Le plan d’actions « Ours brun » 2018-2028

En avril dernier, le ministère de la Transition écologique et solidaire a validé le plan d’actions « Ours brun » portant sur la décennie 2018-2028. Ce nouveau plan met fin à la quasi-inertie dont ont fait preuve les autorités françaises durant la dernière décennie, souvent justifiée par les oppositions locales issues majoritairement du monde du pastoralisme qui redoute un accroissement des pertes de cheptels.

Parallèlement, le gouvernement a annoncé la réintroduction de deux ourses à l’automne. Bien que ces nouvelles mesures de conservation ne fassent pas l’unanimité au sein des parties concernées, leur mise en œuvre n’est désormais plus discutable au vu du risque accru d’extinction de l’espèce sur notre territoire.

ours brun

Le déclin croissant de la population d’Ours bruns en France

L’Ours brun est présent en Europe et en Asie depuis plus de 600 000 ans. Autrefois présent dans toute la France, il n’occupe depuis les années 1940 que les massifs montagneux des Pyrénées. La population est aujourd’hui répartie entre l’ouest des Pyrénées (Pyrénées-Atlantiques et Hautes-Pyrénées) et le centre (Ariège et sud de la Haute-Garonne).

Si l’on chiffrait la population d’Ours bruns à 150 individus au début du XXe siècle, le nouveau rapport de l’Office nationale de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) publié en mars 2017 ne compte plus que 39 individus dans tout le massif pyrénéen.

L’espèce est classée « en danger critique d’extinction » sur la liste des espèces menacées en France établie par l’Union internationale de conservation de la nature (UICN).

Mais alors que l’on semble aujourd’hui « s’émouvoir » de l’immense perte de biodiversité à laquelle nous faisons face depuis des décennies, il est regrettable de faire une nouvelle fois le constat de la mauvaise volonté dont nos autorités font preuve en ce domaine.

Le plan d’actions Ours brun est certes une légère avancée à saluer pour la conservation de l’espèce, mais son adoption intervient malheureusement dans un contexte d’urgence, sous la pression répétée des instances européennes.

Des mesures jusque-là insuffisantes pour assurer la viabilité de l’espèce

C’est dans les années 1970 que les autorités internationales prennent conscience de la nécessité de protéger l’espèce. La France s’engage alors dans le cadre de conventions internationales à conserver l’Ours brun sur son territoire.

La directive européenne du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (communément appelée « directive habitats ») classe l’Ours brun dans la liste des espèces animales nécessitant une protection particulière, imposant aux autorités nationales de mettre en oeuvre les mesures visant à assurer le maintien ou le rétablissement de l’espèce dans un état de conservation favorable.

Aujourd’hui reconnue comme espèce protégée sur l’ensemble du territoire, la loi française interdit notamment sa destruction ou sa mutilation ainsi que la destruction, l’altération ou la dégradation de ses sites de reproduction et de ses aires de repos.

Parallèlement aux mesures de protection stricte de l’espèce, la réintroduction d’individus s’avère nécessaire à sa conservation, en raison notamment de la faiblesse des effectifs, du risque de consanguinité ainsi que de la fragmentation géographique. C’est la raison pour laquelle trois ours bruns provenant de Slovénie sont relâchés dans les Pyrénées centrales au courant des années 1996-1997.

Dix ans plus tard, dans le cadre du plan d’actions Ours brun pour la période 2006-2009, quatre femelles et un mâle de Slovénie seront transférés. Les effectifs restent malheureusement insuffisants pour enrayer le déclin de l’espèce.

La mise en demeure en 2012 de l’État français par la Commission européenne

Entre 2009 et 2011, la Commission européenne est alertée sur le mauvais état de conservation de l’Ours brun en France par le biais de plusieurs plaintes ainsi que d’une pétition du Parlement européen.

Faisant le constat d’une diminution de l’aire de répartition de l’espèce depuis 2009 et de l’insuffisance des mesures adoptées ou envisagées pour assurer le rétablissement d’un état favorable de conservation, la Commission initie en 2012 une procédure d’infraction pour manquements à l’encontre de l’État français.

Elle déplore notamment le renoncement de la ministre de l’Écologie en 2011 à la réintroduction d’une ourse dans les Pyrénées, alors même que le secrétaire d’État à l’Écologie avait annoncé en 2010 qu’il serait procédé au remplacement systématique des ours décédés accidentellement et notamment de l’ourse slovène Franska tuée en 2007.

La condamnation de l’État pour carence fautive en 2018

En 2015, les associations « Pays de l’Ours – ADET » et « FERUS – Ours, loup, lynx, conservation » saisissent le tribunal administratif de Toulouse afin d’engager la responsabilité de l’État en raison de son manquement à son obligation de maintenir l’ours brun dans un état de conservation favorable.

Dans un arrêt rendu le 6 mars, le juge administratif condamne l’État français pour insuffisance des actions mises en oeuvre au regard des enjeux identifiés pour le maintien durable de l’espèce ursine. Il devra verser une somme de 8 000 euros à chacune des deux associations requérantes au titre de leur préjudice moral.

Depuis l’arrivée à échéance du plan d’actions pour la période 2006/2009, certaines actions ont été reconduites mais aucun plan d’actions global n’avait été redéfini. Ce n’est qu’au début de l’année 2017 qu’un projet de « volet ours 2017/2027 », intégré au sein de la Stratégie pyrénéenne de valorisation de la biodiversité (SPVB) est soumis à consultation publique.

Si le projet poursuit l’objectif d’atteindre une population d’ours de 50 individus, la juridiction toulousaine relève l’insuffisance des actions envisagées : de nouvelles introductions ne sont envisagées que « dans la mesure où elles seront nécessaires au maintien d’une dynamique favorable de la population ».

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Un nouveau plan d’actions Ours brun pour la période 2018/2028

Outil de protection de la biodiversité, un « plan national d’actions » doit définir une stratégie portant sur une période de 5 à 10 ans, visant à définir les actions nécessaires à la conservation et le rétablissement dans un état de conservation favorable d’espèces de faune et de flore sauvages menacées ou faisant l’objet d’un intérêt particulier.

Autrefois appelés « plans de restauration », ces documents ont vu le jour en 1996 et se sont progressivement déployés sur le territoire français.

Ils sont désormais prévus à l’article L.411-3 du code de l’environnement, depuis la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages et doivent être élaborés avant le 1er janvier 2020 pour les espèces endémiques identifiées comme étant « en danger critique » ou « en danger » dans la liste rouge nationale des espèces menacées.

Une note du 9 mai 2017 rappelle l’objet des plans nationaux d’actions :

  • organiser un suivi cohérent des populations de l’espèce concernée ;
  • mettre en oeuvre des actions coordonnées favorables à sa restauration ou à la restauration de ses habitats ;
  • informer les acteurs concernés et le public ;
  • faciliter l’intégration de la protection des espèces dans les activités humaines et dans les politiques publiques.

Au mois de mai, le ministère de la Transition écologique et solidaire a validé le nouveau plan d’actions Ours brun portant sur la période 2018/2028, à la suite d’une consultation publique qui a eu lieu du 15 février au 7 mars.

Un des objectifs affichés est la constitution d’une population unique présente sur l’ensemble du massif pyrénéen par des échanges entre les deux noyaux de l’ouest et du centre des Pyrénées.

Dépasser les oppositions locales

En raison des nombreuses voix qui s’élèvent contre les mesures de conservation, voyant en l’ours une menace pour les activités humaines, le ministère fait la proposition peu ambitieuse de maintenir une dynamique en s’appuyant principalement sur la croissance interne de la population.

Le plan précise que des opérations de réintroduction pourront être conduites dans la mesure seulement où elles seront nécessaires.

Toutefois, tenant compte notamment des réserves exprimées par le Conseil national de protection de la nature selon lequel il est impératif de renforcer en urgence la population ursine occidentale pour éviter sa disparition, la stratégie pour la conservation de l’Ours brun s’est vue quelque peu modifiée.

Aussi, le plan prévoit tout de même un renforcement rapide du noyau occidental par la réintroduction de deux ourses à l’automne. Le choix de la période est stratégique : après que les troupeaux auront quitté les estives et avant que l’ours entre en hibernation.

Le préfet des Pyrénées-Atlantiques devra enclencher un dialogue avec l’ensemble des acteurs du département en vue de cette réintroduction.

Selon Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique et solidaire, « depuis plus de 3 ans, dans le cadre de la stratégie pyrénéenne de valorisation de la biodiversité, beaucoup de concertations ont été menées au niveau local, notamment avec les éleveurs. C’est essentiel si on veut réussir pour l’Ours, pour l’élevage, pour le territoire. Nous devons agir pour la biodiversité, mais aussi pour les éleveurs, qui contribuent à entretenir ce formidable patrimoine qu’est la montagne. Je me rendrai sur place pour écouter tous les acteurs, une fois le dialogue lancé par le Préfet ».

Critiqué en ce qu’il n’explique pas de façon concrète les actions qui seront mises en oeuvre ainsi que le budget alloué, il faut également garder à l’esprit que ce plan n’est qu’un document d’orientation dépourvu de toute valeur contraignante.

La mise en oeuvre d’une réintroduction devra ainsi dépasser les obstacles que constituent les vives oppositions locales, les bergers s’étant déjà pour la plupart positionnés contre, déclarant au ministre de la Transition écologique et solidaire qu’il n’aura pas « la peau des bergers ».

Espérons malgré tout que la concertation annoncée portera ses fruits et que le gouvernement saisisse cette fois-ci la réelle menace qui plane sur le massif pyrénéen.

Léa Mourey

Article publié dans le numéro 98 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences 

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