La mise à mort des animaux sauvages en Belgique : un statut juridique en mutation

La Belgique offre un exemple singulier en Europe : la mise à mort des animaux sauvages y est encadrée par un ensemble de normes régionales et fédérales, désormais adossées à un principe constitutionnel.

Perdrix grise

Depuis 2024, l’article 7bis de la Constitution impose aux pouvoirs publics de « veiller à la protection et au bien-être des animaux en tant qu’êtres sensibles » dans l’exercice de leurs compétences respectives. Cette reconnaissance solennelle, rare en droit, place la protection des animaux sauvages dans le champ des obligations fondamentales de l’État. La Ligue royale belge pour la protection des oiseaux avait été très active pour l’adoption de ces améliorations.

Un socle légal et constitutionnel renforcé

La réforme du code civil belge de 2020 va dans le même sens. Le livre 3, consacré aux biens, distingue clairement les animaux des choses et des personnes. L’article 3.39 affirme : « Les animaux sont doués de sensibilité et ont des besoins biologiques. Les dispositions relatives aux choses corporelles s’appliquent aux animaux, dans le respect des dispositions légales et réglementaires qui les protègent et de l’ordre public ». Cette double reconnaissance, constitutionnelle et civile, forme un socle juridique inédit. Elle rend plus difficile toute interprétation qui considérerait les animaux sauvages comme de simples objets de chasse ou de régulation.

La compétence « bien-être animal » a été transférée aux régions en 2014. La Wallonie a adopté, en 2018, le code wallon du bien-être animal (CWBEA). Ce texte s’applique à tous les animaux, dont les animaux sauvages. Son article D.57 est central : « Un animal est mis à mort uniquement après anesthésie ou étourdissement », puis il précise que cette obligation connaît quatre exceptions : la force majeure, les pratiques de la chasse ou de la pêche, la lutte contre les organismes nuisibles et certaines opérations de conservation de la nature.

Même dans ces cas, la règle reste, sur le papier en tout cas, assez exigeante. La mise à mort doit être effectuée « par une personne disposant des connaissances et capacités requises, et selon la méthode la plus sélective, la plus rapide et la moins douloureuse ». Autrement dit, si la chasse échappe à l’obligation d’étourdissement, elle n’échappe pas au devoir d’éviter toute souffrance évitable.

Le Conseil wallon du bien-être animal (CWBEA) a été chargé d’évaluer l’application de ces principes aux animaux sauvages. Dans un rapport scientifique de 2022, réactualisé en 2024, des chercheuses de l’université de Liège soulignent que la législation sur la conservation de la nature qui était en vigueur depuis 1973 ne faisait pas explicitement mention du bien-être animal. Elles recommandaient de suivre l’évolution du droit en imposant que les méthodes de régulation soient toujours choisies en fonction de leur capacité à limiter la souffrance.

Le rapport insiste également sur l’importance de la compétence des personnes chargées des mises à mort. Certaines techniques, comme le piégeage ou l’empoisonnement, génèrent une souffrance importante et prolongée. D’autres, comme le tir direct dans des conditions strictement encadrées, peuvent être considérées comme plus rapides et sélectives. Le CWBEA préconise d’exclure les pratiques les plus cruelles et de définir des standards précis, applicables quelle que soit l’espèce concernée.

En 2024, la Flandre a adopté à son tour un « Codex du bien-être animal ». L’article 36 reprend presque mot pour mot les exigences wallonnes : un vertébré ne peut être tué qu’après étourdissement, sauf exceptions (force majeure, chasse, pêche, lutte contre les nuisibles). La mise à mort doit être réalisée par une personne qualifiée, selon la méthode la plus rapide et la moins douloureuse. Cette convergence des régions renforce la cohérence du système belge et montre que le standard minimal est désormais partagé à l’échelle nationale. Sur ce point, la Belgique va plus loin que ses obligations européennes.

À l’échelle de l’Union européenne, le règlement (CE) n° 1099/2009 sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort impose des règles strictes. Toutefois, son article 1er exclut explicitement les activités de chasse et de pêche récréative. Cette exclusion laisse chaque État membre libre de définir ses propres normes pour les animaux sauvages. La Belgique a donc choisi d’aller au-delà de ce minimum, en intégrant dans son droit interne une obligation générale de réduire la souffrance lors de la mise à mort, y compris dans les contextes de chasse et de régulation.

Les limites et perspectives d’amélioration

Si le modèle belge représente une avancée significative, il n’est pas exempt de critiques. Le rapport du CWBEA pointe par exemple plusieurs lacunes. Les exceptions prévues par le code wallon, notamment pour la chasse, restent larges et peuvent fragiliser l’effectivité du standard. Surtout, l’exigence de « connaissances et capacités » pour la mise à mort n’est pas encore définie dans un référentiel précis.

Une amélioration possible consisterait à créer une certification spécifique, semblable à celle exigée en abattoir par le règlement européen 1099/2009. Elle garantirait que toute personne mise en situation de tuer un animal sauvage dispose d’une formation adéquate et actualisée. Un autre progrès résiderait dans la traçabilité : relever les cas d’animaux blessés et non retrouvés, documenter les méthodes utilisées, publier des données permettant d’évaluer l’impact réel des pratiques de chasse et de régulation.

Vers une évolution éthique : dépasser la simple régulation létale

L’encadrement juridique actuel en Belgique, en imposant que toute mise à mort d’animaux sauvages soit réalisée « selon la méthode la plus rapide, la plus sélective et la moins douloureuse », constitue une avancée notable. Mais cette exigence se limite au comment de la mise à mort. La réflexion éthique invite à franchir un pas supplémentaire : questionner le pourquoi et le faut-il de ces mises à mort.

La chasse est en effet une pratique qui échappe, par tradition et par exception légale, à plusieurs règles générales de protection animale. Les études scientifiques, reprises notamment dans les travaux du CWBEA, montrent que les tirs non létaux sont fréquents et entraînent des agonies prolongées, ainsi que la mort différée de jeunes privés de leur mère. Or, la reconnaissance de l’animal comme « être sensible » par la Constitution et le code civil impose d’accorder une valeur juridique et morale à ces souffrances invisibles.

Sur le plan utilitaire, la chasse se justifie souvent par l’argument de la régulation des populations animales. Pourtant, des alternatives existent et sont aujourd’hui expérimentées dans divers pays : la contraception immunologique pour limiter la reproduction des cervidés, la réintroduction de prédateurs naturels, ou encore l’aménagement d’habitats favorisant un équilibre écologique sans intervention létale systématique. Ces options, encore peu développées en Belgique et en France, méritent d’être mises au centre du débat public. Elles offrent la possibilité de concilier gestion de la faune et respect de la sensibilité des animaux.

Une évolution éthique suppose également de redéfinir la place de la chasse dans la société contemporaine. Si elle conserve une dimension culturelle et récréative pour ses pratiquants, cette justification est difficile à concilier avec les principes constitutionnels récents. Dès lors que l’État reconnaît que les animaux ne sont pas de simples ressources, mais des êtres sensibles, il devient cohérent d’interroger la légitimité de tuer pour le loisir. La question dépasse donc la régulation technique : elle touche au rapport que nos sociétés souhaitent entretenir avec les animaux sauvage.

La comparaison avec la France

La France accuse un retard manifeste quant au traitement des animaux sauvages dans le droit. Certes, le code civil reconnaît depuis 2015 que « les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité »(article 515-14). Mais l’infraction de cruauté (article 521-1 du code pénal) ne concerne que les animaux domestiques, les animaux apprivoisés ou les animaux sauvages en captivité. Les animaux sauvages vivant à l’état libre ne bénéficient pas de cette protection.

Il n’existe pas non plus d’équivalent à l’article D. 57 du CWBEA dans le droit français. La chasse est régie par le code de l’environnement, qui encadre les périodes, les espèces et les armes, mais qui ne contient pas de clause générale imposant que la mise à mort soit réalisée « selon la méthode la plus rapide, la plus sélective et la moins douloureuse ».

Importer le modèle belge impliquerait trois évolutions majeures. Premièrement, introduire dans le code de l’environnement une obligation de limiter la souffrance évitable lors de la mise à mort des animaux sauvages. Deuxièmement, exiger des compétences certifiées pour les chasseurs et pour toute personne participant à des opérations de régulation. Ces compétences devraient être beaucoup plus strictes que le simple permis de chasse, dont la formation ne contient aucun item visant réellement et effectivement cet objectif. Troisièmement, instaurer un suivi statistique rigoureux permettant de mesurer l’efficacité et l’impact réel des pratiques.

La Belgique a construit, en moins d’une décennie, un cadre juridique qui conditionne la mise à mort des animaux sauvages à certains objectifs relatifs au respect des animaux. Bien évidemment, ce cadre juridique est insuffisant, mais les autres pays pourraient d’ores et déjà s’en inspirer. Le principe constitutionnel, les codes régionaux et les recommandations scientifiques forment un ensemble cohérent qui doit guider les politiques publiques et les pratiques. La France pourrait utilement s’inspirer de ce modèle pour combler un vide juridique qui laisse aujourd’hui les animaux sauvages à la merci de pratiques non évaluées et potentiellement cruelles.

L’exemple belge constitue un point d’appui mais aussi un tremplin. Car l’enjeu véritable se situe plus loin : développer une politique de coexistence fondée sur des alternatives non létales. Cette perspective redonnerait au droit son rôle d’instrument normatif et éthique, capable non seulement de limiter la souffrance, mais aussi de réorienter les pratiques sociales.

Ainsi, l’évolution du cadre juridique ne saurait se limiter à perfectionner la technique de mise à mort. Elle devrait ouvrir la voie à une transformation plus profonde, où la question centrale n’est plus seulement « comment tuer » mais bien « faut-il tuer ? ». La Belgique a commencé à poser les bases de ce débat en intégrant le bien-être animal dans sa Constitution et ses codes régionaux. Reste à franchir l’étape suivante : aligner l’éthique, la science et le droit pour inscrire durablement la protection des animaux sauvages dans une logique de respect et de coexistence.

Nicolas Bureau

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