Commission européenne se donne les moyens de ses ambitions en matière de protection animale et environnementale.

Pauline Koczorowski


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