Pêche au vif: vivement la fin!

La pêche au vif est une technique qui consiste à utiliser un animal vivant appelé « vif » – généralement un poisson – comme appât. Elle implique des problèmes à la fois pour le poisson (élevage et transports inadaptés, douleur…) et pour les écosystèmes (introduction d’espèces invasives, propagation de maladies…). Est-ce un acte de cruauté ? Des pays ont déjà interdit cette technique. A quand la France ?

Cette technique est utilisée pour la pêche aux carnassiers : brochets, sandres, perches, achigan à grande bouche (black-bass), silures, éventuellement truites, anguilles ou chevaines, et plus rarement pour les carpes. L’intérêt pour le pêcheur est que le vif va stimuler les carnassiers de manière multimodale : visuellement, chimiquement, acoustiquement et physiquement par ses mouvements qui entraînent des vibrations dans l’eau que les prédateurs vont détecter. Le « vif », poisson blessé et peu mobile, donne l’impression d’une proie facile alléchante.

Selon les poissons qu’ils souhaitent prendre, les pêcheurs vont choisir leur vif selon des critères de taille, de brillance et d’espèce. Le poisson utilisé comme vif est généralement un gardon, un vairon, un goujon, éventuellement une carpe, une ablette, un chevaine, une tanche ou un carassin.

La vie d’un vif

Peu d’informations sont accessibles aux non-professionnels sur les conditions d’élevage des futurs vifs. La littérature scientifique naissante sur le bien-être des poissons d’élevage est centrée sur les espèces destinées à la consommation humaine. La seule thèse vétérinaire française portant sur l’élevage de vifs que nous avons pu trouver n’aborde absolument pas le bien-être des poissons. Dans ces conditions, il est difficile de formuler un avis étayé sur le respect ou le non-respect du bien-être des vifs pendant la phase d’élevage. Mais l’absence de bases scientifiques sur cette question peut inciter à la méfiance, et ce d’autant plus que les poissons sont les animaux d’élevage les moins protégés par le droit, ce qui autorise d’éventuelles dérives.

Les vifs peuvent être des poissons élevés dans le but d’être vendus comme vifs ou des prises des pêcheurs réutilisées comme vifs, immédiatement ou après avoir été maintenus vivants à domicile quelques temps.

Une fois la taille commercialisable atteinte, les vifs sont transportés, soit pour être livrés à domicile, soit pour être livrés en magasin. Il est bien connu que le transport est toujours une étape très stressante pour les animaux (voir 1, 2, 3, 4). Encore une fois, peu d’informations sont accessibles sur les conditions de transport des vifs. Cependant, dans le secteur de la pisciculture commerciale, le transport est généralement associé à des densités très élevées et des problèmes de qualité de l’eau. Certaines entreprises de pisciculture destinées à la consommation ont éventuellement les moyens d’investir dans des équipements professionnels permettant de limiter le stress subi, notamment via la maîtrise partielle des paramètres de l’eau pendant le transport (diffuseur d’oxygène, filtre, dégazeur de CO2, refroidisseur), l’utilisation de pompes à poisson et de goulotte de déchargement pour charger et décharger les animaux sans manipulation manuelle ou à l’épuisette, et en évitant l’exposition à l’air libre. 

On peut douter que de telles mesures soient prises dans le cadre des élevages de vifs, s’agissant plutôt de productions de taille modeste. On peut particulièrement s’interroger sur les entreprises pratiquant la livraison à domicile, et ce d’autant plus que certaines entreprises disent ouvertement sous-traiter à des entreprises de livraison de colis pourtant non agréées pour le transport d’animaux vivants (5, 6). De plus, le transport des poissons est très peu protégé par le droit. Si le règlement européen de 2005 s’applique aux transports des poissons d’élevage, outre ses dispositions générales, il ne contient aucune norme technique spécifique au transport des poissons.

Qu’ils proviennent d’un achat en magasin ou d’une prise, les vifs sont souvent conservés chez les pêcheurs pendant des périodes de temps plus ou moins longues. Maintenir correctement des poissons captifs, les aquariophiles le savent, est une tâche complexe qui nécessite du matériel et des connaissances. Un aquarium doit toujours être préparé plusieurs semaines avant l’arrivée des poissons afin qu’un équilibre biologique entre bactéries et matière organique (le cycle de l’azote) se mette en place (7, 8). Sans cela, les rejets de matière organique par les poissons ne seront pas correctement dégradés ce qui posera des problèmes de toxicité de l’eau. Il faut respecter les besoins de chaque espèce en matière d’environnement social (nombre d’individus et sexe-ratio) et physique. La gestion de la qualité de l’eau est complexe : chaque espèce a des besoins et des fenêtres de tolérance spécifiques en matière de pH, de dureté (K.H. et G.H.), de température, d’oxygène et de dioxyde de carbone dissous, de matière en suspension, d’ammoniaque, de nitrate et de nitrite. Déterminer la densité de population par volume d’eau optimale pour le bien-être est complexe et fait encore l’objet de recherches, les densités insuffisantes ou trop élevées pouvant favoriser l’agressivité.

Prise d’écran Youtube

Certains pêcheurs aquariophiles expérimentés sont peut-être attentifs au respect de ces besoins. Mais une recherche rapide montre que certains conseils dispensés sur les sites et chaînes Youtube amateures sont totalement inadaptés pour préserver le bien-être des poissons. Dans une vidéo de conseils à 38 000 vues, les vifs sont conservés en densité importante dans un volume faible, sans substrat, sans plantes, sans filtration, dans une obscurité totale sans cycle jour/nuit. La personne ne mentionne pas une seule fois le respect du cycle de l’azote et des paramètres physico-chimiques de l’eau à l’exception de l’oxygène. Rappelons ici que si une mortalité importante est en effet un signe d’une atteinte au bien-être, la simple survie des animaux n’est absolument pas en soi une garantie de bien-être.

Les vifs sont ensuite transportés pour la partie de pêche. Pour cela, ils sont maintenus dans des seaux à vifs serrés les uns contre les autres dans un minuscule volume d’eau dont les paramètres physico-chimiques ne peuvent nécessairement pas être adaptés, quand bien même l’eau serait aérée par un bulleur dans le meilleur des cas.

Vient ensuite le moment de l’eschage, c’est-à-dire l’accrochage du vif à l’hameçon, en prenant garde de ne pas tuer l’animal. Plusieurs méthodes existent : l’hameçon peut être piqué dans la bouche, le pédoncule caudal ou sur le dos. Certains, pour éviter que le vif ne se décroche, pratiquent le lochage : on fait passer un fil métallique avec une aiguille sous la peau du poisson. L’eschage et le lochage, en portant atteinte à l’intégrité physique du poisson, sont source de douleur. À cela s’ajoute le stress de la manipulation et de l’exposition à l’air libre.

Lire aussi « Douleur des poissons : va-t-on continuer à noyer… le poisson ? »

Pour finir, une fois le montage mis à l’eau, les poissons sont maintenus exposés aux prédateurs pendant de longues minutes, sans possibilité de se cacher ou de fuir. Or, le maintien dans un milieu ouvert est stressant pour les poissons qui font généralement montre de thigmotaxie, la tendance à longer les parois et éviter les milieux ouverts, et de scototaxie, la tendance à préférer les milieux sombres aux milieux lumineux. Cela est d’autant plus problématique que la capacité à ressentir de la peur existe chez les poissons (9, 10, 11). Une étude de 2019 portant sur trois espèces utilisées comme vifs en Amérique du Nord estime que les vifs accrochés à leurs hameçons peuvent mettre plus d’une heure à mourir. Les trois espèces de cette étude ne sont pas utilisées en France, mais deux d’entre elles appartiennent à la famille des cyprinidés, tout comme les vairons, goujons et gardons utilisés comme vif dans notre pays.  Enfin, les vifs finissent leur vie dans la bouche des prédateurs qui viendront eux-mêmes se blesser sur les hameçons. Certains peuvent toutefois s’échapper.

Enfin, certains pêcheurs relâchent les vifs inutilisés conservés dans leur seau en fin de partie de pêche. Ces lâchers contribuent à augmenter les risques de transmission de maladie et d’invasion biologique. Une étude a pu établir qu’en Amérique du Nord, dans la baie d’Hudson, la probabilité qu’au moins un pêcheur relâche des poissons-appâts dans une journée est de 1,2 %. Rapporté au nombre de pêcheurs, cela veut dire qu’il est très probable que 10 000 lâchers se produisent chaque année. Des sondages auprès des pêcheurs en Ontario et au Wisconsin révèlent que 36 % à 41 % des pêcheurs disent relâcher leurs vifs inutilisés à l’eau en fin de partie de pêche. Ce chiffre est de 65 % pour les pêcheurs du Maryland.

Un impact écologique

La pêche au vif n’est pas la pression la plus importante que subit la biodiversité aquatique. Les problématiques de pollution, d’aménagement des cours d’eau (fragmentation de l’habitat) et le réchauffement climatique ont des effets bien plus importants. Cependant, des éléments montrent que cette pratique n’est pas sans conséquences sur la biodiversité.

Risques d’introduction et de propagation d’espèces invasives

L’utilisation de poissons susceptibles de provoquer des déséquilibres biologiques comme vifs est interdite par l’article R436-35 du code de l’environnement. Cela n’empêche pas la pêche au vif d’être une voie d’introduction d’espèces dans des milieux où elles ne sont pas indigènes. Ces invasions biologiques peuvent être le fait d’espèces exotiques envahissantes (EEE) provenant de l’étranger, ou relever de la dispersion d’espèces françaises dans des lacs et cours d’eau du territoire français où elles ne sont pas indigènes. La pêche au vif peut constituer en elle-même une voie d’introduction, ou être seulement une contribution à une invasion biologique déjà existante en fournissant de nouveaux individus, échappés ou relâchés, à une population invasive déjà établie par une autre voie d’introduction.

Selon Nicolas Poulet, chargé de mission biodiversité aquatique à l’Office français de la biodiversité (OFB), « certaines espèces natives de métropole sont dispersées en tant que vif dans des milieux où elles ne sont pas indigènes. C’est le cas des vairons et des goujons dans les lacs d’altitude (pêche de la truite) avec des impacts sur la faune et la flore locale (Parc national des Pyrénées). Une autre espèce, l’ide mélanote, qui n’est native que du Nord-Est de la France est aussi largement introduite dans différents bassins. Actuellement, certains pêcheurs de silure utilisent le gobie à tache noire, espèce particulièrement invasive, augmentant les risques d’invasion dans d’autres bassins. » 

Vif (espèce goujon) (Pmk00001 [CC BY-SA 3.0] Wikimedia Commons)

Si le recours aux vairons et goujons est censé être autorisé, ce n’est pas le cas du gobie à tâche noire en ceci qu’il ne s’agit pas d’une espèce représentée en France listée à l’arrêté du 17 décembre 1985. L’utiliser comme vif peut donc relever de l’introduction d’une espèce exotique. Le cas de l’ide est particulier car, bien qu’il existe certaines populations invasives, l’espèce est protégée par l’arrêté du 8 décembre 1988. Il existe cependant des élevages d’ide mélanote destinés à être utilisés comme vifs.

Selon Henri Persat, spécialiste de l’ichtyofaune et ancien chercheur à l’université Claude Bernard – Lyon 1, « l’ide a été propagé un peu partout parce que c’est un vif beaucoup plus résistant que le gardon ». Cependant, il semble que l’établissement d’une population d’ide mélanote en Basse-Loire ait précédé de près d’un siècle la démocratisation de l’élevage des ides pour le commerce des vifs.

Les poissons rouges sont aussi utilisés comme vifs par certains pêcheurs (12, 13), contribuant à la propagation de cette espèce invasive dans les eaux françaises. Il est vrai cependant que les lâchers de poissons rouges utilisés comme poissons d’ornement constituent la cause principale de propagation de cette espèce, loin devant la pêche au vif.

L’utilisation de vifs est reconnue comme un facteur de risque d’invasion biologique à l’international (14, 15, 16). En 1984, on estimait que l’utilisation en tant que poisson-appât figurait parmi les causes possibles d’introduction pour 58 des 168 espèces de poissons qui se sont établis en dehors de leur aire de répartition indigène aux États-Unis. Il s’agit aussi d’une voie d’introduction du goujon de l’Amour invasif dans certains pays européens. Une étude en République Tchèque, en enquêtant sur les forums d’amateurs de pêche récréative, a démontré que bien que le caractère invasif de la perche soleil soit connu de certains pêcheurs, un certain nombre d’entre eux l’utilisait comme vif, contribuant ainsi à la propagation de l’espèce. Dans ce pays, une enquête a même révélé que des espèces invasives étaient couramment vendues comme vifs à Prague. Même constat aux États-Unis dans l’état du Maryland où une enquête de 2008 a révélé que 6 espèces non indigènes étaient couramment vendues comme vifs. Dans cet état, les lâchers de vifs sont considérés comme étant la voie la plus probable d’introduction de 5 espèces de poissons et de 4 espèces d’écrevisses, ces introductions ayant été suivies de déclin voire de disparition de populations locales. Une autre étude menée au Canada et aux États-Unis a montré que 18 des 28 espèces vendues comme vifs dans les magasins enquêtés étaient potentiellement utilisées dans des zones où elles ne sont pas indigènes.  Une étude canadienne a quant à elle calculé la probabilité que des vifs relâchés en fin de partie de pêche soient introduits en dehors de leur aire de répartition, dans une zone de 2 920 lacs ontariens. Cette probabilité est de 0,036 % pour les 4,12 millions de lâchers annuels estimés. La probabilité peut paraître faible, mais rapportée au nombre de lâchers estimés, cela représente tout de même environ 1 400 cas par an. Les auteurs parlent de “probabilité faible” associée à un “risque d’impact fort”. 

Risques de transmission de maladies 

L’utilisation de vifs (ou de morts), si ceux-ci n’ont pas été capturés dans le même milieu où ils seront utilisés, présente des risques de transmission de pathogènes aux poissons sauvages. Le fait de relâcher les vifs non utilisés en fin de partie de pêche contribue aussi à ce risque sanitaire. Ce problème est d’autant plus important que les vifs sont souvent conservés vivants chez les pêcheurs dans des conditions sous-optimales d’un point de vue sanitaire. Ajoutons à cela que le stress chronique est connu pour avoir un effet délétère sur les fonctions immunitaires, favorisant le développement des maladies (16, 17). Or, si les poissons sont maintenus en surdensité dans un faible volume d’eau de qualité médiocre, la probabilité que les animaux subissent un stress chronique est élevée. Le stress chronique est d’autant plus probable s’il s’agit de poissons sauvages qui vont subir un stress d’adaptation à un nouveau milieu très différent de leur milieu d’origine.

Une étude américaine de 2012 a investigué la prévalence des infections virales chez les commerçants de poissons-appâts : 44 % des lots de poissons testés étaient porteurs d’un ou plusieurs virus, et 39 virus différents ont été recensés parmi les 4 318 poissons étudiés. Certains des poissons infectés avaient pourtant été certifiés en bonne santé par le protocole d’inspection visuelle des professionnels, démontrant qu’éviter d’utiliser des poissons qui ont l’air malade ne suffit pas à assurer la biosécurité. Les auteurs affirment qu’ »il a été établi qu’un certain nombre de virus aquatiques, comme le VHSV [virus de la septicémie Hémorragique Virale ]et le LMBV [virus du Black-Bass], peuvent être transmis aux poissons via ingestion orale d’un autre poisson contaminé ». L’étude conclut qu’ »il est probable qu’une transmission virale aux populations de poissons sauvages soit imminente et les conséquences pourraient être désastreuses » et que « ce qui est certain, c’est que la nature des ventes, importations, et usages des poissons-appâts contribue directement à la transmission accrue de virus« . Une autre étude s’intéressant au virus LMBV a quant à elle démontré que la simple mise en présence dans un même volume d’eau d’un poisson infecté et d’un poisson non infecté pouvait suffire pour contaminer le poisson sain, y compris si un dispositif empêche tout contact direct entre les poissons.

Des transmissions de pathogènes par les vifs ont déjà été recensées. C’est le cas de la transmission du parasite Oviplistophora ovariae par des menés jaunes d’élevage utilisés comme vifs au Kentucky, Missouri et Arkansas. Les vifs capturés dans un plan d’eau et utilisés dans un autre ont aussi été considérés comme posant un risque important de propagation de la virémie printanière de la carpe (SVCV) aux États-Unis.

Malheureusement, la question n’a jamais été étudiée en France. Les souches de SHV n’étant pas les mêmes en Amérique du Nord et en France, on ne peut pas présager de la situation dans notre pays à partir des seules données américaines pour ce qui concerne cette maladie. Selon le docteur Patrick Girard, vétérinaire Ichtyologue et secrétaire de l’Association « Santé Poissons Sauvages » (ASPS) « Au vu du manque de connaissances et de données, il est très difficile de s’avancer sur les impacts éventuels de la pêche au vif sur la santé des populations de poissons sauvages car il existe de très nombreux paramètres et facteurs vis-à-vis desquels nous avons plus d’interrogations que de réponses ».

Ce dernier fait tout de même remarquer que certaines espèces couramment utilisées comme vifs sont listées en annexe du règlement (CE) n° 1251/2008 de la Commission du 12 décembre 2008, comme étant potentiellement vectrices de maladies pour les populations piscicoles. Les espèces de cette liste sont considérées comme vectrices d’une maladie lorsqu’elles proviennent d’une ferme aquacole ou d’un bassin hydrographique dans lesquels des espèces sensibles à ladite maladie sont présentes. Ainsi les poissons rouges, carassins, carpes communes, chevesnes, gardons et rotengles, souvent utilisés comme vifs, sont listés comme des vecteurs potentiels de nécrose hématopoïétique infectieuse et de septicémie hémorragique virale, deux maladies contagieuses bien connues en pisciculture. Patrick Girard conclue donc : « En France, le risque de transmission de maladies virales aux poissons sauvages à partir de vifs apparaît faible à très faible. En revanche, la transmission d’organismes parasitaires particulièrement pathogènes, via des vifs infectés ou l’eau ayant servi au transport de ces derniers, est beaucoup plus probable et, donc, problématique. C’est le cas notamment de A. crassus, responsable de l’anguillicolose de l’anguille, de l’agent de l’hépatonéphrite parasitaire (ou PKD) à laquelle sont extrêmement sensibles les juvéniles de salmonidés, le vairon et le brochet, ou encore d’une maladie émergente, la ‘maladie de la Rosette, dont est porteur sain le goujon asiatique Pseudorasbora parva. Aussi, des enquêtes visant à mieux appréhender l’ensemble de ces pratiques mériteraient donc d’être entreprises. Par ailleurs, au-delà de ces questions, il serait souhaitable d’informer et de sensibiliser tous les acteurs impliqués dans la pêche et le commerce des vifs ». Cependant, l’Association « Santé Poissons Sauvages » tient à préciser explicitement qu’elle ne prend pas partie pour ou contre la pêche au vif.

La réglementation française de la pêche au vif

Il y a une absence de réglementation centrée sur les individus du fait que le droit des poissons est rattaché au droit de l’environnement (matière récente datant de 1972) qui protège les êtres humains. La réglementation relative à la pêche au vif dépend du code de l’environnement. Le livre IV comprend divers articles mentionnant des modes de pêche au vif prohibés :

  • Utiliser comme appât ou comme amorce des œufs de poissons naturels ou congelés.
  • Utiliser comme vif ou mort des espèces de poissons dont il existe une taille minimum de capture (brochet, sandre, truite, black-bass…) 
  • Utiliser comme vif ou mort des espèces de poissons susceptibles de créer des déséquilibres biologiques (écrevisses américaines et de Louisiane, perche soleil, poisson chat…) ou non présentes naturellement dans les eaux françaises.
  • Utiliser comme vif ou mort des anguilles. 
  • Utiliser un vif ou un poisson mort sur une ligne de fond (cordelle), ceci dans le but de protéger l’anguille qui est menacée d’extinction au niveau européen. 
  • Interdiction de la pêche au vif, au poisson mort ou artificiel, et autres leurres susceptibles de capturer les brochets de manière non accidentelle durant la période de reproduction (de février à mars).

Les règles de pêche fixées au niveau national sont adaptées au niveau départemental en fonction des caractéristiques locales notamment pour la protection de certaines espèces emblématiques ou les particularités des milieux, dans le cadre d’un arrêté préfectoral de pêche pris au niveau départemental. Ces règles varient principalement en fonction de la catégorie piscicole. Pour être complètement informés de la réglementation en cours sur leur lieu de pêche, les pêcheurs doivent consulter le site de la direction départementale des territoires et veiller aux parutions des arrêtés préfectoraux. 

La réglementation du code de l’environnement vise à défendre et à protéger un milieu ou une espèce en particulier. Le vif n’est mentionné ici que comme un instrument ou une contrainte afin d’y parvenir. La règle de base pour les variétés de poissons que l’on peut utiliser en vif dépend de si le poisson est spécifiquement protégé, courant dans nos eaux, inconnu ou nuisible. 

Quid du poisson rouge ? Le poisson rouge est l’espèce carassin doré, présent sur la liste des espèces de poissons représentées en France fixée par l’arrêté du 17 décembre 1985, donc on peut aisément l’utiliser comme vif. Les poissons rouges ne sont pas listés à l’article R432-5 comme espèce susceptible de provoquer des déséquilibres biologiques, et ne sont pas juridiquement une espèce exotique envahissante. Cependant, certaines études d’impact en écologie considèrent que certaines populations de poisson rouge en France sont invasives.

Un acte de cruauté ?

Le poisson rouge, est présent dans la liste réglementaire fixant les espèces, races ou variétés d’animaux domestiques.

Le code de l’environnement (art. R411-5) donne quant à lui une définition de l’animal non domestique : « Sont considérées comme espèces animales non domestiques celles qui n’ont pas subi de modification par sélection de la part de l’homme. » En s’appuyant sur cette définition, alors tous les poissons « vifs » d’élevage, y compris ceux qui ne figurent pas sur la liste des espèces domestiques, élevés et vendus en magasin ou bien provenant directement de pisciculture sont également considérés comme des animaux domestiques. En effet, la filière piscicole démontre couramment sa capacité à maîtriser l’ensemble du cycle de production, depuis la sélection des géniteurs en passant par la ponte des œufs et la croissance jusqu’aux tailles commercialisables. Il paraît très probable que cette sélection résulte en des différences phénotypiques (différences comportementales sur le plan de l’agressivité et de la prise de risque, vitesse de croissance, taille du corps et des nageoires, etc.) entre les lignées sauvages et les lignées sélectionnées. L’apparition de telles différences en quelques générations de sélection seulement est bien documentée chez les saumons atlantiques.

Or, le code pénal pose désormais le principe d’une interdiction d’exercer, sans nécessité, des mauvais traitements envers les animaux domestiques et les animaux sauvages apprivoisés ou bien tenus en captivité (article 521-1). Cette dernière qualification prend donc également en compte les poissons pêchés et conservés dans le but d’être réutilisés comme appât au motif qu’ils sont « tenus en captivité ».

Les atteintes volontaires à la vie d’un animal sont également réprimées par l’article R655-1 du code pénal : « le fait, sans nécessité, publiquement ou non, de donner volontairement la mort à un animal domestique ou apprivoisé ou tenu en captivité est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la 5e classe ».

De plus, le code rural rend attentif à la contention abusive, il est stipulé à l’article R215-4 : « Est puni de la peine d’amende prévue pour les contraventions de la 4e classe, le fait pour toute personne qui élève, garde ou détient des animaux domestiques ou des animaux sauvages apprivoisés ou en captivité : […]

 – 4° d’utiliser, sauf en cas de nécessité absolue, des dispositifs d’attache ou de contention ainsi que de clôtures, des cages ou plus généralement tout mode de détention inadaptée à l’espèce considérée ou de nature à provoquer des blessures et des souffrances. » 

L’article L214-1 du code rural et de la pêche maritime reconnait l’animal comme un être sensible qui doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce et la réforme du 16 février 2015 a permis d’importer cette notion sensibilité dans le code civil.

Du point de vue juridique, il existe donc aujourd’hui, en principe, une égalité fondamentale entre les poissons et les autres vertébrés dès lors que le droit parle d’« animal ». La pratique de la pêche au vif n’est de ce fait plus conforme avec le droit et le respect dû à l’animal. 

Du reste, le fait que la pêche au vif relève de l’acte de cruauté est attesté par l’attitude du droit et des institutions quant à l’utilisation de vertébrés terrestres comme vifs.

Ainsi, l’arrêté préfectoral n° 2307 du 6 septembre 2005 (aujourd’hui abrogé) du préfet de La Réunion interdit l’utilisation de chiens comme vifs pour la pêche au requin.

L’ONCFS a été interrogée en 2018 sur la légalité de l’utilisation de vertébrés terrestres comme vifs. Elle a fourni une réponse considérant que cela relevait de l’acte de cruauté selon le code pénal. D’autre part, elle a justifié l’autorisation de l’utilisation de poissons comme vifs en invoquant les dispositions du code de l’environnement sur l’utilisation de « vifs », et le fait que le terme « vif » est défini en faisant référence aux poissons dans les dictionnaires Larousse et Littré. On peut aisément rejeter ce second argument au motif que le dictionnaire de l’Académie française, faisant autorité, ne spécifie nulle part qu’un vif est nécessairement un poisson.

Enfin, la nature d’acte de cruauté de la pêche au vif a d’ailleurs été confirmée à la LFDA en 1997 dans un courrier par M. Philippe Vasseur, alors ministre de l’Agriculture, (au même titre d’ailleurs que le dépeçage à vif des anguilles sur les marchés du Sud-Ouest, considéré lui aussi comme passible des peines prévues par l’article 512-2 du Code Pénal).

Pourquoi interdire la pêche au vif ?

La nécessité de l’utilisation d’un poisson appât est d’autant plus remise en cause du fait de l’existence de méthodes alternatives comme l’utilisation de leurres.

Au vu des différentes discussions qui ont eu lieu au Parlement et dans la littérature, le fait qu’un animal ne doit plus être utilisé comme un simple instrument et que l’on doit faire preuve de plus de respect à son égard devient une valeur sociale importante. 

La reconnaissance de la valeur intrinsèque de l’animal, des avancées scientifiques et des questions d’éthique a pour conséquence d’exiger sérieusement une cohérence avec les règles et également de fournir des mesures claires et efficaces afin d’en promouvoir le respect. Les considérations vis-à-vis des risques de transmission de pathogènes et d’invasion biologique pèsent également dans la balance.

Dans l’intérêt de la santé et du bien-être des animaux, en particulier les animaux gardés par l’homme, il est en effet souhaitable de mettre en œuvre les obligations européennes notamment celle de l’article 13 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui dispose : « Lorsqu’ils formulent et mettent en œuvre la politique de l’Union dans les domaines de l’agriculture, de la pêche, des transports, du marché intérieur, de la recherche et développement technologique et de l’espace, l’Union et les États membres tiennent pleinement compte des exigences du bien-être des animaux en tant qu’êtres sensibles. »

En l’absence de précision supplémentaire sur le terme « pêche » dans cet article, on peut considérer qu’il se réfère à la fois à la pêche commerciale et à la pêche de loisir.

D’autre part, la sensibilité des poissons est aujourd’hui déjà protégée par le droit dans le cadre de la détention des animaux de compagnie, de la pisciculture et de l’expérimentation scientifique. Il est totalement illogique que des actes répréhensibles pénalement s’ils sont exercés par un pisciculteur ou un chercheur, dans le cadre d’une activité à utilité sociale de l’ordre de la production de nourriture et des progrès scientifiques, notamment biomédicaux, soient autorisés dans le cadre d’une activité de simple divertissement sans aucune nécessité. 

L’utilisation d’un poisson pleinement conscient comme appât commence à faire réagir l’opinion publique en Europe et dans le monde et la pêche au vif est déjà interdite dans plusieurs pays : Suisse, Irlande, Royaume-Uni (Écosse), Espagne, Norvège, Allemagne, Pays-Bas et dans certains états Américains et Canadiens. Cette interdiction n’est pas définie partout uniquement pour des raisons de bien-être, mais également en raison du danger d’introduction d’espèces de poisson indésirable.

L’exemple des Pays-Bas

C’est ainsi que le 20 août 1998, le journal néerlandais Trouw informait de la décision prise par le ministre M. Apotheker d’interdire la pêche au vif. Son prédécesseur au ministère du landbouw (agriculture) M. Van Aartsen avait annoncé en 1994 qu’il pourrait vouloir imposer une interdiction légale et avait demandé aux amateurs de pêche de mettre en œuvre une politique volontaire qui découragerait l’utilisation des appâts vivants.

Cependant, quatre ans plus tard, le nouveau ministre a établi que cette démarche n’avait pas été enclenchée de manière effective. C’est pourquoi la demande s’est transformée en mesure. Cette décision s’appuie sur le fait qu’il a été suffisamment démontré que le bien-être des animaux est trop affecté lors de leur utilisation comme appât vivant. « Les poissons sont sensibles au stress, et le stress prolongé peut entraîner la mort, raison suffisante pour arriver à une interdiction légale », a dit le ministre (rapport du 7 avril 1997, n° J. 9611458, Département des affaires juridiques).

La discussion scientifique s’est portée sur la question de savoir si les poissons en termes de forme, de métabolisme et de physiologie pouvaient être comparables à d’autres espèces animales dites « supérieures » et il s’est avéré certain que les poissons servant d’appâts sont délibérément amenés à se trouver dans une situation qui conduit à un stress inacceptable et aboutissant finalement à la mort.

De ce fait, en date du 14 avril 1997, le Conseil d’État et la Reine Béatrix ont validé et signé un décret stipulant l’interdiction de l’utilisation d’appâts vivants dans les eaux néerlandaises. Depuis cette décision, afin de pêcher le carnassier, les pêcheurs néerlandais ont l’obligation d’utiliser des leurres ou bien de mettre à mort instantanément (avec un fort coup sur la tête) le poisson pêché dans le but de l’utiliser comme « mort manié ».

La mobilisation en France

La LFDA est intervenue auprès des ministres de l’Agriculture et de l’Environnement dès 1997 pour dénoncer la pêche au vif et l’utilisation des hameçons à ardillon. En 2002, la LFDA a édité un livret « Réformer la pêche de loisir » pour mettre fin a minima aux pratiques facilement évitables les plus préjudiciables. Ce dossier a été remis aux autorités ministérielles et administratives et envoyé à tous les conseils généraux. En 2011, 2012 et 2013, la Fondation a demandé la promulgation d’un décret interdisant la pêche au vif, l’utilisation des hameçons à ardillons et de la gaffe. Le législateur pourrait s’inspirer de la proposition de réforme du droit animalier de Nicolas Pralong, lauréat 2018 du prix de droit Jules Michelet, qui consiste à interdire l’utilisation de vertébrés vivants comme vifs. À cela il faudrait ajouter une interdiction de l’élevage, de la vente et de l’achat des vertébrés vivants dans le but d’être utilisés en tant que vifs pour la pêche.

Lire aussi : « Pêche de loisir et pratiques cruelles » p. 19

Pierre Rigaux, naturaliste engagé a dénoncé en vidéo la vente de vifs par l’enseigne Décathlon au printemps 2019. L’association Paris Animaux Zoopolis, quant à elle, a dévoilé des images de la pratique de la pêche au vif et demande son interdiction. Deux parlementaires, Claire O’Petit et Bastien Lachaud, ont interpellé le gouvernement par question écrite sur les souffrances qu’endurent les poissons dans le cadre de la pêche de loisir de manière générale, et de la pêche au vif, en particulier (18, 19).

À quand une prise de conscience des autorités françaises ?

Pauline Allier et Gautier Riberolles

* www.association-sante-poissons-sauvages.com

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