La place de l’éthique animale dans les systèmes éducatifs européens

Les autres pays européens intègrent-ils l’éthique animale dans l’enseignement des élèves ? Cet article dresse un parangonnage non-exhaustif des actions gouvernementales et initiatives associatives en la matière.

En France, l’éthique animale reste à la marge des programmes et manuels scolaires. Si la situation est parfois la même dans d’autres pays européens, certains États ont directement intégré le bien-être animal, et parfois même les droits des animaux, dans leurs programmes scolaires. Au niveau européen, le projet de recherche EDUCAWEL a étudié les activités et informations sur le bien-être animal à travers toute l’Union européenne. Le rapport final, publié en 2016, propose une analyse de la législation et des systèmes éducatifs et un premier état des lieux concernant l’enseignement de l’éthique animale en Europe.

Quelle est donc la situation chez nos voisins, en Europe, concernant la place de l’éthique animale dans les programmes scolaires ? Les lois, programmes et initiatives d’organisations à but non lucratif en Belgique, Suisse, Allemagne, Royaume-Uni, Italie, Suède, Finlande, Autriche et Pologne ont été étudiés afin de proposer cet article comparatif mettant en perspective la situation française avec le reste de l’Europe.

L’Italie

L’Italie est l’un des pays européens les plus en avance concernant l’intégration de l’éthique animale aux programmes scolaires. Bien que l’éthique animale ne soit pas explicitement mentionnée dans les programmes, l’association italienne LAV, créée en 1977, a passé en 1999 un accord avec le ministère de l’Éducation et du Mérite (ministero dell’istruzione e del merito) : l’association produit des contenus sur le bien-être animal et le ministère s’engage à les soutenir et les diffuser dans le monde de l’éducation. Le ministère italien de l’Éducation promeut donc l’enseignement du respect et de la protection des animaux et de l’environnement dans les cycles primaires et secondaires. L’accord a été renouvelé en 2020 et est aujourd’hui axé sur l’éducation civique en particulier, matière qui intègre depuis 2019 le respect des animaux (article 3 §3 de la loi du 20 août 2019, n. 92)

La Finlande

Un autre pays européen à la pointe de l’intégration du bien-être animal dans les programmes est la Finlande. Les droits des animaux et le bien-être animal sont abordés dans de nombreuses matières : étude de l’environnement (primaire), biologie (collège), religion luthérienne (collège), vision de la vie (collège et lycée) et philosophie (lycée). La présence aussi importante de ces sujets peut s’expliquer par l’implication directe de deux associations, Suomen Eläinsuojeluyhdistus (SEY) et Animalia, fondées respectivement en 1901 et en 1961, dans la rédaction des programmes scolaires. En outre, l’association SEY organise chaque année une « semaine des animaux », et les matériels pédagogiques créés à cette occasion sont commandés par des écoles et des crèches pour environ 140 000 enfants[1]. Ainsi, dans les cas italiens et finlandais, il est possible de constater l’impact produit par l’implication directe d’associations sur le contenu des programmes scolaires concernant l’intégration de l’éthique animale et des droits des animaux.

La Belgique (Wallonie)

Le sujet est parfois abordé non pas dans les lois et programmes dédiés à l’enseignement, mais dans le cadre de lois et règlements sur le bien-être animal, qu’ils soient régionaux, locaux ou nationaux. Par exemple, l’éducation est mentionnée dans le code wallon du bien-être animal : « […] le Gouvernement met en œuvre, selon les modalités quil fixe, un support électronique d’éducation et de sensibilisation en faveur du bien-être animal à destination de personnes mineures d’âge » (article D.2.). Ainsi, l’éthique animale et le statut moral des animaux sont abordés dans les programmes scolaires des cours de citoyenneté des cycles primaire et secondaire ainsi que dans les cours de philosophie dans le secondaire. Il est important de noter que ces programmes ne se contentent pas d’aborder le bien-être animal, mais mentionnent aussi les droits des animaux.

L’Autriche

En Autriche, la loi sur le bien-être animal de 2005 indique, à l’article 2, que « les autorités publiques sont dans lobligation de créer et dapprofondir la compréhension de la protection animale chez la population, et en particulier chez les jeunes, […] afin de développer et soutenir les systèmes de protection des animaux, la protection animale dans le cadre de la recherche scientifique, ainsi que nimporte quel autre sujet lié à la protection animale » (traduction libre). C’est d’ailleurs après l’entrée en vigueur de cette loi qu’a été créée l’association Tierschutz macht Schule (« le bien-être animal va à l’école ») afin de soutenir l’éducation sur le bien-être animal. Depuis 2006, l’association distribue des ressources pédagogiques à près de 1 500 écoles en Autriche. En 2014, l’éthique animale a fait son entrée dans les programmes scolaires autrichiens. En outre, l’association propose une formation pour enseignants sur la protection des animaux et l’éthique animale, ce qui est nécessaire pour assurer la qualité des enseignements sur le sujet et sensibiliser les professeurs à son importance.

La Pologne

La Pologne mentionne également la protection des animaux et le bien-être animal dans ses programmes. La loi sur la protection animale de 2010 affirme que : « Le programme scolaire dans tout type d’école devrait maintenant permettre daborder les enjeux de la protection animale ainsi que la création dassociations au sein de l’école pour les amoureux des animaux » (traduction libre). Plus particulièrement, le cycle secondaire fait référence aux droits des animaux. Toutefois, un membre du ministère de l’Éducation nationale a déclaré en 2021 que les droits des animaux n’existaient pas et qu’ils seraient retirés des programmes scolaires pour ne pas endoctriner la jeunesse. Deux ans plus tard, rien n’a changé, mais cet exemple montre que les droits de animaux, bien qu’ils soient inscrits dans les programmes, sont loin de faire l’unanimité au sein du gouvernement.

La Suisse

En outre, tous les pays européens n’ont pas intégré l’éthique animale à leurs programmes. Dans plusieurs pays, des associations ont tenté sans succès de changer les programmes scolaires. En Suisse, le Conseil d’État a rejeté en 2018 une pétition déposée par l’association Pour l’égalité animale (PEA) qui demandait l’intégration de l’éthique animale et du respect des animaux dans les programmes scolaires. En effet, le Conseil d’État du canton de Neuchâtel considère que l’enseignement est implicite dans le cadre de l’éducation au développement durable présente dans les programmes et a suggéré que l’association PEA propose plutôt des formations pour enseignants dans le cadre de la formation continue. Certains membres de la commission du Grand Conseil de Neuchâtel qui a rendu un avis sur la pétition ont déclaré que soutenir la pétition pourrait ouvrir la porte à de la propagande idéologique dans les écoles.

Le Royaume-Uni

De même, l’association Royal Society for the Prevention of Cruelty to Animals (RSPCA) a lancé en 2022 une pétition à l’intention du gouvernement britannique pour intégrer le bien-être animal dans les programmes. Ainsi, bien que le Royaume-Uni soit l’un des pays les plus soucieux du bien-être animal en Europe, l’éthique animale ne fait pas encore partie des programmes scolaires.

L’Allemagne

En Allemagne, les associations sont très actives pour proposer des ressources pédagogiques sur l’éthique animale, qui n’est pas abordée non plus dans les programmes scolaires. Elle peut être implicitement enseignée en biologie, mais n’apparaît pas explicitement dans les curriculums. En 2015, l’association Weil Tiere Rechte Haben (« Parce que les animaux ont des droits ») a lancé une pétition pour intégrer les droits des animaux dans les programmes scolaires et organise chaque année un concours entre écoles pour aborder l’éthique animale de façon ludique. D’autres associations mettent à disposition des parents et des enseignants des ressources pédagogiques en ligne sur le sujet du bien-être animal, comme par exemple l’association Tierschutz in der Schule (« La protection des animaux à l’école »).

La Suède

La situation est similaire en Suède, où le bien-être animal n’est pas abordé dans les programmes scolaires. Le Projet Respekt Empati Djur Etik (« Respect Empathie Animaux Éthique » – REDE) a été lancé par l’association Djurskyddet Sverige (« Protection des animaux Suède ») en 2007. Le projet propose des exercices et contenus pédagogiques adaptés directement aux programmes afin de facilement s’insérer dans le cadre des chapitres existants, facilitant ainsi leur utilisation par les professeurs. Les associations de ces pays s’efforcent donc de pallier l’absence de l’éthique animale dans les programmes.

Une implication variable des gouvernements

Pourtant, ce ne sont pas toujours les associations qui proposent des contenus supplémentaires sur l’éthique animale. Le gouvernement wallon lui-même propose des ressources pédagogiques, comme par exemple le projet Pense-bête pour sensibiliser les enfants au respect des animaux de compagnie. L’implication directe du gouvernement wallon dans la création des contenus est une différence importante avec les autres cas étudiés ici. Elle montre que l’éthique animale est largement intégrée dans les programmes et ne reste pas en périphérie, à la marge des curriculums.

Conclusion

Ainsi, certains pays européens sont plus avancés que la France en ce qui concerne l’intégration de l’éthique animale dans les programmes scolaires, comme la Belgique, l’Italie, ou encore la Finlande. La participation d’associations dans le processus de rédaction des programmes a été un facteur de succès dans plusieurs pays, et l’implication directe de certains gouvernements dans la création et la diffusion de ressources pédagogiques indique l’institutionnalisation du sujet. Dans les pays où l’éthique animale n’est pas abordée, les initiatives se multiplient, notamment sous la forme de pétitions à l’intention du gouvernement.

Jordane Liebeaux


[1] Communication personnelle avec l’autrice, 13 juin 2022.Retour

LIRE AUSSI : SUPPLÉMENT REVUE 120 : L’ANIMAL ET L’ÉCOLE

ACTUALITÉS