Le transport d’animaux vivants

Le 18 mai dernier, la nouvelle commission « Droit de l’Animal » du Barreau de Paris a organisé une formation sur le thème « Droit et Transport d’animaux vivants » à la Maison du Barreau de Paris. Cette réunion est la troisième à être initiée par le groupe créé en janvier 2017 au sein du Barreau de Paris, qui travaille sur l’élaboration d’un code autonome du droit animal, après celles des 27 octobre 2017 et 23 mars 2018 sur le trafic d’animaux et sur l’expérimentation animale.

Rappelons ici que près de 1 milliard de volailles et 37 millions de bovins, cochons, ovins et équidés sont transportés vivants chaque année dans l’Union européenne (UE) mais aussi vers des pays tiers. La France est le troisième pays européen exportateur en dehors de l’UE.

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Le transport de longue durée

Agathe Gignoux, chargée d’affaires publiques de CIWF France, est intervenue sur le cadre européen du transport longue durée des animaux d’élevage. Des enquêtes de terrain, réalisées par cette ONG et des partenaires, ont mis en exergue diverses problématiques liées au transport de longue durée (de plus de huit heures).

La réglementation qui s’y applique est issue du Règlement (CE) n° 1/2005 relatif à la protection des animaux pendant le transport et les opérations annexes. Son principe général est que : « Nul ne transporte ou ne fait transporter des animaux dans des conditions telles qu’ils risquent d’être blessés ou de subir des souffrances inutiles » (article 3). La Cour de justice de l’UE a précisé que cette réglementation s’applique sur l’ensemble du trajet de l’animal au départ d’un pays membre, y compris dès qu’il a franchi les frontières de l’UE.

Une première problématique réside dans l’insuffisance de coordination entre les États membres eux-mêmes et avec les États tiers quant au contrôle du bien-être animal, notamment sur les convois sortis des frontières de l’UE. De plus, des infractions à ce règlement sont fréquemment relevées par les enquêtes de CIWF.

D’abord, des infractions aux repos en lieu agréé pendant le transport. On constate que le temps de transport entre chaque phase de repos va bien au-delà des limites fixées, laissant les animaux à bout de forces. Cette infraction est encore plus fréquemment constatée aux frontières, où les lieux de déchargement sont insuffisants : les animaux peuvent rester bloqués dans les camions durant plusieurs jours, ce qui provoque déshydratation, épuisement, positions douloureuses etc. Cela est d’autant plus alarmant que l’Office alimentaire et vétérinaire a relevé en France, par un audit d’avril 2015, un grand nombre d’animaux transportés bien qu’inaptes.

Des infractions aux prescriptions techniques des camions sont également récurrentes : dispositif d’abreuvement inadapté, ventilation défaillante (à titre d’exemple, la température des convois à partir de la Turquie peut dépasser les 45 °C), espaces en hauteur insuffisants…

Les densités maximales sont également souvent dépassées, causant la mort des animaux les plus petits.

Enfin, les transports d’animaux non sevrés et en navires bétaillers sont également sources de nombreuses infractions aux prescriptions spécifiques qui s’y attachent.

En conclusion, les mesures en vigueur en UE et la faiblesse des contrôles n’épargnent pas aux animaux souffrances ou blessures lors du transport, et la France n’est pas bonne élève…

Certains États sollicitent de combler les lacunes du cadre réglementaire actuel (la Suède, l’Allemagne, par exemple) et de réformer les sanctions pour les rendre plus dissuasives.

Parmi les recommandations de CIWF, celle relative aux mesures permettant l’effectivité de la réglementation existante, notamment avec contrôles systématiques au moment du chargement des animaux, serait déjà un grand pas. L’ONG suggère également, notamment, l’amélioration de la coordination entre autorités, la création d’un Responsable protection animale dans les navires bétaillers, le développement du transport de carcasses et un système assurantiel sur le modèle australien

Le guide européen sur le transport d’animaux

Cerise Ducos, a présenté le Guide européen sur le transport des animaux. Développé par la DG Santé de la Commission européenne en collaboration avec des professionnels du transport et de l’agroalimentaire, ce guide liste les bonnes et mauvaises pratiques du transport des bovins, chevaux, porcins, ovins et de la volaille pour l’abattage, l’engraissement et la reproduction.

Sont également établies une check-list du conducteur (malheureusement assez succincte) et des fiches pratiques et techniques à destination des professionnels. Selon Mme Ducos, on peut néanmoins regretter que le guide ne traite pas des rôles des vétérinaires et éleveurs, avant la prise en charge de l’animal auprès de l’organisateur du transport.

Faute de contrôles suffisants (moins de 1 % des animaux transportés par an sont contrôlés), ce guide pourrait influencer les transporteurs, bien qu’il ne soit pas juridiquement contraignant.

transport animal
Par Izvora [GFDL (http://www.gnu.org/copyleft/fdl.html), de Wikimedia Commons

Le refus d’une commission d’enquête

Pascal Durand, eurodéputé, a rappelé que la Conférence des Présidents a récemment rejeté la demande d’une commission d’enquête sur le transport des animaux dans l’UE. Cette commission avait pourtant été demandée par plus d’1 million de citoyens par pétition et au moins 220 députés. Ce refus est d’autant plus regrettable qu’il ne fut pas motivé par la Conférence des Présidents. À la place, ce sujet fera l’objet d’un rapport confié à la commission en charge des questions agricoles, étant précisé qu’un tel rapport ne permet pas d’enquêter au-delà des frontières de l’UE. M. Durand a donc sollicité la motivation de la décision afin de la déférer devant la Cour de justice de l’Union européenne.

Il a souligné que la question du transport d’animaux vivant est intimement liée à celle, très sensible et politique, du travail détaché. Le transport routier est en effet un important « pourvoyeur » de travailleurs détachés (ce qui fut pourtant exclu de la révision de la directive européenne).

Il semble ainsi hypocrite de pointer la profession du doigt alors même qu’elle est mise en concurrence avec des transporteurs qui ne sont pas soumis aux mêmes règles ! Le problème ne pourra être traité efficacement que si toutes ses causes sont prises en compte : concurrence, emploi, chômage, dumping social, etc.).

Il a déploré enfin que la Commission ne mette pas en oeuvre les pouvoirs qui sont les siens ; en effet, la commission n’engage pas, par choix, la procédure d’infraction à l’encontre des États qui commettent des infractions au règlement.

C’est une des formes d’un constat plus général : une réelle absence de volonté politique sur la question animale.

La création d’un conseil de métier

Frédérique Lamy, Stéphane Grégoire et Nancy Le Febvrier sont intervenus sur la création d’un Conseil de métier dédié au transport d’animaux vivants devant l’organisation des transports routiers européens. Cet OTRE est un syndicat patronal représentant les TPE/PME du transport implanté sur tout le territoire national. Un Conseil de métier propre au transport d’animaux vivants a été créé en son sein en mars 2018 sur l’impulsion des professionnels : il représente une soixantaine de ces entreprises, dont la plupart n’effectuent pas de transport longue durée.

Cette instance est créée afin de mener les réflexions propres à ce secteur en lien avec les autres acteurs tels que les autorités et associations. Les transporteurs assument des responsabilités vis-à-vis des animaux transportés alors même qu’ils n’ont pas toujours les informations ou formations nécessaires. Ils souhaitent voir diminuer les incohérences entre les réglementations applicables : droit du travail, les dispositions sanitaires et celles relatives à la protection des animaux. Ce sont ces incohérences qui conduisent aux atteintes au bien-être animal.

La première action du groupe est d’élaborer un support à ces entreprises à partir des constats quotidiens du terrain, au bénéfice des animaux transportés. Est également souligné que le vrai problème réside bien plus dans le transport de longue durée, majoritairement opéré par des acteurs étrangers, plus attractifs car non assujettis à la réglementation sociale française.

Les initiatives législatives

Agnese Ghersi, membre de la commission ouverte, est intervenue sur les initiatives législatives en cours sur le transport d’animaux vivants. Deux lois ont été déposées depuis le début de l’année « pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable » et « relative à la protection des animaux durant les transports ».

La première, assez médiatique, a été adoptée par les députés en première lecture le 30 mai dernier. Son examen en séance publique au Sénat devrait débuter le 26 juin prochain. S’agissant du transport des animaux, les seules mesures de ce projet concernent :

  • l’extension de la possibilité pour les associations de se constituer partie civile pour les infractions commises dans le cadre du transport prévues par le code rural et de la pêche maritime (CRPM), et non plus seulement les infractions réprimées par le code pénal;
  • le doublement des sanctions attachées aux infractions prévues à l’article L215-11 du CRPM, et la création du délit de mauvais traitement en cours de transport et pendant l’abattage;
  • le renforcement de l’action pénale, permettant aux associations de protection animale de se porter partie civile même en l’absence de suites par le parquet;
  • l’expérimentation des abattoirs mobiles.

La proposition de loi relative à la protection des animaux durant les transports a pour objectif général d’aller plus loin que le règlement européen (1) afin d’améliorer le transport des animaux vivants et d’encadrer plus strictement les exportations hors de l’UE au départ du territoire français.

Chanel Desseigne

  1. Durées maximums de transports sur le territoire français, seuil d’aptitude des femelles gestantes abaissée aux 2/3 de la gestation (au lieu de 90 %), représentant de la protection animale obligatoire dans les transports maritimes < 8 heures...

Article publié dans le numéro 98 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences 

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