CR de lecture: La Bête en nous

Jessica Serra, humenSciences, collection monde animaux, 272 p., 2021 (18 €)

Dans son ouvrage La Bête en nous, Jessica Serra nous mène au constat que l’humain et le reste du monde animal font partie de la même famille, sans rupture évolutive. L’humain est un animal et l’on ferait bien de « se réconcilier avec notre animalité ».

Les récents progrès de l’éthologie, éclairés par les thèses évolutionnistes, ouvrent de nombreuses perspectives sur le comportement des animaux. Ainsi s’estompe la fameuse rupture, dominante dans la pensée occidentale, qui était supposée séparer les hommes des (autres) animaux, en même temps que réapparaît une grande ressemblance entre les (autres) animaux et nos ancêtres ou cousins préhistoriques. Exit donc l’idée, pourtant tenace, selon laquelle « l’humanité n’existerait que par opposition à la bête et à l’instinct » (p.33). Au contraire, les données scientifiques modernes amènent à se rapprocher des convictions des civilisations plus anciennes, fortement ancrées dans la nature, et qui accordaient « aux animaux une place centrale » (p. 35). Tout le livre de Jessica Serra est un brillant plaidoyer dans ce sens.

L’Occidental d’aujourd’hui a tort de revendiquer « sa place suprême dans l’univers sans plus savoir sur quels arguments s’appuyer pour la justifier » (p. 53). Oui, nous sommes des bêtes, dans un sens totalement non péjoratif, bien entendu. Oui, les innombrables découvertes de la science confortent l’idée que « la bête est en nous ». Au fil des pages, l’autrice nous en présente de nombreux exemples. Si, bien sûr, chaque espèce conserve sa spécificité et sa propre image du monde, rien ne permet d’attribuer une « supériorité » générale à notre espèce. Chacune dans leur domaine, « les bêtes ne peuvent plus être considérées comme des êtres inférieurs, mais comme des sujets à part entière » (p. 59).

Certes l’espèce humaine, dans la lignée fortement « céphalisée » des vertébrés, brille dans la pensée abstraite, scientifique et technologique, mais difficilement dans d’autres domaines. Divers auteurs avaient déjà souligné, depuis Schopenhauer, les lamentables performances de l’espèce humaine dans le domaine de la pratique morale. L’autrice insiste, quant à elle, sur les performances d’animaux dans des domaines réputés spécifiquement humains : utilisation d’outils, communications et langages, mémoire d’évènements du passé, voire (peut-être) pensée symbolique ou même rituelle… Dans tous ces domaines, l’éthologie a, en tous les cas, beaucoup réduit le prétendu fossé qui était supposé séparer l’être humain des autres espèces. Même la conscience émerge, dans le règne animal, par paliers, et se rencontre, sous diverses formes, chez plusieurs animaux.

Une Réflexion sur le sens moral chez l’humain et les (autres) animaux

Si donc la cognition nous rapproche des animaux, c’est encore plus vrai des émotions. Dans un précédent ouvrage, j’avais insisté sur le fait que c’était justement la faiblesse de certaines de ses émotions animales qui avait conduit l’homme à une grande défaillance morale. Comme le rappelle Jessica Serra, les animaux jouent pour s’amuser, sourient, rient, montrent de la tristesse, sont sensibles à la beauté visuelle ou auditive…. Et la morale alors, dont on a souligné plus haut la faiblesse dans l’espèce humaine ? Si la morale est certes « un concept pluriel (…) (montrant) sa diversité dans l’espace et dans le temps » (p. 139), il reste des racines animales assez générales de la morale. Elles reposent, notamment chez les animaux sociaux, sur l’existence d’aptitudes communes à l’émotion et à l’empathie, et finalement à l’altruisme.

Lire aussi: Sauver l’homme par l’animal, Georges Chapouthier, Éditions Odile Jacob (2020)

A l’inverse on retrouve le mal, c’est-à-dire « les meurtres, les génocides, les guerres » (p. 153), notamment chez les chimpanzés, nos si proches cousins. L’autrice cite aussi les guerres entre les fourmis, mais ici les difficultés à estimer le niveau de conscience nous paraissent une objection forte pour ne pas placer ces comportements sur le plan moral. Le caractère particulièrement désastreux de la violence humaine, qui, comme le rappelle l’autrice, aboutit aussi à la destruction massive de son environnement, reste, à notre avis, sur le plan moral, du fait même de l’aptitude technologique considérable de notre espèce et de son niveau de conscience, un trait relativement spécifique de l’être humain.

Le dernier chapitre du livre porte sur le thème de l’affection et du sexe, où l’autrice montre l’importance de la dissimilitude génétique ou du rôle, dans la séduction, « d’indices visuels, olfactif et acoustiques » (p. 179), d’où des ressemblances, avec des nuances, entre l’espèce humaine et les autres espèces. De même, « l’amour avec un grand A n’est pas l’apanage de l’homme » (p. 185), comme en témoignent les animaux qui, toute leur vie, restent monogames. On trouve aussi, chez les animaux, le plaisir sexuel, y compris le plaisir solitaire, l’homosexualité…

Dans un style vivant et très agréable à lire, Jessica Serra, dont le précédent livre Dans la tête d’un chat (2020) fut un grand succès, nous entraîne ici dans une salutaire réflexion sur nous-mêmes et sur notre parenté avec les animaux. Un conseil de l’autrice pour finir ? « Se réconcilier avec notre animalité » (p. 223). Un conseil que, bien sûr, nous partageons pleinement !

Georges Chapouthier

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