Protection des oiseaux en Guyane

By Arria Belli [CC BY-SA 3.0] via Wikimedia Commons

Un arrêté fixant la liste des oiseaux protégés en Guyane a été publié il y a un an : il est utile d’en rappeler l’existence, parce qu’il a mis fin à une réglementation ambiguë d’application malaisée. Ce texte est paru au JO du 4 avril 2015 sous le titre : arrêté « fixant la liste des oiseaux représentés dans le département de la Guyane protégés sur l’ensemble du territoire et les modalités de leur protection » (NOR : DEVL1502938A).

Il remplace totalement l’ancien arrêté du 15 mai 1986 (1) ; il sera plus efficace, parce que sa mise en œuvre pratique est plus facile. La liste des oiseaux est recensée de façon exhaustive, ce qui évite aux agents chargés des contrôles, comme à tout citoyen intéressé, d’avoir à rechercher dans divers documents ornithologiques la présence ou l’absence de telle espèce dans la faune guyanaise : toutes les espèces d’oiseaux de Guyane figurent dans la liste 2015.

Mais toutes les espèces ne bénéficient pas des mêmes dispositions de protection, qui sont classées en trois catégories, en sorte que l’arrêté comporte trois listes partielles et complémentaires. La première liste impose une préservation totale qui s’applique, en Guyane même, aux espèces d’oiseaux dont la destruction, la capture, la mutilation dans le milieu naturel sont interdites, à leurs nids et à leurs œufs qui ne doivent être ni détruits ni enlevés, ainsi qu’aux éléments biologiques et physiques des sites de reproduction et de repos, qui ne doivent être ni détruits, ni altérés, ni dégradés.

De plus, la détention, le transport, la naturalisation, le colportage, la vente ou l’achat des spécimens prélevés dans le milieu naturel sont interdits sur l’ensemble du territoire national. La deuxième liste protège de façon identique et stricte, en Guyane même, les oiseaux, nids et œufs, interdit la perturbation intentionnelle des animaux lors des périodes de reproduction et de dépendance, et interdit également, sur l’ensemble du territoire national, la détention, le transport, la naturalisation, le colportage, la mise en vente, la vente ou l’achat des spécimens prélevés dans le milieu naturel.

Mais, pour ces espèces, l’arrêté ne mentionne pas la préservation biologique ou physique du milieu naturel. On remarque que ces deux listes rassemblent les espèces pour lesquelles les interdictions d’activités sur les spécimens sauvages s’appliquent à la fois à la Guyane et en dehors de la Guyane, comme en France métropolitaines notamment. La troisième liste édicte d’une part l’interdiction sur le territoire national sauf la Guyane, de détenir, de transporter et d’utiliser des spécimens d’espèces prélevés dans le milieu naturel de la Guyane et d’autre part l’interdiction sur tout le territoire national de naturaliser, de colporter, de mettre en vente, d’acheter ou de vendre des spécimens prélevés dans le milieu naturel de la Guyane.

On note qu’il s’agit dans cette liste d’espèces relativement courantes en Guyane, pour lesquelles les prélèvements dans la nature sont permis, mais sans possibilité d’exploitation commerciale ensuite. Plusieurs « dérogations » et « autorisations préalables » sont accolées aux restrictions, et de façon spécifique à chacune des listes.

Par exemple, peuvent être autorisés (art. 5 de l’arrêté) le déplacement/l’utilisation de spécimens conformément à ce que prévoit le code de l’environnement (2), ou l’utilisation de spécimens précédemment et anciennement transformés en bijoux, objets décoratifs ou autres (art. 7), ou encore le déplacement d’oiseaux provenant « d’un élevage dont le cheptel reproducteur a été constitué conformément en vigueur au moment de l’acquisition des animaux de ce cheptel et qui est conduit de manière à produire de façon sûre une descendance de deuxième génération » (art. 8).

La présence dans un texte réglementaire de dérogations et d’autorisations spéciales, même accordées sous condition, est toujours inquiétante, en particulier en ce qui concerne le trafic de la faune sauvage, lequel y trouve souvent le moyen d’échapper à la loi. Encore une fois, répétons que l’efficacité et le résultat d’un arrêté quel qu’il soit reposent sur le contrôle strict de son application à tous les niveaux, contrôles sur le terrain comme contrôles scrupuleux de la validité de toute pièce justificative produite. Ils reposent aussi sur la condamnation systématique aux peines maximales prévues de tout participant à la chaîne du trafic, si l’on veut vraiment que ces exemples soient dissuasifs.

Dans ces conditions, il faut espérer que le nouvel arrêté ministériel pourra empêcher que se poursuive le pillage de la faune, au contraire de l’orpaillage, lequel se poursuit dans la forêt guyanaise, à coups de mercure et de cyanure, en dépit des interdictions et des appels à une surveillance accrue. Il faut donc se satisfaire des prescriptions de la nouvelle réglementation, surtout quand on se remémore les campagnes lancées désespérément à répétition pour la sauvegarde de la faune guyanaise dans les années 70-80.

Reportons nous à un article du Figaro du 6 juillet 1986, dans lequel son rédacteur Jean-Paul Croizé constatait que la Guyane était devenue « la plaque tournante des échanges de faune protégée entre le continent sud-américain et l’Europe », parce que les contrôles frontaliers des services douaniers ne pouvaient être effectués sur les échanges entre la France continentale et son département de la Guyane.

L’article citait l’opinion de Gilbert Simon, alors l’un des responsables de la protection de la faune au ministère de l’Environnement : « Prenez l’exemple de l’ibis rouge : on estime qu’il ne doit pas rester plus de quelques centaines de couples en Amazonie. L’an dernier, le commerce des “fleurs d’ibis”, bouquets composés avec les plumes de ces oiseaux, a nécessité la mort d’au moins trois cents d’entre eux ».

Beaucoup de ces bouquets en question étaient composés par les petites mains habiles des fillettes élèves d’un couvent, que la LFDA avait tenté de convaincre de ne plus se rendre complice d’un tel massacre (le diable est dans les détails, et même parfois dans les bénitiers !).

Il en était de même pour les peaux de caïmans, dont une année plus de 20 000 étaient arrivées en France expédiées de Guyane, alors qu’il est impossible qu’un territoire de cette superficie permette de tuer plus de 4 à 5 000 de ces animaux. L’arrêté du 15 mai 1986 avait voulu mettre fin à ces trafics et à ce pillage en publiant la liste des mammifères, oiseaux et reptiles qu’il était désormais interdit de transporter, morts ou vivant vers la métropole.

Mais si le trafic ne s’est pas tari immédiatement, au moins les contrôles ont pu être effectués aussitôt : à preuve, celui d’un passager en provenance de Guyane, le 5 décembre 1986, dont les bagages contenaient 5 jeunes crocodiles, 4 tortues matamata, 4 lézards carnivores de 1 m de long, 6 ouistitis et 3 singes saki, plus 4  singes tamarins et 1 perroquet dans un carton…

C’est dire la variété et la masse de ce qui pouvait arriver en métropole avant l’arrêté, et c’est faire penser aux souffrances qu’ont dû endurer des milliers d’animaux volés à la nature.

Jean-Claude Nouët

  1. Les deux autres arrêtés « Guyane » de 1986 concernant les mammifères d’une part, les reptiles et batraciens d’autre part, restent valables actuellement.
  2. Code de l’environnement, art. L. 411-2-4, et art. R. 411-6 à R. 411-14.

Article publié dans le numéro 89 de la revue Droit Animal, Ethique et Sciences.

ACTUALITÉS