Le Sénat ne veut pas entendre parler d’élevage plus éthique

Le 26 mai 2021, le Sénat s’est prononcé sur une proposition de loi traitant des conditions d’élevage et de transport des animaux. Elle se donnait pour objectif, selon l’exposé des motifs, de « promouvoir […] un modèle d’agriculture paysanne favorisant une alimentation locale et respectueuse de la nature […] qui soit soucieuse du bien-être de l’animal mais aussi de ses paysans. » Le texte a été largement réduit et remanié pour convenir au plus grand nombre de sénateurs. Malheureusement et sans surprise, la chambre haute l’a rejeté.

Poulets de chair en élevage standard
© Stefano Belacchi / We Animals Media

Quelques mesures pour un élevage français plus respectueux du bien-être animal

En mars 2019, la sénatrice Esther Benbassa avait organisé au Sénat un colloque intitulé Nous avec les animaux ? au cours duquel le président de la LFDA Louis Schweitzer était intervenu sur le sujet de la Déclaration des droits de l’animal. À la suite de ce colloque, les actes ont été publiés et la sénatrice s’est lancée dans la rédaction d’une proposition de loi sur les animaux d’élevage.

Les ONG ont été consultées plusieurs fois sur les mesures à inclure en priorité dans cette proposition de loi qui veut porter un élevage plus éthique pour les animaux mais aussi pour les éleveurs, car le bien-être des uns est lié à celui des autres. La LFDA avait notamment participé à un déjeuner de travail organisé par la sénatrice en février 2020. À cette époque, la proposition de loi comportait 14 articles et portait sur les problématiques suivantes : abattage (notamment abattage sans étourdissement et abattoir mobile), transport (limitation de la durée des trajets), élevage porcin (caudectomie, castration à vif et étourdissement au CO2), élevage de volaille (broyage des poussins à vif et abattage par électronarcose) et élevage intensif (arrêt des cages et accès progressif au plein air pour tous les animaux).

Finalement, le texte présenté devant le Sénat dans la cadre d’une niche parlementaire du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires avait été réduit à quatre articles afin d’être plus consensuel pour emporter le soutien d’un maximum de sénateurs. L’autre objectif de cette réduction était de permettre à la proposition de loi d’être entièrement votée dans un délai imparti très court (quatre heures au total pour l’ensemble de la niche lors de laquelle deux textes devaient être examinés), au risque sinon de ne pas être adoptée. L’article 1 portait sur le passage à un élevage offrant un accès au plein air à tous les animaux d’ici le 1er janvier 2040, ainsi que l’interdiction de toute construction d’un bâtiment ne répondant pas à des critères incluant un accès à l’extérieur et une limitation des densités de peuplement à compter de 2026. L’article 2 plafonnait la durée maximale de transport d’animaux vivants à l’intérieur du territoire métropolitain à huit heures pour les espèces bovine, ovine, caprine, porcine et les équidés et à quatre heures pour les volailles et les lapins. L’article 3 interdisait l’élimination des poussins mâles et canetons femelles à compter du 1er janvier 2022. Enfin, l’article 4 créait un fonds de soutien à la transition pour le bien-être animal afin d’accompagner les éleveurs dans leur transformation, avec un volet axé sur l’abattage mobile.

Les sénateurs s’en remettent aux professionnels et à l’UE

Le texte final enregistré par le Sénat le 13 avril a été d’abord examiné par la commission des affaires économiques du Sénat le 12 mai. Sur le conseil de la sénatrice Marie-Christine Chauvin, rapporteure du rapport sur cette proposition de loi, elle a été rejetée dans son intégralité par la commission. La raison invoquée par la rapporteure est que malgré qu’elle « en [partage] par certains aspects la philosophie et les objectifs, c’est-à-dire la recherche de meilleures conditions d’élevage en prenant en compte les contraintes des éleveurs, sans les stigmatiser davantage, […] [elle] ne [partage] pas les moyens choisis pour atteindre cet objectif ».

La commission des affaires économiques a estimé que les professionnels de l’élevage étaient les premiers engagés en matière des bien-être des animaux et que de nombreux projets en cours ou aboutis prouvaient que des changements étaient en marche. La commission fait ici référence par exemple à l’engagement de la filière cunicole à passer de 1 à 25 % la production en élevage hors cages d’ici 2022, ou encore à la filière poules pondeuses dont 53 % sont désormais élevées hors cage, contre 19 % en 2008. Si les professionnels s’engagent, ne doivent-ils pas pour autant être accompagnés par les pouvoirs publics et le législateur ?

En outre, la rapporteure a indiqué ne pas croire à « la surtransposition […] dans le domaine agricole », autrement dit à l’instauration de règles nationales plus strictes que les normes européennes. Elle s’inquiète de potentielles distorsions de concurrence que pourraient engendrer des normes de protection des animaux plus strictes pour les agriculteurs français « en exportant chez nos voisins les pratiques que la loi française condamnera, tout en important davantage de denrées venues de chez eux ». Il semblerait que nos voisins européens n’aient pas tous suivi ce raisonnement : par exemple, le Luxembourg, l’Autriche, l’Allemagne et la République Tchèque ont choisi d’interdire l’élevage de poules pondeuses en cage, et l’Allemagne vient d’adopter l’interdiction de l’élimination des poussins mâles d’ici 2022.

Le résultat de la commission laissait peu d’espoir quant à l’adoption du texte en séance publique. Le 26 mai 2021, les sénateurs ont rejeté à 219 voix contre, 33 pour et 91 abstentions la proposition de loi pour un élevage éthique, juste socialement et soucieux du bien-être animal.

Conclusion

Ainsi le législateur a manqué une occasion de faire progresser la condition des animaux d’élevage dans notre pays, comme ce fut déjà le cas avec la proposition de loi sur les conditions de vie des animaux du député Cédric Villani, examinée à l’Assemblée nationale en octobre 2020, et celle de la députée Bénédicte Taurine sur l’interdiction des « fermes-usines » débattue en avril 2021. La sénatrice Esther Benbassa a réagi au rejet de son texte avec un sentiment d’impuissance : « si de petites choses comme ça sont rejetées, on se demande comment on va faire avancer les choses ». Réflexion partagée.

Nikita Bachelard

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