Quelle est notre responsabilité envers les animaux sauvages libres ? Si tenter de limiter nos impacts négatifs ou de les mitiger nous paraît tomber sous le sens, nos actes sont-ils vraiment bénéfiques ?

Diverses catégories d’animaux
Les animaux sauvages libres se distinguent des animaux sauvages dits captifs, qui sont sous la garde des humains. Ils sont appropriés : ils appartiennent à quelqu’un, que ce soit un zoo, un particulier, un éleveur (sangliers, faisans…). Ceux qui vivent en liberté sont res nullius (la chose de personne). En captivité, ils sont protégés par la loi française : la négligence et la cruauté sont interdites. En liberté, elles ne le sont pas. Un même animal, comme typiquement les animaux élevés pour être libérés et chassés, peut passer de la catégorie protégée (car captif et propriété du chasseur l’ayant acquis) à la catégorie non protégée au moment de son relâcher.
Parallèlement, des espèces ne sont plus considérées sauvages lorsqu’elles ont été transformées par l’humain pour s’adapter à une utilisation par l’humain (par sélection artificielle ou modification génétique), pour la compagnie ou l’exploitation par exemple. Ce sont les espèces domestiques, comme les chevaux, les chiens, les poules, ou même les vers à soie. Dans certains cas, des animaux d’espèces domestiques peuvent retourner à la nature et devenir ce que l’on appelle « férals », comme nous le verrons dans ce numéro.
Parmi les animaux sauvages, certains vivent un peu entre les deux mondes : ni sélectionnés par les humains, ni complètement indépendants. Ce sont les animaux liminaires, souvent commensaux, comme les pigeons en ville ou les rats. Ces animaux sont des opportunistes : ils profitent de nos sociétés, de la protection relative, de la nourriture gâchée… généralement sans nous porter préjudice – des conflits peuvent exister. Ils sont plus ou moins tolérés : les araignées et les cafards ne sont généralement pas très aimés. Certains nous sont très utiles en se servant dans nos déchets alimentaires, comme les corneilles ou les rats, ou en régulant les surpopulations (faucons, renards…).
Certains animaux d’espèces non domestiquées peuvent également se rapprocher d’humains et devenir apprivoisés. L’apprivoisement est individuel et ne se transmet pas à la descendance ; l’espèce reste sauvage.
Agir pour les animaux sauvages libres
Les animaux sauvages à l’état de liberté ont toujours représenté un sujet important pour la LFDA. Dès ses débuts, la LFDA s’est battue contre les braconniers, contre la chasse cruelle (dont celle à l’arc et à la glu), introduisait des recours en annulation devant le Conseil d’État à l’encontre d’arrêtés ministériels ouvrant prématurément ou illégalement certaines chasses… Elle a agi seule ou en coopération avec d’autres organisations pour atteindre l’objectif d’interdire les pratiques humaines qui infligent sans aucune justification douleur et stress aux animaux sauvages libres. La LFDA continue à agir pour la prise en compte des intérêts de ces animaux. Elle agit auprès des pouvoirs publics et publie régulièrement des informations sur ce sujet. Récemment, un colloque leur était consacré (2021) ainsi qu’un supplément à la revue n° 111.
Développements inquiétants
De récents développements nous font réaliser que le sujet de la relation humains-animaux sauvages libres demeure actif et que les avancées en leur faveur ne sont jamais réellement assurées.
Le loup
En 2025, le loup a perdu en Europe son statut d’espèce strictement protégée pour devenir une espèce simplement protégée. Cette évolution découle d’une décision prise le 3 décembre 2024 par le comité permanent de la Convention de Berne, qui a voté le déclassement du loup de l’annexe II (espèces strictement protégées) à l’annexe III (espèces protégées). Cette décision est entrée en vigueur le 7 mars 2025 avant d’être entérinée par l’Union européenne.
Concrètement, ce déclassement ne fait pas disparaître toute protection du loup, mais il allège les conditions de régulation. Jusqu’ici, toute dérogation permettant d’abattre des loups en cas de dégâts sur les troupeaux devait répondre à des critères très stricts. Avec ce nouveau statut, les États membres disposent d’une marge de manœuvre plus large pour autoriser des tirs, ce qui pourrait faciliter la gestion des populations de loups dans les zones d’élevage.
La décision a provoqué de vives réactions. Les ONG environnementales comme l’ASPAS, la LPO ou FERUS l’ont dénoncée comme une décision politique déconnectée des données scientifiques, soulignant que le loup reste vulnérable dans plusieurs pays européens et que ce déclassement pourrait menacer son rétablissement. À l’inverse, les syndicats agricoles et certaines associations d’élus locaux l’ont saluée comme une avancée qui répondrait enfin à la détresse des éleveurs confrontés aux attaques de loups.
La situation n’est cependant pas uniforme. Des pays comme le Portugal, la Pologne ou la Belgique ont déjà annoncé qu’ils ne mettraient pas en œuvre ce déclassement et qu’ils maintiendraient des mesures de protection strictes pour l’espèce. En France, le gouvernement doit encore transposer la directive européenne, mais les débats sont très vifs entre les représentants du monde agricole et les associations de protection de la nature. Certains collectifs envisagent déjà des recours juridiques ou une pression politique au niveau européen pour tenter de revenir sur cette régression dans la protection du loup.
Les « espèces susceptibles d’occasionner des dégâts »
En France, les espèces susceptibles d’occasionner des dégâts (Esod) sont des animaux pouvant, pour des raisons liées à la santé publique, la sécurité, la protection de la faune et de la flore, les activités agricoles, forestières ou aquacoles, ou encore la préservation des biens, faire l’objet de mesures de régulation en dehors des périodes habituelles de chasse. Ce terme, introduit en 2016 par la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, a remplacé l’appellation « espèces nuisibles » jugée trop stigmatisante, par une approche plus contextualisée et moins péjorative*.
Les Esod sont regroupées en trois grandes catégories. La première rassemble des espèces exotiques envahissantes, présentes sur tout le territoire, comme le ragondin, le rat musqué ou le raton laveur, qui sont inscrites sur une liste nationale. La seconde catégorie comprend des espèces indigènes comme la belette, la fouine, le renard ou la corneille noire, inscrites pour trois ans sur proposition des préfets et après avis d’instances locales de la chasse et de la faune sauvage. Enfin, la troisième catégorie concerne des espèces locales comme le sanglier ou le lapin de garenne, qui peuvent être classées Esod pour un an lorsque des dégâts sont constatés.
Le classement en Esod autorise des interventions en dehors des périodes de chasse, avec des moyens spécifiques tels que le piégeage, le tir ou le déterrage. Cependant, ces mesures sont encadrées et ne peuvent être mises en œuvre que par des personnes habilitées, comme les piégeurs agréés ou les lieutenants de louveterie. En théorie, le classement repose sur des critères mesurables : des dégâts économiques significatifs, souvent évalués à plus de 10 000 euros sur trois ans, et une population jugée suffisamment abondante, avec par exemple un seuil symbolique de 500 animaux prélevés.
Pourtant, de nombreuses études scientifiques soulignent que l’efficacité de cette régulation létale est très variable et souvent limitée dans le temps. Les prélèvements peuvent réduire localement les nuisances mais ne suffisent pas à long terme, car les populations animales se reconstituent rapidement, notamment grâce à la reproduction compensatoire ou aux mouvements d’individus depuis les zones voisines. Dans certains cas, les effets écologiques de ces destructions peuvent même être contre-productifs, en perturbant les équilibres locaux.
Le rapport n° 015518-01 de l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD) publié fin 2024 a montré que la France fait figure d’exception en Europe par l’ampleur de son recours aux régulations létales. D’autres pays privilégient des solutions alternatives, comme la prévention, l’éloignement, la stérilisation ou l’indemnisation des dégâts, et ne recourent à la destruction qu’en dernier ressort. Le rapport recommande ainsi d’améliorer la collecte de données pour évaluer précisément les dégâts, d’intégrer les suivis des Esod dans les systèmes d’information sur la biodiversité, et de privilégier des méthodes non létales lorsque c’est possible.
Questionnements sur les interventions humaines
Nous avons donc choisi dans ce numéro de nous interroger sur ces animaux qui vivent, a priori, leur « vie naturelle ». En réalité, les animaux sauvages libres ne sont pas indépendants de l’influence humaine, ne serait-ce que par les impacts significatifs de nos comportements sur leur milieu de vie, par voie directe ou indirecte (chasse, artificialisation des milieux, modification globale du climat, perturbation des cycles biogéochimiques…). Les écosystèmes sont dynamiques et évoluent en permanence, mais le rythme extrêmement rapide imposé par l’humain soumet à rude épreuve nombre de nos coexistants.
On peut s’interroger sur notre relation avec la faune sauvage, sur nos responsabilités et notamment sur la mitigation de nos actions négatives. Où placer les limites ? Avons-nous l’obligation morale d’aider un animal sauvage blessé et de l’amener en centre de soins jusqu’à ce qu’il se rétablisse ? D’abréger ses souffrances s’il est aux portes de la mort ? De faire naître et de relâcher des animaux disparus dans des milieux qui les ont un jour portés ? Doit-on se limiter à la réparation de nos propres dégâts ? Aller jusqu’à sauver toutes les gazelles de tous les lions de la nature ? Le curseur est difficile à placer, et probablement impossible à fixer.
Le bien-être des animaux que l’on a sous sa garde (domestiqués ou sauvages captifs) est notre responsabilité (morale et juridique). Quid de celui des animaux qui évoluent librement, loin de nous et en théorie indépendamment de nous ? En effet, beaucoup d’entre eux sont sensibles, et l’on découvre la capacité de sentience chez de plus en plus d’espèces, y compris invertébrées.
Nicolas Bureau et Sophie Hild