Projet ACCEPT : comprendre la controverse sur l’élevage

Jeudi 5 avril 2018, les trois instituts techniques de l’élevage (Institut du Porc, Institut de l’Aviculture, et Institut de l’Élevage), en partenariat avec la Chambre d’agriculture de Bretagne, ont organisé un colloque pour présenter les résultats de leur projet conjoint ACCEPT, qui étudie la controverse sur l’élevage.

élevage cochons

La journée s’est déroulée à Paris aux Chambres d’agriculture France (Assemblée permanente des Chambres d’agriculture - APCA). Intitulé « Controverse sur l’élevage : comprendre et agir », le colloque visait surtout à donner des armes aux filières de l’élevage pour convaincre le grand public du bienfondé de leur activité et des bonnes pratiques existantes.

Qu’est-ce que le projet ACCEPT ?

Le projet ACCEPT a été piloté par l’Institut du Porc sur la période 2014-2017. Il a pour but d’analyser les causes et les modalités complexes des controverses sur l’élevage, les remises en cause de certains systèmes par la société, afin d’aider les éleveurs et leurs partenaires des filières de l’élevage à adapter leurs choix stratégiques et leur argumentation.

Le projet s’est organisé autour de quatre actions :

  • Recenser et analyser des controverses et remises en cause sur l’élevage (en France et dans cinq autres pays de l’Union européenne) ;
  • analyser des cas concrets de conflits autour de projets locaux d’élevage (installation d’un élevage ou développement de l’activité) ;
  • évaluer la perception des élevages et des attentes de la société (établir des profils distincts des personnes concernées par l’élevage) ;
  • identifier et proposer des voies d’évolution et des recommandations, analyser les démarches collectives et privées mise en place pour répondre aux attentes sociétales, concevoir des scénarios prospectifs de ce que sera l’élevage dans 30 ans, ainsi que créer un moyen d’autodiagnostic du respect des attentes sociétales par les éleveurs.

Divers intervenants se sont succédé pendant le colloque, en conférence ou en table ronde : sociologues, membres des trois instituts techniques, professionnels de la grande distribution, membres des interprofessions du bétail, du porc et des œufs, éleveurs, un administrateur de France Nature Environnement et une collaboratrice de CIWF France.

Qu’est-ce que la controverse sur l’élevage ?

Les sociologues Elsa Delanoue et Véronique Van Tilbeurgh ont clarifié l’expression « controverse sur l’élevage ». La première nous a rappelé qu’une controverse est un conflit fondé sur une incertitude et une remise en cause d’un modèle dominant, qui oppose deux parties et qui est public. C’est le public qui juge l’issue des débats, qui se déroulent sur un temps long. Le but pour les deux parties est donc de rallier le public à sa cause.

Pour ce qui est de la controverse sur l’élevage, elle cerne quatre désaccords sur :

  • l’environnement,
  • la condition animale,
  • la santé
  • des aspects socio-économiques.

Les deux parties opposées sont le monde associatif et le monde agricole. Chacun essaie de convaincre les citoyens, et les médias sont au milieu pour rendre le débat public. La controverse a démarré depuis quelques décennies, notamment avec la baisse de la consommation de viande et l’émergence de nouveaux modèles d’alimentation, et devraient se poursuivre encore longtemps.

La seconde sociologue a fait un parallèle entre la controverse de l’élevage et celle sur la peine de mort qui s’est résolue dans les années 1980 en France, qui a commencé à la fin du XVIIIe siècle et a opposé des politiques, des intellectuels, des écrivains pro et anti-peine de mort. Comme pour les animaux, il y avait un rapport à la mort, à la souffrance. Toute la société se sentait concernée par les différentes affaires de justice se terminant par la peine capitale. Des principes moraux étaient en jeu et ont été renouvelés. La controverse s’est arrêtée avec l’abolition de la peine de mort en 1981.

Résultats du projet

Le projet démontre qu’il y a différents indicateurs de cette controverse. Le premier est l’augmentation des conflits locaux au sujet des projets de développement d’élevage, que ceux-ci soient dits alternatifs (plein air, biologique) ou conventionnels (standard), principalement pour des raisons de peur des nuisances et de l’impact sur l’environnement.

Les chiffres constituent le deuxième indicateur de cette controverse (1) : 59 % des personnes interrogées sont insatisfaites des conditions de vie des animaux en élevage, 60 % considèrent qu’offrir un accès au plein air à tous les animaux est une priorité, 96 % sont favorables à un étiquetage du mode de production.

Grâce à seize conflits locaux analysés, à la réalisation de ce sondage, à soixante-dix entretiens avec les parties de cette controverse et à l’organisation de trois groupes de dialogue entre citoyen et éleveurs, le projet ACCEPT a permis de définir 5 profils de citoyens-consommateurs :

  • 51 % de « progressistes » qui sont de plus en plus préoccupés par le sujet de l’élevage, ne s’y opposent pas, et souhaitent une amélioration progressive des conditions de vie des animaux comme de la prise en compte des impacts environnementaux ;
  • 24 % d’« alternatifs » qui ont diminué leur consommation de viande et souhaitent la fin de l’élevage intensif et le développement des filières « bio », circuits courts, sous signes de qualité, etc.) ;
  • 10 % de « compétiteurs » qui sont satisfaits de l’élevage actuel et favorables aux systèmes intensifs qui pour eux sont le plus adaptés aux marchés économiques mondialisés – principalement des gens issus du monde de l’élevage ;
  • 2 % d’« abolitionnistes » qui ne consomment plus de produits animaux ou presque, sont contre l’exploitation des animaux et souhaitent voir la fin de l’élevage ;
  • 3 % d’« indifférents » qui ne connaissent pas le sujet et ne s’y intéressent pas ;
  • 10 % ne sont classés dans aucune de ces cinq catégories.

Dans les autres pays européens analysés, on retrouve cette controverse de l’élevage, mais elle est plus ou moins importante selon les pays : les pays du Nord de l’Europe sont plus préoccupés par cette question alors que les pays du Sud et de l’Est le sont beaucoup moins.

Cette typologie analytique des citoyens a permis au projet de développer cinq scénarios de l’avenir de l’élevage en France dans les 30 à 40 prochaines années, lorsque la controverse sera terminée.

Premier scénario

Le premier scénario, dans lequel les progressistes seraient majoritaires, voit l’acceptation sociale d’une diversité de systèmes d’élevage grâce à un dialogue entre la société et les acteurs des filières. Les industriels ou les distributeurs portent les nouvelles démarches de progrès, soutenus par les ONG de protection animale non-abolitionnistes. Il y a des produits qui répondent à toutes les attentes différentes en termes de bien-être animal, d’environnement, de prix, etc.

Deuxième scénario

Le deuxième scénario, dans lequel les alternatifs seraient les plus nombreux, décrit une société qui aspire à manger moins de produits issus des animaux mais de meilleure qualité, qui respecte l’environnement, la santé, le bien-être animal et l’éthique. La production sous signes labellisés est majoritaire et la consommation de viande a fortement diminué. Les normes réglementaires de bien-être animal sont plus strictes.

Troisième scénario

Le troisième scénario, dans lequel les indifférents et les compétiteurs sont majoritaires, expose une société plutôt indifférente face à l’élevage et l’alimentation. Ceci est en partie du au développement des réseaux sociaux, des loisirs et à l’absence de crise environnementale majeure. Les gens ne se préoccupent plus de l’éthique et les élevages sont de plus en plus concentrationnaires pour répondre aux marchés mondiaux.

Quatrième scénario

Le quatrième scénario, dans lequel les abolitionnistes sont les plus nombreux, montre une société où l’élevage est marginal car une grande part de la population est adepte du véganisme. Il reste très peu de consommateurs de viande et donc très peu d’élevages français. La consommation des autres produits animaux baisse également De nombreuses formes d’exploitation des animaux sont abolies : les cirques, les zoos, la chasse.

Cinquième scénario

Le cinquième et dernier scénario, dans lequel les indifférents sont majoritaires, décrit une société qui subit les crises environnementales et migratoires. Les enjeux sociétaux apparaissent secondaires face à l’urgence climatique, économique et alimentaire. Dans une économie mondialisée, la France privilégie la culture de céréales et l’élevage régresse et se concentre sur des herbivores élevés sur des terres non cultivables et des volailles en bâtiment.

Quelques critiques sur le projet et le colloque

Ce projet a mis en lumière des travaux sociologiques très intéressants sur la montée progressive de la controverse sur l’élevage. Ce projet est important pour mieux anticiper l’évolution de la société de demain.

Néanmoins, quelques critiques s’imposent. Tout d’abord, ce projet vise explicitement à aider les éleveurs à communiquer sur leurs pratiques et le bien-fondé de leur activité. Tout au long de la journée, la notion de « communication » était omniprésente. Communiquer pour plus de transparence, c’est bien. Mais améliorer franchement les pratiques pour une réelle prise en compte du bien-être des animaux, ce serait mieux !

Ensuite, le colloque et le projet n’étaient pas neutres. En effet, ce projet est piloté par l’Institut du Porc, en partenariat avec de nombreux établissements liés à l’élevage. Les hypothèses de départ et la méthodologie (le sondage comportait des questions clairement orientées) étaient sûrement un peu biaisées, à cause de l’affiliation aux instituts des responsables du projet. La majorité des personnes présentes au colloque était membre des institutions partenaires du projet, ce qui camouflait un peu le débat.

Enfin, certains membres des intervenants (dont la directrice de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles en conclusion du colloque) et du public dans la salle n’ont pas manqué d’attaquer le travail des ONG de protection animale, qui, selon eux, parlent de bien-être animal alors que personne ne sait ce que cela signifie, et utilisent des arguments non scientifiques et liés à l’affect. La Fondation Droit Animal, Éthique et Sciences rappelle qu’elle n’utilise que des arguments et des faits scientifiques pour justifier toutes ses actions et tous ses travaux, et que la définition et l’évaluation du bien-être animal sont constituées d’éléments scientifiques concrets et validés par la communauté scientifique.

Conclusion

Le projet ACCEPT est un projet très utile pour comprendre les enjeux sociétaux liés à la remise en cause de certaines pratiques d’élevage. Mais le projet reste critiquable, notamment dans ses buts, qui sont essentiellement d’aider les éleveurs :

  1. à préparer leur argumentation,
  2. à anticiper les évolutions à venir.

Si le deuxième but est indispensable et devrait être le seul à viser, le premier pourrait empêcher les filières de s’améliorer si elles estiment qu’une bonne communication suffira à résoudre la controverse de l’élevage. À bon entendeur…

Nikita Bachelard

(1) Sondage réalisé en juin 2016 pour le projet ACCEPT, administré par l’Ifop sur internet auprès d’un panel représentatif de la population (2 000 personnes) et échantillonné selon la méthode des quotas.

Article publié dans le numéro 97 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.

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