Faire renaître des espèces animales éteintes grâce à la biologie de synthèse

Extinction et dé-extinction des espèces : peut-on faire revenir à la vie celles qui ont disparu ? (partie 2 sur 4). Nous avons vu dans le numéro précédent que les activités humaines ont provoqué l’extinction d’espèces animales et une diminution de leurs effectifs anormalement élevées et rapides. Faire revenir à la vie certaines de ces espèces est aujourd’hui envisageable grâce aux progrès techniques et scientifiques.

Mammouth

Définitions

L’extinction d’une espèce peut être définie comme la disparition totale de l’espèce, ce qui a comme conséquence de réduire la biodiversité. Une extinction d’espèce peut se produire à la suite de facteurs environnementaux, génétiques, démographiques ou de la fragmentation de l’habitat.

Les avancées récentes en génétique, en biologie moléculaire et en biologie de synthèse ont ouvert de nouvelles perspectives dans le domaine de la conservation des espèces et de la résilience écologique. C’est dans ce contexte que la notion de dé-extinction d’espèces est née.

La dé-extinction d’espèces (ou résurrection d’espèces) est définie comme le processus de création d’une espèce analogue à une espèce éteinte. C’est ce qu’on appellera une espèce « proxy », ou espèce de substitution. Trois méthodes existent d’ores-et-déjà.

Le rétrocroisement (back-breeding) 

Principe et étapes

Un phénotype est l’ensemble des caractères physiques et physiologiques observables des individus (taille, couleur des yeux…). C’est par la sélection de certains traits phénotypiques que nous avons domestiqué les animaux utilisés en élevage, par exemple. On a obtenu ainsi des animaux plus dociles et plus productifs.

Le rétrocroisement, quant à lui, vise à « ressusciter » des traits phénotypiques qui ont été perdus ou dilués au cours de l’évolution (Shapiro, 2015). Ces traits sont sélectionnés à partir d’une espèce apparentée bien vivante. Après plusieurs générations, les caractères ancestraux vont prédominer. Les gènes codant pour ces caractères seront néanmoins différents de ceux de leurs ancêtres, puisqu’obtenu par tâtonnements.

Limitations

Le rétrocroisement peut entraîner un degré plus élevé de consanguinité au sein de la population ou favoriser des combinaisons désavantageuses d’allèles. Cela pourrait diminuer les chances de survie de la population (Marsden et al., 2016).

Exemple de l’aurochs

De tous les projets de rétrocroisements, la résurrection de l’aurochs est surement la plus connue à ce jour. L’aurochs (Bos primigenius) est une espèce disparue de bovidés et l’ancêtre sauvage des bovins domestiques actuels. Sous la pression humaine (chasse, empiètement sur son territoire), il disparait peu à peu d’Europe, d’Asie et d’Afrique du Nord. Les derniers individus ont été observés en Pologne au XVIIe siècle (Stokstad, 2015).

L’aurochs possédait une taille plus imposante que celle des actuels bovins et de longues cornes orientées vers l’avant. Les fossiles de l’aurochs nous indiquent qu’il mesurait jusqu’à 1,8 m au garrot, pouvait peser plus d’une tonne et possédait des cornes pouvant atteindre 1,3 m de long. L’élevage sélectif a donc eu pour objectif de retrouver ces traits primitifs.

En 1920, deux scientifiques allemands, les frères Lutz et Heinz Heck, ont initié des programmes pour ramener l’aurochs à la vie. Des bovins domestiques ont été sélectionnés pour la forme de leurs cornes, leur coloration, leur anatomie et leur comportement (Driessen & Lorimer, 2016). Ce projet a finalement abouti à l’aurochs de Heck actuel (van Vuure, 2005). Les aurochs de Heck ont un comportement moins docile que les bovins domestiques mais ne sont pas réellement considérés comme des aurochs primitifs. Pour David MacHugh, généticien à l’University College Dublin, « le rétro-élevage est une manière assez grossière de développer un animal ressemblant à l’aurochs ».

Cent-cinquante ans plus tard, certaines initiatives, comme le programme Tauros, coopération entre des universités et la fondation Stichting Taurus, ambitionnent de créer la race de bétail la plus proche de l’aurochs, morphologiquement parlant. L’objectif avancé est de pouvoir remplir le rôle écologique qu’il remplissait dans les écosystèmes d’Europe avant son extinction.

Le clonage

Principe et étapes

La seconde technique permettant la résurrection d’une espèce est le clonage par transfert de noyau de cellules somatiques (somatic cell nuclear transfer ou SCNT). Toutes les cellules du corps, à l’exception des cellules sanguines, contiennent un noyau qui comporte l’information génétique de l’individu. Le transfert de noyau est une approche plus spécifique comparée à l’approximation du rétrocroisement. L’organisme nouvellement formé sera identique au donneur sur le plan du génome nucléaire : le clonage crée une copie génétique exacte (Shapiro, 2017).

La première étape du transfert de noyaux, appelée « énucléation », permet d’obtenir une cellule dépourvue du noyau (la cellule « hôte »). La cellule en question est un ovocyte, c’est-à-dire une cellule sexuelle femelle non fécondée. Cette énucléation est suivie du transfert et de la fusion avec une cellule somatique (cellule non sexuelle) qui contient le matériel génétique du « donneur » à cloner (Simerly et al., 2003 ; Fulka Jr et al., 2004).

Cet ovocyte sera ensuite stimulé chimiquement ou électriquement, ce qui activera la multiplication cellulaire et le développement de l’embryon. En effet, cette reprogrammation transforme la cellule obtenue en une cellule souche pluripotente indifférenciée, c’est-à-dire une cellule non spécialisée qui peut donner tous les types de cellules qui composent un organisme. La cellule obtenue peut se développer comme un embryon à la suite de la fécondation de l’ovule par un spermatozoïde.

En 1996, le premier mammifère cloné à partir de cellules somatiques adultes est la célèbre brebis écossaise Dolly (Wilmut et al., 1997). Depuis, d’importantes améliorations ont été obtenues aussi bien d’un point de vue technique que dans la compréhension de la reprogrammation cellulaire.

Limitations

Malgré les perspectives que le clonage peut offrir en matière de résurrection d’espèces éteintes, elle est également soumise à certaines limitations techniques. Le clonage nécessite des cellules vivantes intactes, ce qui pose problème pour la plupart des espèces éteintes. En mourant, l’ADN composant les tissus d’un organisme se dégrade très rapidement.

De plus, dans la mesure où des cellules de qualité seraient bel et bien disponibles et si les noyaux étaient viables (donc dans de rares cas), le clonage produirait un seul « jumeau génomique » de l’individu de l’espèce éteinte (Sherkow & Greely, 2013). Il faudrait avoir conservé suffisamment d’ADN d’individus non apparentés pour éviter la consanguinité et pouvoir reformer une espèce viable.

Exemple du Bucardo, bouquetin des Pyrénées

La première naissance par clonage d’un animal d’une sous-espèce disparue est le bouquetin des Pyrénées (Capra pyrenaica pyrenaica). Le Bucardo était l’une des quatre sous-espèces du bouquetin espagnol vivant à la fois dans les montagnes méditerranéennes espagnoles du sud et de l’est (Folch et al, 2009). Deux expériences ont été réalisées pour cloner la chèvre éteinte.

Les noyaux cellulaires de la cellule « donneur » provenaient de cellules décongelées et cryoconservées depuis 1999 à partir du dernier individu vivant femelle, elle-même décédée en 2000. Les cellules hôtes dont le noyau a été retiré étaient des ovocytes matures prélevés dans les oviductes de chèvres domestiques, une espèce proche du Bucardo. Les ovocytes ont été couplés par électro-fusion aux noyaux des cellules de Bucardo de 1999.

Sur plus de 300 embryons, une seule chèvre receveuse a maintenu la gestation à terme. Cette expérience a fait naître par césarienne une Bucardo femelle morphologiquement normale. Elle est morte quelques minutes après la naissance à la suite de problèmes pulmonaires. Il s’agit ici du tout premier animal né d’une sous-espèce éteinte. L’analyse de l’ADN nucléaire a confirmé que le clone était génétiquement identique à l’original.

L’édition du génome (genome engineering)

Principe et étapes

Si l’extinction de l’espèce s’est produite bien avant que des tissus et des cellules n’aient pu être prélevés et conservés soigneusement, le clonage n’est plus une option. Dans ce cas, la troisième technologie pouvant permettre de ressusciter une espèce disparue repose sur l’ingénierie du génome, ou édition du génome.

« Il est impossible de cloner des espèces pour lesquelles il n’existe plus de cellules vivantes. L’ingénierie du génome pourrait donc être le seul moyen pour ramener à la vie des espèces éteintes ou, plus précisément, des traits éteints » (Shapiro, 2015).

La technique CRISPR-Cas9, découverte en 2012, a révolutionné cette technologie. Elle permet de modifier de façon ciblée le génome d’un individu et donc de moduler l’expression de son génome. CRISPR-Cas9 est une molécule complexe trouvée notamment chez les bactéries. Elle agit comme un « ciseau moléculaire ». En bref, CRISPR-Cas9 permet de repérer une séquence particulière du génome grâce à une molécule « guide », de le couper à l’aide de l’enzyme Cas9, et d’ajouter, de supprimer ou de modifier des morceaux d’ADN dans la séquence ciblée.

La première étape de l’édition du génome sera donc de séquencer et d’assembler un génome à partir des restes d’un individu de l’espèce considérée. Les séquences, une fois connues, vont permettre des analyses pangénomiques, c’est-à-dire des analyses de variations génétiques chez les individus pour étudier leurs corrélations avec des traits phénotypiques. « Ces analyses peuvent ensuite être utilisées pour créer des listes de différences génétiques entre les espèces éteintes et leurs plus proches parents vivants » (Shapiro, 2015).

Limitations

Parmi les limites que peut avoir l’édition de génomes, nous pouvons mentionner la fragilité de la molécule d’ADN. Nombre d’incertitudes et de délétions dans la séquence d’ADN sont imputables à sa dégradation avec le temps. Il y a une limite à la distance qu’il nous est possible de franchir en remontant dans le passé.

L’édition du génome nécessite donc un « parent proche » vivant pour fournir les bonnes séquences de gènes susceptibles de compléter les trous. Les hybrides obtenus ne seront par définition pas identiques, ni sur le plan génotypique, ni sur le plan phénotypique, à l’espèce éteinte.

Pour finir, des effets épigénétiques (modification de l’expression des gènes non fondées sur des changements dans la séquence de l’ADN) pourraient altérer les traits des espèces proxy (hybrides) et les rendre imprévisibles.

Exemple du mammouth

Les dégradations chimiques et enzymatiques sont ralenties à de faibles températures. Cela a orienté les efforts de recherche vers les espèces éteintes ayant vécu dans des conditions très froides, comme le mammouth.

George McDonald Church, professeur de génétique à la Harvard Medical School, et son équipe ont déjà fait état d’un certain succès dans l’édition du génome de cellules d’éléphants, de sorte qu’elles contiennent des séquences du mammouth laineux (Yirka, 2014).

Le professeur a pour objectif de créer des éléphants génétiquement modifiés possédant les adaptations morphologiques et physiologiques au froid de son ancêtre pour rétablir les fonctions et interactions écologiques perdues. Par exemple, les individus créés pourraient aider à maintenir le pergélisol dans les régions polaires, comme la Sibérie. Ce sol gelé piège notamment le méthane et le CO2.

Conclusion

De nombreuses espèces disparaissent, et avec elles le rôle qu’elles remplissaient dans les écosystèmes. La question de les faire revenir à la vie se pose. Nous avons vu que cela était techniquement possible, dans une certaine mesure. Mais est-ce vraiment bien utile ? Nous verrons plus en détail au prochain numéro les bénéfices et les inconvénients liés à la résurrection d’espèces éteintes.

Mehdi Miniggio & Sophie Hild

Cet article est basé sur le rapport « Dé-extinction d’espèces – Enjeux scientifiques et éthiques » réalisé en 2023 à la LFDA dans le cadre du Master « biodiversité, écologie et évolution » à Sorbonne Université.

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