Chasse ou tir à la cible ?

L’ouverture de la prochaine saison de chasse va se faire à des dates diverses selon les départements, eux-mêmes classés en « régions ». En Moselle, Bas-Rhin et Haut-Rhin, ce sera à la fin d’août, au tout début de septembre pour la Corse, à la fin de septembre pour huit départements des Pays de la Loire et du Val de Loire, le 10 ou le 17 septembre pour tous les autres. Au total, à la mi-septembre, le « gibier » va être « géré » dans les moindres recoins du territoire, jusqu’à la fin de février, pendant cinq mois et demi.

élevages de faisans

Impossible de savoir quel sera le « tableau » final, puisque les dernières statistiques officiellement publiées remontent à une vingtaine d’années : on en était à quelque 30 millions, tous « gibiers confondus ».

  • Pourquoi cette discrétion ?
  • Crainte de raviver les protestations  ?
  • Crainte de révéler une baisse, signifiant à la fois diminution du nombre des chasseurs, et diminution des populations animales ?

Pour ce qui est de ces dernières, il n’est guère besoin de statistiques pour observer et déplorer qu’il soit devenu exceptionnel de rencontrer un animal lors de promenades ou de randonnées. C’est à croire que notre pays déteste sa faune sauvage ; il ne fait rien pour la préserver, et tout y passe, à coups de pesticides et de grenaille.

Mais sur quoi les chasseurs peuvent-ils donc tirer ?

Près de 600 élevages de gibier en France

Il y a bien longtemps, déjà, que leur plaisir est assuré par des entreprises florissantes spécialisées dans l’élevage du gibier destiné à être lâché pour servir de cible. Elles sont un peu plus de 600, implantées dans à peu près tous les départements, et spécialisées dans l’élevage de telle ou telle espèce, ou plus souvent d’un groupe d’espèces (faisan + perdrix). Les élevages de faisan + perdrix sont de loin les plus nombreux (près de 600) ; on dénombre  :

  • 30 élevages de canard,
  • 25 de lapin et autant de lièvre,
  • 13 de cerf,
  • 7 de daim,
  • 3 de mouflon
  • 3 de chevreuil.

Ces élevages assurent le repeuplement en « gibier » à la satisfaction des chasseurs, qui finiraient par ne plus renouveler leur permis s’il n’y avait plus rien sur quoi tirer. Mais sur quoi tirent-ils ? Sur des animaux « sauvages », c’est-à-dire nés libres et vivant libres, ayant appris à défendre leur vie, à se camoufler ? Certes non. Que sort-il des élevages de faisans ou de perdrix, sinon des oiseaux n’ayant l’habitude que de vols courts et bas, des vols de déplacement sans besoin de fuir. Ils ne sont que des cibles. Presque des cibles de foire, qui auront à peine le temps d’explorer le territoire dans lequel sont ouvertes leurs cages, quelques jours avant que les « chasseurs » viennent les tirer.

En 1975, il existait plus de 3 000 élevages de sanglier en France. Il en est de même pour les élevages du sanglier, dont il semble qu’il en reste en France une vingtaine, du moins en consultant les sites Internet « élevages de gibier ». Ce chiffre est-il fiable ? On ne sait, car des élevages clandestins sont découverts. Clandestins ? Pourquoi ? Parce que ces élevages sont visés par une réglementation spécifique. Ils s’étaient multipliés au point qu’en 1975 il y en avait plus de 3 000, contribuant lourdement au cercle vicieux :

élevage → prolifération → dégâts → chasse accrue → élevage → prolifération → etc.

En novembre 2005, un arrêté commun au sanglier et au porc (pris pour des raisons sanitaires de danger d’épizootie), et deux arrêtés propres au sanglier en août 2009 (caractéristiques des élevages et identifications) sont venus réglementer ces élevages avec efficacité puisqu’en 2009, 700 élevages avaient été recensés. Ils seraient donc aujourd’hui beaucoup moins nombreux. Cependant, le sanglier est constamment dénoncé comme envahissant, dangereux, ravageur de récolte, etc. ; il est constamment l’objet de battues de destruction. C’est incompréhensible.

L'agrainage, une autre manière d'entretenir la chasse

Il est également assez incompréhensible que soit toujours pratiqué l’agrainage, qui consiste à apporter de la nourriture (épis de maïs) au sein des massifs forestiers du début de mars à la fin de septembre (période de non-chasse) pour y maintenir les sangliers et éviter qu’ils occasionnent des dégâts aux cultures d’alentours. Cette pratique à courte vue n’aboutit-elle pas à favoriser la survie des marcassins, donc la multiplication des animaux, donc la promesse de belles chasses ? C’est plus que probable, car dans les discussions que l’on peut avoir avec les chasseurs, ces derniers prennent vigoureusement la défense de l’agrainage. La clé semble être qu’un droit de chasse sur un territoire représente plusieurs milliers d’euros que l’acquéreur s’emploie à rentabiliser au mieux en vendant des parts de chasse, dont la valeur est fonction du nombre de parts, et du nombre d’animaux à chasser, chacun voulant en avoir « pour son argent ».

Donc peu importe que perdure la prolifération du sanglier, tant que prolifèrent les euros…

Conclusion

Nous conclurons en citant la société Interprochasse, qui rappelle la générosité dont elle fait preuve en offrant chaque année 5 500 faisans au réseau des Banques alimentaires pour le repas de fêtes offerts aux personnes en situation de précarité… Il y a quelques années, les organisateurs de corridas avaient programmé des spectacles dont une part devait être versée aux organisations humanitaires… Hypocrites.

Jean-Claude Nouët

Article publié dans le numéro 98 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.

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