La protection américaine des grands félins par le « Big Cat Public Safety Act »

En décembre 2022, le Président américain Joe Biden a signé une loi historique visant bien opportunément à protéger les grands félins des pratiques inadmissibles observées aux États-Unis depuis de nombreuses années.

Une législation attendue

Adoptée unanimement en décembre 2022 par le Sénat américain, le « Big Cat Public Safety Act » marque une progression notable en faveur de la protection des grands félins. Animée par des considérations sécuritaires et éthiques, cette nouvelle loi fait notamment suite au documentaire Netflix « Tiger King »[1] et à l’indignation massive de l’opinion publique qui l’a accompagné.

Une avancée majeure contre les exploitations indignes des animaux

En vertu de cette réglementation, seuls les zoos, les universités et les sanctuaires accrédités peuvent dorénavant détenir des fauves. Les particuliers ne pourront donc plus se procurer de grands félins pour servir d’animaux de compagnie. Les individus possédant déjà des fauves se voient dans l’interdiction d’organiser leur reproduction et doivent déclarer leurs animaux auprès de l’U.S. Fish and Wildlife Service (service de la pêche et de la faune sauvage des États-Unis) dans les 180 jours suivant l’adoption de la loi. En outre, toute interaction directe d’un public avec de jeunes tigres, comme le fait de les caresser, de les nourrir, ou de prendre des selfies avec eux, est désormais proscrit.

Jusqu’à la promulgation de cette législation, les grands félins étaient voués à une grande détresse psychologique, arrachés à leur mère sans être sevrés[2], afin de participer à des activités aussi lucratives que sordides visant à considérer l’animal comme un jouet, une chose dénuée de sentience. Mal nourris, enfermés et entassés dans des cages ou des enclos misérables, victimes de croisements malsains destinés à exciter la curiosité, forcés d’interagir avec le public et, le plus souvent, drogués pour ce faire, les grands félins étaient en proie aux pires abus sur le sol américain. Le « Big Cat Public Safety Act » est venu mettre un terme à ces pratiques indignes et codifie sur l’ensemble du territoire une nouvelle approche, plus progressiste, du bien-être animal appliqué aux fauves. Il s’agit d’une avancée interne majeure, porteuse d’espoir pour nombre d’initiatives visant à faire cesser d’autres formes d’exploitations indignes des animaux, parmi lesquelles figurent notamment la « Traveling Exotic Animal and Public Safety Protection Act », qui tend à interdire l’utilisation d’animaux sauvages dans les cirques.

Un frein important au trafic illégal de grands félins

En outre, il importe de souligner que le système américain permettant à n’importe qui d’acquérir un grand félin[3] nourrissait insidieusement le trafic illégal d’espèces sauvages. En effet, la plupart des fauves, parmi lesquels les tigres figurent en grande majorité, étaient achetés par les particuliers alors qu’ils n’étaient encore que des bébés, notamment afin de maximiser les gains relatifs aux possibilités de caresses et de photographies offertes au public. Une fois adultes, plus encombrants et coûtants plus cher, beaucoup de ces animaux étaient vendus au plus offrant, et finissaient souvent par alimenter le marché noir.

Alors même qu’ils sont engagés de longue date dans la lutte multilatérale contre le trafic illégal d’espèces sauvages[4], les États-Unis toléraient jusqu’à présent la perpétration de pratiques qui nuisaient non seulement à l’effectivité de ses dispositions internes en matière de commerce d’espèces sauvages[5], mais aussi à ceux de la communauté internationale dans son ensemble.

Les restrictions d’appropriation dispensées par le « Big Cat Public Safety Act », de même que ses dispositions spécifiquement destinées à interdire le commerce d’espèces ou de parties d’espèces protégées, quel que soit leur détenteur, viennent ainsi combler les failles de la réglementation américaine relative au trafic illégal de grands félins.

Conclusion

L’initiative des États-Unis s’inscrit donc dans une double démarche de protection des grands félins contre toutes formes d’exploitation cruelles et contre tout trafic illégal. En ce sens, elle doit non seulement être applaudie, mais aussi et surtout servir de tremplin, et ce, à double titre. Ainsi, il serait souhaitable que le « Big Cat Public Safety Act » apparaisse comme une étape (certes décisive) en faveur de l’arrêt progressif de toute forme d’exploitation cruelle et irraisonnée des animaux aux États-Unis. En effet, les fondements éthiques qui ont justifié son adoption peuvent être soulevés à l’égard de nombreuses autres pratiques. De même, le mouvement majoritaire observé sur le territoire en faveur d’une reconnaissance et d’une optimisation du bien-être animal appelle clairement à un remaniement approfondi des législations relatives aux animaux.

De surcroît, le « Big Cat Public Safety Act » doit absolument servir d’inspiration à d’autres États, parmi lesquels la France, qui permet encore à ce jour la possession par des particuliers de certains grands félins[6], ou encore les États d’Asie du Sud-Est, qui autorisent les fermes domestiques[7] de lions et de tigres, alors même que celles-ci participent à la prospérité du commerce illégal des grands félins sur la scène internationale. À ce sujet, il importe de préciser que pendant des années, les discussions internationales visant à inciter les États sud-asiatiques à fermer lesdites fermes étaient minées par la captivité des grands félins organisée aux États-Unis. Désormais, il est à espérer que les futurs sommets internationaux relatifs au trafic illégal d’espèces sauvages s’illustreront par des initiatives nationales inspirées des récents progrès américains et d’une volonté incidente de nivellement par le haut.

Meganne Natali


[1] Sorti en mars 2020 sur la plateforme Netflix, le documentaire Tiger King dévoilait les tristes réalités sous-tendues par les centres d’élevages de grands félins aux États-Unis, des conditions de vie sordides aux accointances avec le trafic illégal d’espèces sauvages.

[2] V. notamment les rapports d’inspection en date de 2013 et 2016 de l’United States Department of Agriculture (USDA) concernant les zoos privés tenus respectivement par Monsieur Timothy Stark et Monsieur Bhagavan Antle. V. également “United States District Court Southern District of Indiana New Albany Division, PETA v. Wildlife in Need and Widlife in Deed Inc., Timothy L. Stark, Melisa D. Stark”, Case 4:17-cv-00186-RLY-DML [PDF], ainsi que la “Request that USDA Immediately Cease the Arbitrary and Preferential Treatment of Bhagavan Antle (license no. 56-C-0116)”, on behalf of PETA [PDF].

[3] En effet, ni le « Lacey Act » de 1981 ni le “Captive Wildlife Safety Act” de 2003 n’interdisait la possession des grands félins par des particuliers.

[4] Les États-Unis sont notamment Partie à la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flores sauvages menacées d’extinction (CITES) et ont également signé les Déclarations de Londres sur le commerce des espèces sauvages de 2014 et 2018 ainsi que la Déclaration de Kasane du 25 mars 2015.

[5] On pense ainsi au « Lacey Act » qui encadre les contrôles de légalité des importations d’espèces sauvages sur le sol américain.

[6] En effet, au sein du territoire français, les particuliers peuvent détenir des espèces sauvages, tels que certains grands félins, grâce au passage d’une épreuve d’aptitude, à l’obtention d’un certificat de capacité à assurer l’entretien des animaux concernés et une autorisation d’ouverture d’« établissement », nécessaire même si celui-ci reste circonscrit à un usage privé (V. articles L. 413-4 et R. 413-4 du code de l’environnement et l’arrêté du 8 octobre 2018 fixant les règles générales de détention d’animaux d’espèces non domestiques). Or, compte tenu de la difficulté de s’assurer que les animaux obtenus ne sont pas issus du trafic illégal, de l’impossibilité objective pour des particuliers de maintenir de grands félins dans des conditions en adéquation avec leur bien-être, et, de surcroît, de la rareté des contrôles, une interdiction stricte et totale de possession personnelle de grands félins doit nécessairement faire jour en France.

[7] Les fermes dites “domestiques” sont des établissements d’élevage ayant vocation à satisfaire le marché intérieur sans s’inscrire dans le commerce multilatéral.

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