Le loup, ce mal-aimé qui nous ressemble – Pierre Jouventin (humenSciences, 2021)

Un « grand méchant Loup » social et altruiste

Ethologiste bien connu, Pierre Jouventin a notamment eu la chance de partager une partie de sa vie avec une louve. Il en avait tiré un livre passionnant : Kamala, une louve dans ma famille (Flammarion, Paris, 2012). Dans le présent ouvrage, il étend la réflexion à une présentation plus générale du loup, ce « mal-aimé », pourtant ancêtre du chien, mais avec lequel on terrorise souvent les enfants, et qui n’est pas du tout, loin de là, le « Grand Méchant Loup » de la légende.

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Même dans des écrits scientifiques, même de nos jours, se retrouve la haine du loup, alors que, malgré de rarissimes attaques des hommes par des loups, « la peur est plutôt de l’autre côté : les loups, persécutés depuis tant de siècles, sont devenus farouches génétiquement » (p. 20). Le loup constitue une espèce opportuniste « qui s’est adapté remarquablement à presque tous les milieux » (p. 22) grâce à une très grande mobilité, une grande intelligence et à la « souplesse de sa vie sociale » (p. 25). Il constitue un élément essentiel des équilibres écologiques, comme témoigne l’exemple du parc de parc de Yellowstone aux Etats-Unis, où la réintroduction du loup a permis une réduction du nombre des ongulés et finalement la régénération des écosystèmes, caractérisée par « l’abondance de la végétation » (p. 38). Le loup est très altruiste, même avec les humains qui ont pu l’adopter. Kamala, la louve adoptée par Jouventin léchait « le visage de mon fils quand il revenait peiné à la maison avec une mauvaise note » (p. 52). Et quand, dans une rivière « nous avons commencé à nous éloigner du bord nageant, elle s’est jetée à l’eau pour nous saisir par le poignet et nous ramener à la rive » (p. 56). L’altruisme est lié à la parenté génétique et « à la socialité » (p. 78). « Est (…) altruiste tout comportement qui consiste à aider autrui » (p. 62) et, sur ce point, l’homme n’est pas le seul à pouvoir manifester de l’altruisme, comme le montre d’ailleurs l’observation de nombreuses espèces animales, depuis les orques jusqu’aux chauves-souris. Le loup en est un autre exemple saisissant.

Entre chien et loup…

Un long chapitre vise à comparer le loup et son descendant si proche, devenu « le meilleur ami de l’homme », le chien, même s’il n’est pas toujours « facile de s’y retrouver ‘entre chien et loup’ » ! (p. 96). Le chien a été domestiqué depuis très longtemps, il y a près de 36 000 ans, bien avant les autres animaux domestiques. L’« imprégnation sociale » de jeunes loups adoptés a pu y jouer un rôle essentiel : de jeunes loups adoptés ont pu considérer les humains comme leur « famille » et s’y intégrer. Ensuite, parmi les jeunes « loups », les humains ont pu sélectionner empiriquement ceux qui leur rendaient les meilleurs services « pour, peu à peu, obtenir des lignées beaucoup moins agressives mais néanmoins utiles à la chasse et gardant bien le campement » (p. 108), puis de nouvelles sélections ont été faites pour « la chasse, la course, le combat, le pistage… » (p. 110). Le chien a conservé la grande sociabilité du loup (des essais récents de sélection d’un « nouveau chien » à partir d’une espèce peu sociale, le renard, ont largement échoués), même si le loup reste probablement « plus malin et autonome que le chien » (p. 127). En revanche la domestication a favorisé, chez le chien, la natalité, ainsi que la faculté de comprendre le « pointage » d’un objet par un doigt humain (pointing), et, de manière plus générale, l’aptitude à comprendre les signaux humains, voire même les mots que prononcent les hommes.

Apprendre à coexister

Mais alors, si chien et loup restent, malgré des différences, aussi proches, pourquoi cette « diabolisation du loup » (p. 132) ? La religion a pu jouer un grand rôle en faisant de « la peur du loup (…) un levier formidable pour réveiller la foi des fidèles » (p. 137). « En 1210, Pierre de Beauvais écrit : ‘le loup représente le diable’ » (p. 135) et les efforts méritoires de saint François d’Assise pour humaniser le loup de Gubbio ne changeront guère cet état d’esprit hostile. L’épisode mythique de la « bête du Gévaudan », hâtivement assimilée à un loup, est là pour le prouver. En France, la persécution systématique du loup « a fini par avoir raison de l’espèce dans les années 1930 » (p. 145). Mais, très mobile, l’animal revient spontanément dans l’hexagone par l’Italie. Aujourd’hui persiste alors une « guerre du loup » (p. 140), due au fait que certaines populations de notre pays tolèrent mal la présence de loups sur leur territoire et souhaiterait éliminer à nouveau cet animal emblématique et protégé. « Une exception française quand les autres pays de tradition pastorale ne rencontrent pas de problème majeur. » (p. 154) La solution réside probablement dans l’amélioration de nos méthodes d’élevage des moutons, à l’exemple de ce qui se pratique hors de nos frontières, notamment par l’utilisation très efficace de chiens de protection des troupeaux. Alors « la peur du loup, qui était très présente dans les sociétés paysannes d’antan » (p. 162) pourrait s’effacer dans une vision plus harmonieuse des rapports de l’homme et de la nature, une vision qui permettrait enfin de dépasser « cette fausse dichotomie Homme/animal qui a été sécularisée par le physicien René Descartes » (p. 164).

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Durant la préhistoire, Homo sapiens n’aurait probablement pas pu triompher comme il l’a fait sans l’aide du loup devenu chien. Devenu, à son tour, un chasseur et super-prédateur, mais aussi un animal capable de développer des liens sociaux très forts et une entraide considérable, dans son comportement Homo sapiens ressemble toujours beaucoup au loup. Il y a une « étonnante convergence entre Homme et loup » (p. 188). Espérons que ce constat final du superbe livre de Pierre Jouventin nous aidera à nous rapprocher enfin de « ce mal-aimé qui nous ressemble » tant.

Georges Chapouthier

Le loup, ce mal-aimé qui nous ressemble, Pierre Jouventin, humenSciences, Collection Mondes animaux
Date de parution : 12/05/2021, EAN : 9782379313455, 256 pages, 18.00 €

Dans la même collection : La Bête en nous – Jessica Serra (humenSciences, 2021)

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