Zoos: conservation ou artificialisation de la biodiversité animale?

La biodiversité s’effondre, ce n’est plus un secret pour personne*. Les zoos mettent alors en avant la destruction des habitats pour justifier leur existence comme conservatoires d’espèces en voie de disparition, en présentant l’enfermement d’animaux sauvages comme un mal nécessaire. Or, l’équilibre de la biodiversité ne se résume pas à une collection de spécimens vivants. Dans cet article, nous revenons sur la prise en considération par les zoos des trois niveaux d’organisation qui, ensemble, définissent la biodiversité. Détaillés dans la Convention sur la diversité biologique, il s’agit de la diversité spécifique (des espèces), diversité génétique (des gènes) et diversité écologique (des écosystèmes).

Diversité spécifique : un choix orienté des espèces représentées

* En moins de cinquante ans, les populations de vertébrés (poissons, oiseaux, mammifères, amphibiens et reptiles) ont chuté de 69 % – Rapport Planète Vivante 2022 [PDF]

Alors que l’on connaît des dizaines de milliers d’espèces de reptiles, d’oiseaux et de mammifères dans le monde, la diversité numérique des espèces représentées dans les zoos reste de l’ordre de quelques centaines. Certes, la conservation d’espèces qui ont besoin de beaucoup d’espace ou qui évoluent sous des climats différents est exigeante.
Quand ces espèces sont représentées dans les zoos, leurs conditions de vie sont rarement satisfaisantes. Les espèces discrètes, ou peu différenciables les unes des autres, sont également moins présentes car elles attisent moins la curiosité. Les visiteurs viennent en réalité au zoo pour un nombre réduit d’espèces, en raison des émotions que leur rencontre procure. Les zoos le savent bien, et les mettent en avant dans leur communication pour attirer le plus grand nombre. Il s’agit des grands mammifères, des fauves, des espèces dites « mignonnes », des espèces découvertes depuis peu et enfin, des animaux qui ressemblent à l’homme. L’intérêt est encore plus grand pour les zoos en cas de naissance, l’attraction des visiteurs pour les bébés animaux étant intense et quasi irrépressible.
De cette sélection parmi les espèces résulte que la captivité de la plupart d’entre elles n’est pas liée à leur statut de conservation. En effet, la très grande majorité des espèces détenues dans les zoos européens ne sont pas menacées d’extinction. Les chiffres de deux enquêtes le confirment. Une enquête de 2011 révèle que 95 % d’entre elles n’étaient pas menacées à l’échelle européenne. Il en est de même pour 83 % des espèces de 25 zoos français sélectionnés. Ces résultats parlant d’eux-mêmes, il est légitime de relativiser l’intérêt avancé par les zoos pour la conservation des espèces.

Diversité génétique : des conditions de détention intrinsèquement sources d’appauvrissement

La diversité génétique repose sur quatre facteurs : la dérive génétique, la migration, la sélection naturelle et les mutations. L’évolution naturelle ne s’arrête pas aux portes du zoo, elle est au contraire fortement impactée par le cadre de vie artificiel qu’il impose. Le risque de la captivité est qu’elle modifie les phénotypes (ensemble des caractères apparents d’un individu) des animaux par rapport à ceux de leurs homologues en milieu naturel. Or, de telles différences sont effectivement constatées. Pour éviter ce phénomène, il revient aux gestionnaires de zoos de surveiller de manière proactive ces changements de traits. Pourtant, ceux-ci sont imperceptibles dans un milieu artificiel, et les recherches en la matière sont encore rares.

L’une des principales difficultés résulte en ce que les animaux en captivité appartiennent à des populations de taille réduite. Malgré les échanges entre parcs, le nombre de reproducteurs sexuels est fluctuant et biaisé : les mâles sont très peu nombreux par rapport aux femelles chez certaines espèces, en particulier les mammifères. En résulte de forts taux de consanguinité, les individus des espèces iconiques étant notamment tous issues du même « pool » de parents reproducteurs. La dérive génétique influencée par ces conditions imposées peut aboutir à la disparition de certains caractères génétiques ou à la surreprésentation d’autres, pourtant indésirables pour la survie.

Les zoos s’appuient sur leur appartenance à plusieurs programmes internationaux pour coordonner la gestion des populations animales captives, reproduisant ainsi une migration artificielle. Ce sont des programmes auxquels l’adhésion est volontaire, donc loin d’être optimaux. Résultat : en France, seulement 14 % des espèces observées dans le cadre de l’étude sur 25 zoos précédemment citée semblaient être intégrées dans les Programmes européens d’élevage des espèces en danger d’extinction ou les registres européens d’élevage. 

La sélection naturelle est également biaisée. Les individus qui seraient éliminés dans la nature survivent en captivité, en raison du relâchement des pressions qu’ils auraient subies dans leur environnement. La nutrition inadaptée, la réduction et l’anthropisation du territoire participent à l’évolution des espèces en captivité, rendant les animaux inaptes à la vie dans leur milieu naturel : fauves aux os crâniens raccourcis et élargis, poissons aux corps déformés, papillons perdant le sens de l’orientation… Les cas observés sont multiples.

Des mutations spontanées sont elles aussi exploitées par l’industrie de la captivité. En témoigne la célèbre mutation de leucisme des tigres blancs, dont tous les individus en zoo sont consanguins car issus d’un même tigre capturé en Inde en 1951. Bien qu’à la santé plus fragile et porteurs de nombreuses tares génétiques, ils sont fièrement mis en avant par le zoo de Beauval par exemple, dans une visée commerciale assumée. En conséquence de ces dérives, les zoos sont contraints d’abattre des individus, en partie pour des raisons de durabilité génétique. Lesley Dickie, dirigeante de l’association européenne des zoos et aquariums (European Aquarium and Zoos Association – EAZA*), a estimé en 2014 que jusqu’à 5 000 animaux étaient tués chaque année en Europe. La question de l’euthanasie de gestion est un tabou pour les zoos, qui cherchent à cultiver leur image d’acteurs nécessaires à la conservation de la biodiversité.

Diversité écologique : une reconstitution artificielle et très partielle des écosystèmes

En essayant de recréer artificiellement la nature, les zoos relèguent au second plan la plupart de ses caractéristiques propres, telles que la fonctionnalité, la spontanéité, la complexité… Les animaux captifs vivent dans un environnement quasi totalement contrôlé par l’homme. La température ambiante, le bruit, la luminosité, les densités, le substrat du sol… les conditions de vie sont pensées avant tout pour satisfaire les visiteurs et correspondent trop partiellement aux besoins précis des espèces. De fait, les animaux captifs deviennent souvent incapables de trouver de la nourriture seuls, de résister aux maladies. Ils ne migrent plus, perdent l’acuité de leurs sens. Les conséquences sont graves, allant jusqu’à la dépression des individus. Relâcher de tels individus dans la nature ne participerait d’aucune façon à la survie de l’espèce. Il ne suffit pas de maintenir en vie les individus en surveillant leur santé physique. Leur intégrité dépend de nombreux facteurs auxquels la captivité ne peut répondre.

La captivité influence profondément les structures sociales et relations entre espèces d’un même écosystème, ce qui a un impact majeur sur le comportement des animaux. Dociles avec leurs soigneurs, le rapport à l’homme est façonné dès la naissance. Les animaux d’un même enclos sont régulièrement séparés de leurs congénères au profit de groupes sociaux imposés et fréquemment modifiés. De ce fait, les codes de hiérarchisation sociale sont perturbés. Il ne leur est plus possible de construire une culture commune, comme cela a été documenté à plusieurs reprises chez leurs homologues libres. En captivité, les animaux ne profitent pas ou peu d’apprentissage social, ce qui prive par exemple la capacité des mères à assurer les soins à leurs progénitures.

Conclusion

Finalement, les zoos matérialisent les limites du projet de société que nous expérimentons, sans pour autant tirer d’enseignements de ses résultats. Face à une pression croissante sur les habitats naturels des animaux sauvages, les zoos se disent engagés pour la conservation de la biodiversité. La biodiversité qu’ils conservent est pourtant infime, incomplète et dégradée. Peu leur importe : ils continuent par ce biais de justifier la consommation de la vie d’animaux privés de liberté, au service de notre divertissement.

Camille Assié


*EAZA : Association européenne des zoos et aquariums est une association de parcs zoologiques et d’aquariums européens. Elle a pour objectif de promouvoir la coopération entre établissements zoologiques dans le but de préserver les espèces animales.

ACTUALITÉS