L’Union européenne résolument engagée dans la lutte contre l’antibiorésistance en médecine vétérinaire – Conséquences pour le bien-être animal

Une courte publication récente de la Commission européenne, évoquant les travaux en cours sur deux propositions de règlements européens concernant les médicaments vétérinaires, au sens large du terme et notamment au sens où la France l’entend – c’est-à-dire incluant les aliments médicamenteux –, appelle des éclaircissements sur les notions respectives d’aliments antibiosupplémentés et d’aliments médicamenteux.

Plus largement à ce propos nous envisagerons ici l’engagement de l’Union européenne (UE) dans la lutte contre la résistance bactérienne aux antibiotiques en médecine vétérinaire. Nous ébaucherons quelques réflexions sur les conséquences en matière de bien-être animal.

médicaments antibiotiques

Une seule santé

D’abord il convient de rappeler que les actions conduites pour réduire la résistance bactérienne aux antimicrobiens en médecine animale sont indissociables de celles conduites en médecine humaine. Le concept d’une seule santé – One Health – trouve avec ce sujet sa pleine et entière application. L’UE et ses États membres sont résolument engagés aujourd’hui dans cette action globale  : médecins et vétérinaires ne peuvent que travailler ensemble sur ce vaste sujet. Cependant, nous ne considérerons ici volontairement, pour réduire et simplifier cette présentation, que la partie vétérinaire des actions.

De l’antibiose à l’antibiorésistance

La découverte de la pénicilline, notamment à partir des observations de Fleming, au milieu du XXe siècle, revenait en réalité à la découverte approfondie du vaste phénomène de l’antibiose, intimement lié à celui de la vie sur terre. L’antibiose peut se définir comme une  interaction biologique entre deux ou plusieurs  organismes qui porte préjudice à au moins l’un d’entre eux ou bien comme toute relation biologique dans laquelle « un être vivant en détruit un autre pour assurer sa propre existence » (Vuillemin). Une lutte d’influence sinon une guerre incessante au sein du monde vivant en quelque sorte.

La relation entre un  antimicrobien  et un organisme infectieux est évidemment une forme d’antibiose.  D’où le vocable d’antibiotique. L’utilisation thérapeutique des antibiotiques contre les maladies infectieuses a simplement constitué l’exploitation par l’homme de ce phénomène naturel.

Diverses familles d’antibiotiques ont été découvertes, notamment dans les années 1960 à 1990, et largement utilisées tant en médecine humaine qu’en médecine vétérinaire.

Cette exploitation a vite appris à connaître ses limites à travers un autre mécanisme naturel, celui de la résistance des bactéries aux antibiotiques. Et cela d’autant que le phénomène, que Fleming lui-même avait pressenti, et contre lequel il avait mis en garde la communauté scientifique et médicale, s’est considérablement amplifié dans des proportions en rapport avec l’importance de la production industrielle et l’utilisation sans retenue de tous les antibiotiques découverts à la suite de la pénicilline. Au point que la résistance des bactéries aux antibiotiques est aujourd’hui devenue un problème majeur de santé publique mondiale.

Si cet apprenti sorcier qu’est l’homme, volontiers destructeur – notamment depuis deux siècles – des équilibres naturels qu’il a tant tardé à prendre en compte, en était resté aux utilisations thérapeutiques dans sa propre espèce et dans les espèces animales domestiques, il n’y aurait sans doute que demi-mal aujourd’hui.

Dérive de l’utilisation thérapeutique à l’emploi zootechnique

C’était sans compter sur sa volonté politique, en Occident, d’ancrer l’agriculture – et l’élevage – dans le productivisme. Pour comble de malheur en effet, les ingénieurs et les vétérinaires ont compris qu’à petites doses filées dans l’alimentation des animaux, bien inférieures aux doses utilisées pour combattre les maladies infectieuses, les substances antibiotiques se comportaient, par des mécanismes que nous ne développerons pas ici, comme de puissants facteurs de croissance, utilisables en routine concurremment ou conjointement aux hormones anabolisantes, elles-mêmes découvertes, appliquées et promues à la même période. Il s’agissait d’améliorer le gain moyen quotidien des animaux producteurs de viande en faisant des économies de nourriture et en gagnant du temps. Produire, produire, produire… Sans recul, sans questionnement éthique ! Le risque de favoriser ainsi le développement de résistances aux antibiotiques était nié, rejeté d’un revers de main, au motif, entre autres, qu’on ne l’avait pas prouvé.

Dans nos pays, ces antibiotiques facteurs de croissance ont été couramment utilisés dans l’alimentation des animaux, sous forme d’aliments complets de fabrication industrielle, généralement présentés sous forme de granulés : on parlait d’aliments antibiosupplémentés. Les antibiotiques présents dans ces aliments y avaient le statut « européen » d’additifs et non de médicaments. Ces aliments antibiosupplémentés n’étaient du reste pas utilisés comme médicaments  : ils n’étaient utilisés ni pour guérir ni pour prévenir les maladies à des périodes stratégiques d’élevage. Ils étaient utilisés essentiellement à des fins zootechniques, sans aucun contrôle vétérinaire. Ils n’étaient ni prescrits ni délivrés mais simplement vendus aux éleveurs par les marchands d’aliments. La législation qui leur était applicable était celle sur les additifs, pas celle sur les médicaments.

Il faut savoir, et cela est terrible, que pour le moment seule l’Union européenne dans le monde a interdit l’usage en élevage, d’abord des hormones comme on le sait, puis, comme on le sait moins, en 2003 avec application au 1er janvier 2006 (Règlement européen n° 1831/2003), des antibiotiques comme additifs facteurs de croissance, c’est-à-dire de ces fameux aliments dits antibiosupplémentés.

Il faut surtout savoir que ces utilisations actuelles, hors Europe, des antibiotiques, sont aujourd’hui considérables et pas loin sans doute de concurrencer en volume, sinon peut-être de dépasser, les utilisations médicales. L’UE n’a toujours pas réussi à entraîner les autres pays du monde dans son action de préservation des antibiotiques à travers des utilisations réservées au traitement des maladies humaines et animales, cela aux fins de l’indispensable lutte contre la résistance bactérienne. Pire encore, les prévisions à l’horizon 2030 sont en faveur d’un accroissement des antibiotiques en élevage dans le monde, toutes utilisations confondues, médicales, c’est-à-dire ici vétérinaires, et aussi et surtout zootechniques.

Enfin il faut savoir que, au-delà de ces utilisations plus que contestables en élevage, certains pays autorisent même leur utilisation en productions végétales, en pulvérisation sur les cultures !

élevage vaches laitières

L’engagement de l’UE

L’UE agit donc, et c’est à porter à son crédit. Après la suppression radicale des usages zootechniques, les plans de lutte comportant des réductions drastiques des usages vétérinaires de nature médicale sont en marche dans nombre d’États membres dont la France. Les antibiotiques doivent dorénavant être utilisés de façon responsable et prudente : il faut les utiliser mieux et on peut assurément les utiliser moins, voire beaucoup moins, en développant les actions de prévention fondées en priorité sur la bonne alimentation, l’hygiène, le confort, facteurs de bien-être animal, fondées aussi sur les vaccinations quand elles apparaissent nécessaires ou très utiles.

Quant aux traitements curatifs, ils doivent faire appel, chaque fois que possible, aux thérapeutiques alternatives quand elles ont démontré leur efficacité et leur innocuité. La Commission européenne a développé et publié en 2015 des recommandations en matière de bon usage des antibiotiques, c’est-à-dire d’usage prudent et responsable, comme le martèle l’OIE (Organisation mondiale de la santé animale).

L’UE s’apprête à légiférer sur les médicaments vétérinaires et sur les aliments médicamenteux

En tout état de cause, qu’il s’agisse de raison de sécurité alimentaire de l’homme ou de raison de bien-être animal, il faut soigner les animaux domestiques malades, qu’ils soient dits de rente ou de compagnie. Une des formes galéniques du médicament vétérinaire, jugée par tous les experts comme indispensable aujourd’hui – notamment là où il y a de grands effectifs à traiter sur plusieurs jours consécutifs – est l’aliment médicamenteux, souvent confondu à tort avec l’aliment antibiosupplémenté dont nous avons précédemment parlé. L’antibiotique y est incorporé à des concentrations correspondant à des doses thérapeutiques, permettant d’atteindre dans l’organisme des animaux qui les ingèrent, des concentrations minimales susceptibles d’inhiber la bactérie de la maladie visée. Il s’agit d’un médicament soumis, notamment en France, à ordonnance, nécessitant la prescription effectuée par un vétérinaire après diagnostic au sein de l’élevage. Il ne faut pas se voiler la face, l’usage de ce type de médicament a pu connaître quelques détournements d’emploi ou des usages laxistes ; ceux-ci constituent cependant aujourd’hui, dans une grande partie de l’UE, et assurément en France depuis ces toutes dernières années, un phénomène devenu mineur.

Aujourd’hui encore cet aliment médicamenteux est utilisé sur tous les animaux du lot quand tous les animaux de ce lot sont malades  : on parle de traitement curatif. Il peut aussi être utilisé sur tout le lot quand, en son sein, un ou plusieurs animaux seulement sont cliniquement malades et que l’on sait que l’extension à tout le lot n’est plus qu’une question d’heures  : on parle de traitement métaphylactique. Il y a encore aussi des usages préventifs pendant une durée limitée de quelques jours au moment de périodes de transition (sevrage par exemple) dont on sait qu’elles sont propices à l’explosion de pathologies infectieuses habituellement connues dans l’élevage et nécessitant, quand elles sont déclarées, des traitements plus massifs et plus longs.

L’UE travaille en ce moment à la préparation de deux règlements, l’un portant sur l’ensemble des médicaments vétérinaires, l’autre portant spécifiquement sur les aliments médicamenteux vétérinaires

Il s’agit de textes considérablement importants pour l’avenir de la médecine vétérinaire dans l’UE. Il est intéressant de noter qu’il est bien prévu non seulement que ce texte rappelle d’emblée pour le principe l’interdiction d’usage des antibiotiques en tant que facteurs de croissance, mais aussi qu’il ajoute une nouvelle contrainte concernant les aliments médicamenteux, à savoir purement et simplement l’interdiction des usages préventifs ci-dessus décrits. La métaphylaxie sera également plus encadrée. Ces nouvelles obligations et interdictions à venir constitueront une contrainte supplémentaire pour l’élevage européen, qu’elles mettront en situation de vulnérabilité économique incontestable sur le marché mondial, mais elles ne sont pas insurmontables ; elles constituent surtout un facteur de progrès dans la recherche de solutions alternatives à l’antibiothérapie et surtout un progrès dans la réduction des usages pour une meilleure lutte contre la résistance bactérienne, au bénéfice de la santé publique mondiale.

Ces deux textes à venir, et qu’on attend pour 2018 ou 2019, ne seront applicables que trois ans plus tard. Une grande partie de ces textes qui porteront sur la fabrication, la distribution, la prescription et l’utilisation des médicaments vétérinaires dans l’UE sera axée sur l’action visant à réduire la résistance des bactéries aux antibiotiques. Au point que l’on pourrait sans doute leur faire un procès d’intention de laxisme sur d’autres volets réglementaires en matière de santé publique : pas de prise en compte de la résistance aux antiparasitaires, détournements d’emploi possibles et prévisibles par l’usage d’Internet… Un peu comme si les hommes politiques n’agissaient qu’en réaction à la catastrophe imminente, sans capacité suffisante à anticiper les problèmes dans l’intérêt général. Mais retenons quand même leurs côtés éminemment positifs quand on constate par comparaison, dans ce domaine, le niveau d’inconséquence relevée partout ailleurs et dont nous sommes victimes nonobstant nos efforts non partagés.

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Répercussions sur le bien-être animal

Le point peut-être le plus important à relever dans cette revue est que l’action conduite par l’Europe, ici pionnière, est aussi, par voie de conséquence, une action au bénéfice du bien-être animal.

D’abord elle va obliger à prévenir davantage le risque d’apparition de maladies infectieuses en élevage, au bénéfice de la santé et du bien-être des animaux. Agir en amont. Et cela d’abord par des mesures non médicales portant sur leur environnement et ayant un impact nécessairement positif sur leur bien-être. Cela conduira à la régression des formes de l’élevage concentrationnaire qui ne pouvaient finalement exister et subsister que par l’emploi artificiel de substances destinées à corriger les erreurs ou les modalités elles-mêmes artificielles et outrancières d’élevage. Elle devrait contribuer à ramener du questionnement éthique en élevage, dans une recherche d’équilibre et de modération, dans une approche nécessairement agro-écologique, vers une révolution verte. Elle va permettre de redécouvrir ce que les antibiotiques avaient fait oublier et que proclamait déjà intuitivement l’un des plus grands vétérinaires de l’histoire vétérinaire française, le Pr Emmanuel Leclainche, à l’origine, entre autres actions au service de la santé publique et de l’intérêt général, de la création en 1924 de l’Office international des épizooties (OIE, devenue Organisation mondiale de la santé animale) dont il fut le premier directeur : « L’élevage, c’est de l’hygiène en action. »

Michel Baussier

Principales références 

Article publié dans le numéro 98 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences 

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