Tribune sur la pêche de loisir : « Une réglementation permettant de réduire la souffrance des poissons est indispensable »

La LFDA est co-signataire d’une tribune initiée par l’association Paris Animaux Zoopolis sur la pêche de loisir dans Le Monde du 26 juillet 2022. Un collectif de responsables d’organisations de défense des animaux appelle le gouvernement à réformer d’urgence la pêche de loisir.

Pêche loisir truite

Le 27 juin, le conseil municipal de Saint-Étienne (Loire) a adopté un vœu visant à une réglementation nationale pour interdire la pêche au vif. C’est la cinquième municipalité toutes couleurs politiques confondues qui, au nom de la condition animale, demande publiquement au gouvernement de mettre un terme à cette technique de pêche consistant à utiliser un poisson vivant comme appât. Même si les poissons sont les grands oubliés de la cause animale, nous assistons à une prise de conscience chez les politiques et dans l’opinion publique.

Le 12 mars, c’était l’ouverture de la pêche à la truite en France. Aux quatre coins du pays, les associations de pêche se sont affairées pour organiser des empoissonnements massifs de truites pendant les semaines qui ont précédé cette ouverture. L’empoissonnement est l’équivalent de l’élevage des animaux appelés « gibiers » destinés à la chasse, appliqué aux poissons et à la pêche de loisir : pour amuser des pêcheurs de loisir, des poissons d’élevage sont jetés dans les rivières, étangs et lacs.

Même si elles en sont emblématiques, les truites ne sont pas la seule espèce de poissons à subir l’empoissonnement dans le but de pêcher. L’association Paris Animaux Zoopolis (PAZ) estime que, chaque année en France, au moins cinq millions de truites sont concernées par cette pratique. En amont de cette pratique, il y a une étape fondamentale : l’élevage.

des poissons piégés par les pêcheurs

 L’empoissonnement implique de faire naître massivement des poissons : ils sont élevés jusqu’à ce qu’ils atteignent un certain âge, et surtout un certain poids, selon les envies des pêcheurs. Ensuite, les associations de pêche commandent et achètent les poissons en sélectionnant les espèces, les poids et les quantités, comme on choisit de la marchandise dans un magasin.

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Les poissons sont alors transportés jusqu’aux plans d’eau sélectionnés pour être jetés à l’eau. A l’ouverture de la pêche, les truites d’élevage inadaptées à une vie en liberté sont facilement piégées par les pêcheurs. Extraites brutalement de leur milieu et blessées par l’hameçon, elles sont souvent abandonnées au sol, où leur agonie par l’asphyxie commence. Certains pêcheurs ne prennent pas la peine de les tuer pour abréger leurs souffrances.

Soulignons ce que notre société refuse de voir : même s’ils n’ont pas de cordes vocales, les poissons résistent, ils se débattent comme ils le peuvent, ils sont d’ailleurs insaisissables quand on veut les attraper à la main, bref, ils ne se laissent pas faire. Nous pouvons le constater en étudiant l’arsenal des pêcheurs : les articles de pêche sont tous plus innovants les uns que les autres pour contrer cette résistance (hameçons triples, hameçons à ardillon, leurres souples, flottants, coulants ou durs, attractants, cuillères…).

Aucune réglementation pour limiter la souffrance des poissons

L’unique objectif de l’empoissonnement est de faire plaisir aux pêcheurs. Parce que ce qui compte, c’est bien d’« attraper du poisson » le jour de l’ouverture et d’éviter toute frustration. En d’autres termes, les associations de pêche ont construit un système violent pour répondre à la demande de leurs adhérents.

A chaque étape, les poissons sont considérés comme des marchandises, des objets de divertissement et des attractions. A aucun moment, ni leurs besoins ni leur capacité à ressentir et à souffrir ne sont pris en considération. Leur sensibilité et leur individualité sont tout simplement niées. D’ailleurs, contrairement aux animaux terrestres, aucune réglementation n’existe pour limiter leur souffrance, que ce soit en élevage, durant le transport ou lors de la pratique de la pêche de loisir.

L’empoissonnement permet de fournir une « ressource » pour pouvoir s’amuser. Les poissons sont donc vus comme un stock à gérer. Les études scientifiques qui démontrent que les poissons partagent l’essentiel avec les mammifères, c’est-à-dire la capacité à souffrir et à ressentir des émotions, n’ont jamais été aussi nombreuses. Pourtant, au nom d’un loisir, notre société accepte de sacrifier la vie de millions de poissons.

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Pêcher n’est pas un acte banal

Une réforme de la pêche de loisir est indispensable : nous devons inscrire dans les textes de loi une série de mesures pour protéger sérieusement les poissons. Cela doit passer par une série d’interdictions des pratiques cruelles, parce que aujourd’hui tout est permis sur les poissons, nous pouvons tout leur faire endurer : les laisser s’asphyxier hors de l’eau jusqu’à leur mort, les utiliser comme appâts vivants (pêche au vif), les pêcher dans un fleuve où il est interdit de les consommer (comme à Paris)…

Rappelons qu’en France pêcher nécessite une simple carte de pêche, qui peut être délivrée au premier quidam. Nous estimons que pêcher n’est pas un acte banal. D’ailleurs, certains pays, comme la Suisse et l’Allemagne, ont encadré cette pratique en instaurant un permis de pêche avec une formation théorique sur la souffrance des poissons. Une réglementation permettant de réduire la souffrance des poissons est indispensable.

Dans son expertise scientifique collective sur « La conscience animale », l’Institut national de la recherche agronomique (Inrae) écrit notamment : « De nombreux animaux, y compris les poissons, sont capables des mêmes processus d’évaluation que ceux qui déclenchent des émotions conscientes chez les humains. »

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Cessons de faire comme si nous ne savions pas que les poissons souffrent intensément, traitons-les avec empathie et bienveillance. Nous appelons le ministre de la transition écologique à prendre au sérieux la souffrance des poissons en réformant la pêche de loisir dès le début de son mandat. Le chantier est vaste et urgent.

Liste des signataires

Muriel Arnal, présidente de One Voice 
Lamya Essemlali, présidente de Sea Shepherd 
Brigitte Gothière, cofondatrice de L214 
Christine Grandjean, présidente de C’est assez ! 
Anissa Putois, responsable communication pour PETA France 
Matthieu Ricard, président de Karuna-Shechen 
Amandine Sanvisens, cofondatrice de PAZ 
Louis Schweitzer, président de La Fondation Droit animal, Ethique et Sciences (LFDA)

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