Le développement des méthodes alternatives aux tests sur animaux plébiscité par les Français

Au regard du nombre d’animaux utilisés dans le cadre de l’expérimentation animale en France (voir l’article précédent), le constat est sans appel : le développement et l’utilisation des méthodes alternatives à l’expérimentation animale n’est pas suffisant. Pourtant, le remplacement de l’utilisation des animaux pour des expériences au profit de méthodes n’utilisant pas d’animaux est plébiscité par les Français. En 2022, les institutions de recherche et le ministère de la Recherche français ont lancé un appel à projets pour financer des méthodes se passant d’animaux. Il était temps.

Une opinion publique réfractaire à l’expérimentation animale

Eurogroup for Animals, fédération d’ONG à l’échelle européenne, dont la LFDA est membre, a commandé un sondage à Savanta sur l’opinion des citoyens sur l’expérimentation animale dans plusieurs États membres de l’Union européenne, y compris en France. Le sondage a été réalisé en novembre 2022. Trois Français interrogés sur quatre (74 %) se disent très préoccupés par l’utilisation des animaux pour la recherche scientifique, les tests réglementaires et l’enseignement. Dans un sondage d’Ipsos réalisé en avril 2023 pour l’association One Voice, la même proportion (74 %) se déclare défavorable à l’expérimentation animale, autrement dit à la réalisation d’expériences ou de tests sur des animaux.

Une demande forte pour des méthodes alternatives

Le rejet massif de l’expérimentation animale lorsque des méthodes permettent de s’en passer

D’après le sondage Ipsos de 2023, 87 % des Français interrogés sont favorables à l’interdiction totale de toute expérimentation animale lorsqu’il est démontré que des méthodes substitutives peuvent être utilisées à la place.

Ils sont 75 % à estimer qu’il faut faire plus pour accélérer le remplacement total des tests sur les animaux, selon l’enquête d’opinion Savanta.

Les méthodes permettant de tester des produits sans passer par les animaux sont donc appelées de leurs vœux par les Français et ce, y compris dans le domaine de la santé. En effet, Ipsos et One Voice ont demandé aux personnes interrogées de choisir entre deux propositions celle qui leur correspond le mieux : 19 % ont choisi « l’expérimentation animale dans le domaine de la santé est nécessaire car la santé humaine est plus importante », contre 81 % pour « on doit chercher à développer des méthodes alternatives à l’expérimentation animale afin de ne plus avoir à faire subir cela à des animaux ». De plus, 84 % se disent favorables à l’autorisation de mise sur le marché de médicaments ayant été testés selon des méthodes alternatives à l’expérimentation animale.

L’appel aux institutions gouvernementales

En termes de politiques publiques, les Français interrogés sont favorables à 89 % à un transfert progressif des financements publics destinés à l’expérimentation animale vers le financement d’organismes scientifiques qui développent des méthodes de recherche sans animaux, selon le sondage Ipsos.

L’autre sondage révèle que 78 % des Français interrogés pensent que la Commission européenne et les États membres devraient élaborer une stratégie coordonnée pour se passer progressivement des animaux dans la recherche scientifique, les tests réglementaires et l’enseignement.

Le souhait de transparence

Enfin, en ce qui concerne l’information aux consommateurs, thème qui est cher à la LFDA, une large majorité de personnes interrogées (87 %) jugent important que le consommateur soit informé de l’existence d’expérimentations animales, lorsque celles-ci ont eu lieu, sur les produits qu’il achète.
Cela concerne notamment les produits ménagers, les herbicides et insecticides, mais aussi, parfois, les produits cosmétiques.

Lire aussi: La labellisation cruelty free et végane des produits cosmétiques 

Le financement de projets sans animaux

L’appel à projets du FC3R

La France s’est dotée d’un centre dédié aux 3R (remplacer, réduire et « raffiner » l’expérimentation animale) appelé France Centre 3R (FC3R). L’un des objectifs de ce centre est de participer au financement de méthodes alternatives. Créé en décembre 2021, le FC3R a lancé en 2022 un appel à projets intitulé : « Remplacement : alternatives aux modèles animaux et produits d’origine animale en recherche ».

Les résultats de l’appel à projets ont été publiés en mars 2023. Au total, le FC3R a reçu 162 dossiers de candidature. Le comité scientifique du FC3R a sélectionné 19 projets pour un financement de 784 467 euros. Le centre ne s’attendait pas à un tel engouement. Cela montre que des chercheurs sont à l’œuvre pour trouver des méthodes scientifiques plus éthiques.

Lire aussi: Création d’un centre national sur les 3R en expérimentation animale

Les projets récompensés

Un quart (26 %) des projets relève du domaine de la cancérologie et un autre quart (26 %), de la physiopathologie (l’étude des perturbations des fonctions organiques, comme la digestion ou la respiration, au cours d’une maladie). La moitié restante se répartie entre l’ingénierie, la physiologie, la toxicologie, l’infectiologie et le développement. Un tiers (32 %) des projets lauréats ont trait au système nerveux, le deuxième tiers (32 %) se divise entre l’étude du système gastrointestinal et du système urogénital. D’autres systèmes étudiés sont les voies respiratoires, le système endocrinien, l’embryon, ou le système cardiovasculaire.

Les méthodes de remplacement lauréates relèvent de la microfluidique (21 %), de la culture 3D (14 %) ou 2D (11 %), des organoïdes (11 %), embryoïdes (7 %) et tumoroïdes (7 %), ou encore de méthodes in silico, c’est-à-dire des modèles mathématiques (7 %). Parmi les méthodes très enthousiasmantes, on découvre :

  • le projet BreasMo, pour imprimer en 3D des tissus mammaires,
  • le projet CHICKTESTIS, pour créer des organoïdes de testicules d’oiseaux afin d’étudier la détérioration de la fonction reproductrice chez les mâles,
  • ou bien le projet MUTABRAIN, pour développer des « mini-cerveaux » à base de cellules humaines afin d’étudier le trouble bipolaire.

Une faille : le remplacement « relatif »

En revanche, d’autres projets s’attachent à un remplacement qualifié de « relatif » dans le milieu scientifique. C’est le moins que l’on puisse dire, puisqu’il s’agit de remplacer des animaux par d’autres animaux. Dans un projet récompensé, le modèle utilisé est un « invertébré […] connu pour ses capacités de régénération ». Il faut savoir que les invertébrés ne sont pas soumis à la législation européenne sur la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques, à l’exception des céphalopodes (seiches, pieuvres…). Un autre projet lauréat étudie le cancer chez la mouche drosophile au lieu de l’étudier chez des souris. Un troisième se vante d’utiliser l’anémone de mer. Ces projets sont considérés comme un remplacement des animaux sentients par des animaux non sentients. Plus problématique, un projet récompensé vise à étudier la mucoviscidose sur les poissons-zèbres car « les jeunes zebrafish sont transparents, permettant de voir le comportement des cellules immunitaires in vivo », d’après le résumé du projet. Les poissons-zèbres sont de plus en plus utilisés dans les laboratoires. Les poissons sont des animaux sentients : ils ressentent la douleur, ainsi que des émotions, et ont une forme de conscience. En tant que vertébrés, ils sont protégés par la législation européenne sur la protection des animaux de laboratoire. À ce titre, ils devraient bénéficier de la règle des 3R, et non en pâtir.

Conclusion

Comme d’autres domaines d’utilisation des animaux, l’expérimentation animale fait l’objet d’attentes sociétales fortes, en témoignent les résultats des sondages évoqués ici. Pourtant, le nombre d’animaux utilisés dans ce domaine ne diminue quasiment pas, malgré la réglementation qui interdit l’utilisation d’animaux lorsque d’autres méthodes existent.

Cela s’explique par le manque de méthodes d’alternatives d’une part, et d’autre part, par le déficit de connaissance des méthodes existantes. La clé est donc le développement des méthodes alternatives à l’expérimentation animale, auquel le FC3R commence à participer avec ses appels à projets. La LFDA y participe aussi grâce à son Prix de biologie Alfred Kastler, qui récompense le développement de méthodes alternatives. Les candidatures sont actuellement ouvertes jusqu’au 30 juin. La LFDA contribue aussi à la dissémination de la connaissance en sensibilisant les milieux scientifiques.

Le président de la fondation, Louis Schweitzer, a participé à une conférence organisée par la Société de Biologie et par Georges Chapouthier, neurobiologiste, philosophe, administrateur de la fondation et rédacteur assidu dans ces colonnes. Intitulée « L’expérimentation animale aujourd’hui… et demain ? », elle a réuni plus de 350 personnes le 18 avril. Les méthodes alternatives y étaient à l’honneur.

Nikita Bachelard


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