CR: L’Anthropocène décodé pour les humains


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N. Wallenhorst, éditions Le Pommier, 2019 (16 €)

Qu’est réellement cet Anthropocène dont on entend parler dans les médias ? L’action humaine menace-t-elle réellement la pérennité des écosystèmes de notre planète ? Nathanaël Wallenhorst est maître de conférences à l’université catholique de l’Ouest. Il est spécialiste à la fois en sciences de l’éducation, en science politique ou encore en géoscience.

Débat sur l’entrée dans l’Anthropocène

« Anthropocène » est une terminologie officielle popularisée en 2000 par le géochimiste néerlandais Paul Crutzen, prix Nobel de chimie en 1985. Elle désigne une époque géologique (unité chronostratigraphique) marquée par les activités humaines. L’auteur commence par nous expliquer l’existence d’un débat sur la date officielle d’entrée dans cette époque. Plusieurs dates sont candidates ; l’une d’elle est la fin du XVIIIe siècle avec la révolution industrielle et l’invention en Grande Bretagne de la machine à vapeur. Une « Grande accélération » de la production de sédiments (particules en suspension se déposant, formant des couches rocheuses) d’origine humaine est observée à partir du milieu du XXe siècle. Elle est due notamment à « la perturbation du cycle de l’azote à la suite du développement du procédé Haber-Bosch permettant la production à grande échelle d’engrais », mais aussi aux déchets (plastiques, aluminium…), aux polluants, à la disparition croissante des espèces… « L’Anthropocène est caractérisé par une articulation de techniques, d’énergie fossile et d’accélération, qui donne à l’humanité une puissance comparable à d’autres facteurs géologiques comme les glaciations, l’érosion, la tectonique des plaques ou le volcanisme. » (p. 28). Un congrès international de géologie aura lieu en 2020 pour conclure, si possible, les travaux de datation.

La fin du Monde ?… tel qu’on le connaît

L’un des fondateurs de la biogéochimie moderne, Vladimir Vernadsky, explique la biosphère comme « le principal facteur de transformation géologique de la Terre » (p. 39). Le système Terre est caractérisé par des interactions complexes entre la biosphère (êtres vivants), l’atmosphère (air), la cryosphère (glace), l’hydrosphère (eau) et la lithosphère (croûte terrestre). Le climat est une résultante de ces interactions, et permet la vie sur Terre. Pour les chercheurs, la biosphère est proche d’un changement d’état, une réorganisation majeure due au dépassement de certains seuils critiques.

Lever de Terre (Earthrise)

Cette photo de la Terre, prise depuis la Lune en 1968, « met en lumière la puissance technologique de l’humanité ». Elle a été désignée comme « la photographie environnementale la plus influente jamais prise » par le photographe Galen Rowell.

© NASA/Bill Anders 24 December 1968, 15:40

Les limites planétaires

En effet, des points de basculement, de rupture, peuvent avoir lieu lorsque certains seuils sont dépassés. La première limite porte sur le changement climatique. Aujourd’hui, « personne ne remet en question le fait que le réchauffement climatique soit de nature anthropique [à part] quelques énergumènes isolés » (p. 26). Cette augmentation de température sera bientôt incompatible avec la tolérance physique de nombreux être vivants (dont les humains) qui devront migrer vers des zones habitables ou qui disparaitront.

La deuxième limite porte sur la destruction de la biodiversité et l’extinction des espèces vivantes. La disparition d’espèces « est un phénomène fréquent depuis l’apparition de la vie sur Terre, mais qui est compensé par la créativité de la vie et l’apparition de nouvelles espèces » (p. 73). Mais aujourd’hui, le taux d’extinction des espèces est bien supérieur au taux de base. L’extinction récente de la mégafaune primaire est attribuée aux humains : « entre cinquante mille et trois mille ans avant notre ère, les deux tiers des mammifères pesant plus de 44 kg et la moitié des espèces pesant plus de 44 kg ont disparu » (p. 72). Pour le géologue américain Anthony Barnosky, qui alerta l’opinion en 2011 sur le risque d’une sixième extinction massive des espèces : « la croissance de la biomasse humaine correspond à la perte de la biomasse de la mégafaune […]. L’écosystème mondial s’est progressivement réorganisé dans un nouvel état avec une concentration de la biomasse de la mégafaune autour d’une espèce, les humains, au lieu d’être répartie entre de nombreuses espèces » (p. 73). En effet, l’espèce humaine s’approprie près d’un tiers de l’énergie produite par les plantes, pouvant être utile pour d’autres espèces. Un indicateur de cette deuxième limite est la diversité génétique, qui est « la ‘banque d’information’ permettant à la vie de continuer d’évoluer sur Terre de la façon la plus résiliente possible » (p. 73).

La troisième limite est fixée par les cycles biogéochimiques. Nous parlons souvent du cycle du carbone, mais le cycle de l’azote (78 % des gaz de l’atmosphère) est nettement plus affecté par les incidences des actions humaines. Un basculement est observé après l’invention au début du XXe siècle du procédé Haber-Bosch mentionné plus haut, qui a permis la transformation du diazote atmosphérique en ammoniac pour la confection d’engrais. « Or, l’altération du cycle de l’azote a un ensemble d’effets perturbateurs, comme la modification des écosystèmes, dont une acidification des sols et des eaux. » (p. 79).

L’acidification des océans est la quatrième limite. Elle « génère une forme de dissolution des coraux et mollusques, mais ce sont l’ensemble des animaux marins qui sont affaiblis par un pH acide nécessitant d’avantage d’énergie pour se développer » (p. 83). La cinquième limite porte sur la pollution, c’est-à-dire les nouvelles entités générant des effets indésirables. Leur chiffre ne cesse d’augmenter avec le développement de l’industrie chimique.

Cinq autres limites sont détaillées par l’auteur. Le franchissement de ces limites crée les conditions d’un changement brusque et irréversible. Pour certains, les limites 1, 2 et 3 ont déjà été transgressées.

Pour les chercheurs de l’Anthropocène : « l’entrée dans une nouvelle époque géologique vient compromettre la pérennité de l‘humanité et il s’agit de l’éviter » (p. 138). Tous les êtres vivants de la planète sont concernés…

Quelles solutions ?

L’auteur vient quand même conclure son ouvrage, qui parait jusque-là bien sombre dans les faits qu’il expose, par une réflexion sur les perspectives. Il explique que le concept de l’Anthropocène est aussi un concept politique, pas seulement scientifique. L’auteur évoque, sans trop insister, la possibilité d’évolution vers « des régimes autoritaires pour traverser l’Anthropocène à marche forcée » (p. 17). On entrevoit déjà aujourd’hui « une possibilité de résurgence de totalitarismes planétaires » (p. 173).

Une autre évolution envisagée, pragmatique, repose sur des « solutions d’intendance planétaire et de maîtrise des flux biochimiques » (p. 152). Il s’agit de géoingénierie à grande échelle : contrôle des gaz à effet de serre, gestion des radiations solaires… dont les effets indésirables sont encore inconnus. Le remède pourrait être « bien pire que la maladie » (p. 154).

L’auteur envisage une évolution plus optimiste : elle repose sur une certaine foi dans l’humanité, qui devra assumer la responsabilité et les conséquences de ses actes, et trouver des solutions durables dans un esprit de solidarité. Il cite Crutzen (2002) : « Une tâche ardue attend les scientifiques et les ingénieurs pour guider la société vers une gestion écologiquement durable à l’ère de l’Anthropocène. » (p. 136) Il cite également Hannah Arendt, qui croyait particulièrement en l’action de concert : « Notre espoir réside toujours dans l’élément de nouveauté que chaque génération apporte avec elle. » (1972)

Conclusion

Cet ouvrage est d’une lecture facile, rapide et agréable. Son contenu, riche et utile, est suffisamment vulgarisé pour être compréhensible par tous. De nombreux concepts sont néanmoins évoqués, qui donneront sans doute envie au lecteur de creuser plus avant certains sujets, ou de relire à nouveau le livre, une fois les idées nouvelles digérées…

Sophie Hild

Article publié dans le numéro 101 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences 

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