Les dauphins font le dab !

Connaissez-vous le dab ? Ce mouvement popularisé par la scène hip-hop consiste à placer sa tête dans son coude avec les deux bras parallèles pointant vers le ciel. En provenance des États-Unis, le mouvement a rapidement conquis le monde, en s’élargissant au-delà du milieu de la musique et du sport, jusqu’à ce que même Hilary Clinton et Emmanuel Macron fassent eux aussi le dab ! Si on regarde les données de Google trends, qui recense le nombre de recherches Google contenant le mot « dab » au fil du temps, il apparaît clairement qu’en France, cet effet de mode a commencé début 2016, a atteint son pic fin 2016 début 2017, et est depuis sur le déclin.

Mouvement de tail-walking

Le dab est un parfait exemple de nouveau mouvement qui en quelques mois, émerge, monte en popularité, devient le summum du « cool », puis tombe en désuétude. Il semble que ce genre de phénomène n’est pas propre aux humains. Une étude de 2018 a décrit la montée en puissance et le déclin d’un nouveau mouvement arbitraire devenu un véritable phénomène de mode dans une communauté de dauphins indo-pacifiques (Tursiops aduncus) au Sud de l’Australie.

L’histoire commence avec Billie. En 1987, cette femelle juvénile s’est retrouvée enfermée dans un port pendant deux semaines. Elle a été capturée et transférée dans un delphinarium local où elle fit la rencontre de cinq dauphins captifs dressés. Billie n’a jamais reçu de dressage comme les autres pensionnaires du delphinarium, cependant, pendant plusieurs semaines, elle a assisté au quotidien de ces cinq dauphins de spectacle. Ces dauphins avaient été dressés à effectuer ce qu’on appelle le tail-walking, c’est-à-dire, le fait de battre vigoureusement de la queue de manière à se dresser verticalement en sortant les deux tiers du corps hors de l’eau tout en reculant. Billie fut relâchée en janvier 1988 près du port où elle a été capturée, après environ deux mois de captivité.

En 1995, Billie, alors âgée de 10 ans, fut observée en train de faire du tail-walking en milieu naturel. Jusqu’alors, le ce mouvement n’avait jamais été observé chez des dauphins sauvages. Cela suggère que Billie a appris ce comportement en observant ses congénères captifs lors de son séjour au delphinarium. Cela est d’autant plus probable que les capacités d’apprentissage social et d’imitation sont déjà très robustement démontrées chez les dauphins. Elle fut de nouveau observée faire du tail-walking en 1998 et en 2007. En 2008, la mode commence à se propager : Billie est observée faisant du tail-walking au cours de 5 journées différentes, une autre femelle inconnue est observée une fois faisant ce même mouvement, ainsi qu’une troisième femelle du nom de Wave au cours de 20 journées. Le rythme s’accélère en 2009 où la femelle Hope rejoint la mode, tandis que le fameux tail-walking est observé sur huit journées chez Billie et 33 journées chez Wave.

Plus tard dans l’année, Billie décède, mais la mode qu’elle a lancée continue. Wave, véritable influenceuse, passionaria du tail-walking, reprend de plus belle. On l’observe performer son tail-walking avec style au cours de 51 journées en 2010 et 40 journées en 2011. Au cours de ces deux années, huit autres individus de la même communauté sont observés effectuer ce mouvement. Mais à partir de 2012, le phénomène s’essouffle : 23 journées observées à faire ce mouvement pour Wave, le chiffre tombe à 25 en 2013, et à 5 en 2014. Sur la même période, les observations des huit autres dauphins qui avaient rejoint la cette mode diminuent elles aussi progressivement. En 2014, en plus de Wave, seules deux femelles sont observées un jour chacune effectuant le mouvement devenu désormais has-been.

Même en prenant en compte le biais d’effort de prospection, c’est-à-dire les variations dans le nombre d’heures que les observateurs ont passé en mer pour tenter d’étudier les dauphins, les résultats montrent clairement l’apparition, la montée en puissance puis le déclin du tail-walking.

Si l’existence de traditions culturelles a été mise en évidence chez un certain nombre d’espèces, cette observation est particulière. En effet, la plupart des traditions culturelles animales connues sont liées à des comportements qui jouent un rôle assez clair dans la survie des animaux comme les techniques utilisées par les grands singes pour casser des noix ou les techniques de chasses chez d’autres cétacés. Dans le cas du tail-walking, il ne semble pas y avoir de bénéfices très clairs du point de vue de la survie. Les auteurs pensent que si des bénéfices existent, ils doivent avant tout être sociaux même s’il est difficile sans données supplémentaires de comprendre précisément le sens attribué à ce comportement par les dauphins. Quasiment toutes les observations ont été faites dans des situations de groupe ce qui renforce l’hypothèse de motivations essentiellement sociales. Le fait qu’il s’agisse d’un nouveau comportement, socialement appris, sans bénéfice de survie clair, qui émerge, gagne en popularité, puis décline, amène les chercheurs à penser qu’il s’agit probablement d’un phénomène culturel de mode arbitraire. La courbe des observations de tail-walking dans le temps a étrangement la même allure que la courbe des recherches contenant le mot « dab » sur Google trends.

Il est également intéressant de noter que la transmission du comportement s’est essentiellement faite de manière horizontale entre pairs, c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas de transmission d’une tradition depuis les parents envers leurs petits. Les dauphins ayant fait du tail-walking étaient généralement issus de mères qui n’ont jamais présenté ce comportement. Un autre point intéressant est que les dauphins adeptes de ce mouvement étaient en grande majorité des femelles. Si quelques mâles juvéniles ont participé à la mode, aucun mâle adulte n’a été vu faire du tail-walking. Notons aussi qu’un phénomène de leader est peut-être en jeu. En effet, si la mode a été lancée par Billie, la véritable reine du tail-walking est incontestablement Wave, responsable de plus de la moitié des observations du mouvement.

Ainsi, les dauphins, qui n’ont pas de bras, ne font peut-être pas le dab. Mais il semble qu’ils aient leurs propres mouvements chorégraphiques tendance, dictés par leurs propres « influenceurs » tels que Wave. Les phénomènes de mode ne sont peut-être pas l’apanage des êtres humains.

Gautier Riberolles


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