Le grand hamster d’Alsace : un test pour les politiques de conservation

Espèce jadis abondante, le grand hamster d’Alsace est aujourd’hui classé en danger critique d’extinction. Son cas illustre les tensions croissantes entre développement économique, politiques publiques et impératifs de conservation.

Au début de l’été 2025, 120 grands hamsters d’Alsace ont retrouvé la liberté dans des champs situés entre Oberschaeffolsheim et Geispolsheim, près de Strasbourg. Ce lâcher n’avait rien d’anodin : il s’inscrit dans les mesures compensatoires liées à la construction de l’autoroute A355, le Grand contournement ouest de Strasbourg. Vinci Autoroutes, contraint par la loi de restaurer en partie l’équilibre écologique, a organisé l’opération en partenariat avec des associations et avec le soutien du ministère de la Transition écologique.

Le protocole est très encadré. Les hamsters, élevés en captivité, sont placés dans des terriers artificiels garnis de nourriture. Pour éviter qu’ils ne soient immédiatement la proie des renards ou des rapaces, les entrées sont partiellement bouchées avec de la paille et protégées par des clôtures électriques qui laissent passer les petits rongeurs, mais bloquent les prédateurs. Dans les parcelles choisies, les agriculteurs s’engagent à ne pas récolter la culture en place pendant deux ans, afin d’assurer un couvert végétal permanent. Ces précautions ne sont pas anodines : le grand hamster d’Alsace est classé en danger critique d’extinction par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).

Un emblème de la biodiversité en détresse

Le hamster d’Alsace, appelé aussi hamster commun, était autrefois abondant. Dans les années 1970, il n’était pas rare d’en voir par centaines dans les plaines alsaciennes, au point qu’il était considéré comme un nuisible pour l’agriculture. Mais l’intensification agricole a bouleversé son milieu. Le passage aux grandes monocultures de maïs ou de blé d’hiver, l’usage massif de pesticides et la disparition des prairies ont drastiquement réduit ses ressources alimentaires et ses abris.

À cette pression agricole s’ajoutent l’urbanisation et la fragmentation des habitats. Les routes et zones industrielles isolent les populations, qui deviennent trop petites pour se maintenir naturellement. Même des facteurs moins visibles, comme la pollution lumineuse, perturbent son cycle de reproduction et son comportement nocturne. Résultat : une femelle, qui pouvait avoir jusqu’à 20 petits par an il y a quelques décennies, n’en a plus que 5 ou 6 en moyenne aujourd’hui.

Face à ce déclin, l’État a lancé un Plan national d’actions pour la période 2019-2028, piloté par l’Office français de la biodiversité (OFB). Cinq axes guident les efforts : développer les connaissances et les actions en faveur de l’écosystème de plaine, connaître l’espèce et son interaction avec son milieu biologique, préserver et améliorer l’habitat agricole, préserver et renforcer les populations fragiles, et faire connaître l’espèce et les enjeux de sa protection. L’OFB suit chaque printemps l’évolution de la population en recensant les terriers. En 2016, on n’en comptait que 396. En 2024, le chiffre est remonté à 1 155, preuve que les réintroductions massives et la mobilisation agricole portent des fruits, même si la tendance reste fragile.

Quelles mesures pour sauvegarder le grand hamster ?

Les agriculteurs ont dû s’engager à semer des cultures plus favorables aux hamsters, comme la luzerne, le trèfle ou des céréales de printemps, et qu’ils laissent des jachères pour préserver des abris. Ces efforts couvrent environ 500 hectares. Ils sont soutenus financièrement par l’Europe, l’État et, depuis 2024, par un dispositif d’aide spécifique dédié à la conservation du hamster, créé par le décret n° 2024-589.

Ces actions restent cependant limitées. Les cultures choisies sont parfois moins rentables, ce qui freine leur adoption à grande échelle. Et surtout, la restauration d’un habitat viable demande une planification cohérente à l’échelle du paysage : un champ isolé de luzerne ne suffit pas si, tout autour, les sols sont artificialisés ou soumis à une agriculture intensive.

En outre, chaque année, entre 400 et 500 hamsters sont relâchés. Sans ces apports artificiels, la population sauvage s’effondrerait. L’objectif officiel est d’atteindre au moins 1 500 terriers sur 600 hectares pour assurer une population autonome. Nous en sommes encore loin.

L’État français est soumis à des obligations fortes du droit européen, notamment la directive Habitats‑Faune‑Flore, qui exige la protection stricte des espèces d’intérêt communautaire telles que le grand hamster d’Alsace. Dans un arrêt du 9 juin 2011, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a condamné la France pour insuffisance des mesures mises en œuvre, jugées trop laxistes ou mal compensées, notamment dans l’application des dérogations accordées pour des projets d’aménagement.

Ce jugement historique souligne un point fondamental. Il ne suffit pas de mettre en place un plan d’action ou de verser quelques aides ; l’État doit prouver que chaque projet (route, construction, infrastructure) ne porte pas atteinte à la survie de l’espèce. Sans preuve scientifique fiable et sans mesures réellement efficaces, la France risque des sanctions et la remise en cause de sa gestion écologique.

Aujourd’hui, la situation juridique est donc mitigée : malgré des plans, des réintroductions et des aides, les résultats restent fragiles, inégaux et souvent perçus comme superficiels. Pour que le grand hamster d’Alsace soit protégé correctement, il faudrait que l’État prouve, juridiquement et scientifiquement, qu’il agit en profondeur, avec des mesures de fond, durables, territorialisées et surtout respectueuses des obligations européennes.

Nicolas Bureau

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