L’arroseur arrosé

Une vidéo* montrant qu’un taurillon stressé n’attaque que ce qui bouge, conforte s’il en était encore besoin – le point de vue des opposants à la corrida. L’organisateur de cette démonstration n’avait pas prévu ça.

Publiée le 3 mai dernier sur la page Facebook de Salvador Raya, l’un des vidéoblogueurs espagnols les plus suivis depuis 4 ans, elle a accédé à la notoriété par un effet boule de neige, pour dépasser à ce jour le chiffre de 14 millions de vues sur cette page. En plus, elle a été relayée par des médias espagnols comme l’agence de presse Europa Press, le journal 20 minutos, le site de la chaîne TV La Sexta, et par des médias latino-américains comme le site d’infor-mation en ligne Terra, sans compter les sites des deux tabloïds anglais les plus lus, The Sun et The Daily Mail. En France, elle a été relayée par la page Facebook de Pause Cafein, site visant, comme Salva-dor Raya, à faire le buzz, où elle a dépassé ce jour les 4 millions de vues.

Que montre cette vidéo et quelle est son origine ? Elle a été tournée le 31 octobre 2015 au Domaine Des Bois, à Apocada, près de la ville de Monterrey, dans l’État mexicain du Nouveau León par des étudiants de l’Institut de technologie et d’études supérieures de Monterrey (ITESM), une université privée parmi les plus réputées d’Amérique latine. Ils y suivent des cours de tauromachie théorique et pratique (Tauromaquia : el arte del toreo) dispensés dans le cadre de cet établissement.

L’ « enseignant » qui les encadre est Sotero Arizpe, l’un des deux présidents de corrida nommés par la ville à la Plaza Monumental, les arènes de la ville de Monterrey, un des hauts lieux de la tauromachie mexicaine ; son objectif était d’infuser la culture taurine aux jeunes qui pourraient se convertir en nouveaux aficionados […] et de prouver qu’un taureau lâché dans une arène ne cherche pas à attaquer, mais qu’il est attiré par le mouvement d’une personne ou d’une cape. Pour l’expérience, un jeune taureau a été lâché au milieu de 40 étudiants alignés et immobiles. Le taureau passe entre les personnes sans les attaquer, et va courir dans l’arène cherchant à s’échapper ». Cet exercice, qui consiste à rester ainsi immobile, est appelé « la passe de Tancredo », en référence à un toréador du début du XXe siècle qui gagnait sa vie en se tenant sans bouger sur un piédestal au milieu de l’arène.

La « prestation » des étudiants, dirigée par Sotero Arizpe, a été citée dans l’édition du 3 novembre 2015 d’El Horizonte, quotidien gratuit régiomontain aux ordres de la camarilla taurine. Dans son édition du 10 novembre, El Horizonte précise que l’expérience « consiste à démontrer que le taureau charge le mouvement… et non la personne ou la couleur », et se réjouit du succès « viral » de la vidéo sur la toile. Puis en janvier 2016, Sotero Arizpe a publié la vidéo sur son compte Youtube puis son compte Facebook. De là, elle a été reprise par Salvador Raya, pour être en-suite partout diffusée.

Rendons hommage à Arizpe, ce professeur de boucherie vivante, et remercions-le de s’être planté une aussi belle banderille dans le pied : la mise en ligne vidéo de son expérience a été vue des millions de fois en une à deux semaines, à la grande satisfaction des opposants à la corrida, pour qui le taureau n’attaque que celui qui le provoque en bougeant ou en bougeant un leurre.

Les addicts à la corrida s’empresseront de répondre que le bovin filmé n’est qu’un veau, et qu’un taureau c’est autre chose. Justement, un taureau ce n’est pas autre chose. Et c’est bien comme une « expression du comportement spécifique du bovin » que cette expérience est à interpréter : il cherche la fuite et ne charge que ce qui remue. Et si l’enseignant a choisi de faire courir un veau, c’est avant tout pour ne pas trop faire peur aux étudiants, et parce que le risque d’accident n’est jamais nul même en restant immobile. Ainsi, dans une corrida, le toréador bouge très peu et fait virevolter sa cape. Et de temps en temps, il s’arrête pour prendre des poses, une fois que le taureau est un peu fatigué. Ce n’est jamais à ces moments là qu’il peut se faire encorner. C’est soit en voulant trop en faire lors des passes de cape, soit lors du planter de banderilles, soit lors de l’estocade.

Mais il faut bien que ça puisse arriver, même si c’est fort rare. Car c’est évidemment aussi pour ça que vient le public, comme il va au cirque dans l’espoir secret d’y voir un lion bouffer le dompteur. Ce n’est pas par hasard que les sites tauromachiques sont les premiers à se repaître des cornadas.

Jean-Paul Richier

article publié le 16 mai 2016 sur le site du PROTEC *

Article publié dans le numéro 90 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.

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