Le droit des animaux sauvages en liberté doit-il évoluer?

L’animal sauvage en liberté n’est pas protégé en tant qu’individu, pas plus que sa sensibilité ne lui est reconnue. L’auteur propose des pistes de réformes du droit français afin d’aligner la protection de l’animal sauvage en liberté à celui de l’animal domestique et sauvage captif.

© Sneha Cecil

L’animal sauvage en liberté ne trouve pas sa place dans notre droit. Il est une res nullius, une chose sans maître. Les animaux sauvages dont les espèces ne sont classées ni chassables, ni nuisibles, ni protégées, sont considérés comme des « biens qui n’ont pas de maître » (article 713 du code civil) ou de « choses qui n’appartiennent à personne et dont l’usage est commun à tous » (article 714 du code civil). L’animal sauvage n’existe juridiquement qu’en tant qu’appartenant à une espèce de la faune sauvage, laquelle est régie par le code de l’environnement à divers titres, comme la préservation, la chasse, la pêche et la destruction. Mais jamais il n’est fait référence à sa nature propre, contrairement à l’animal domestique, à qui le droit attribue le statut d’« être sensible » (articles L214-1 du code rural et 515-14 du code civil). Le droit français actuel refuse ainsi la nature d’« être sensible » à un animal sauvage, alors qu’elle est accordée à un animal de la même espèce mais tenu en captivité. En d’autres termes, un animal élevé par l’homme est protégé à ce titre en tant qu’animal domestique, mais perd tout caractère d’être sensible dès lors qu’il vit en liberté. Se pose alors la question de la nécessité d’une évolution du droit actuel applicable aux animaux sauvages en liberté et de proposer des pistes de réflexion.

Rappelons dans un premier temps que le droit applicable à l’animal sauvage est apparu à travers la question de la sauvegarde des espèces à la fin du XIXe siècle, en même temps que la prise de conscience du déclin de la biodiversité, engendré par des causes naturelles d’extinction et d’évolution mais surtout par des causes anthropiques, telles que le développement de l’agriculture, de l’élevage, de l’industrialisation ou encore de la destruction des milieux.

Les premières réactions ont été de protéger les espèces les plus utiles ou les plus spectaculaires. Ainsi, les oiseaux jugés utiles pour l’agriculture ont été les premiers à recevoir une protection juridique internationale avec la Convention de Paris du 19 mars 1902, en raison de leur utilité pour l’Homme. En 1972 est née l’idée selon laquelle l’humanité a le devoir de protéger le monde du vivant. En effet, la convention de l’Unesco du 23 novembre 1972 relative à la protection du patrimoine mondial culturel et naturel, qui est dépourvue de valeur normative, affirme pour la première fois que la variété des espèces animales est une richesse commune de l’humanité dont la préservation doit être intégrée à tout effort de planification économique. Enfin, la valeur intrinsèque de la diversité biologique a été reconnue en 1992, avec l’adoption de la Convention sur la diversité biologique dont l’objectif est de préserver le patrimoine biologique, la diversité des espèces, à travers une politique de restauration, et le maintien des populations les plus menacées.

Parallèlement, certaines espèces sauvages font l’objet d’une protection plus stricte à travers l’interdiction ou la réglementation de certaines activités. Les habitats jugés nécessaires à leur conservation sont également protégés[1]. En France, la protection de l’animal sauvage a été marquée par la loi du 10 juillet 1976 sur la protection de la nature, qui énonce notamment que la protection des espèces animales et végétales, de la diversité et des équilibres biologiques est d’intérêt général. En dépit de cette prise de consciente et de l’urgence face au déclin de certaines espèces sauvages en liberté, le droit français n’accorde pas de réelle protection juridique aux animaux sauvages et il convient alors de s’interroger sur les mécanismes juridiques qui permettraient d’y remédier.

Rappel du contexte réglementaire français

Les espèces sauvages sont définies par le code de l’environnement comme les espèces animales non domestiques n’ayant pas subi de modification par sélection de la part de l’homme (article R.411-5 du code de l’environnement) et qui ne figurent pas sur la liste des espèces, races ou variétés d’animaux domestiques de l’arrêté interministériel du 11 août 2006. Les animaux sauvages vivant en liberté sont donc ceux qui ne sont ni apprivoisés, ni tenus en captivité, et qui vivent à l’état naturel.

Le code de l’environnement les subdivise en plusieurs catégories, dont dépendra la protection, ou la non-protection, juridique accordée. Il distingue ainsi les espèces susceptibles de causer des dégâts et les espèces exotiques envahissantes, qui ne reçoivent aucune protection juridique, des espèces protégées ou menacées, qui font l’objet de différentes mesures de protection, consistant principalement à interdire ou à soumettre à autorisation certaines activités pouvant leur porter atteinte. Loin de prévoir une protection égalitaire de l’animal sauvage en liberté, le législateur catégorise là encore des espèces animales en fonction de leur utilité et de leur rapport à l’homme.

La protection de l’animal sauvage en liberté n’est assurée qu’en tant que représentants d’espèces dont la préservation est nécessaire pour la sauvegarde de la biodiversité et est assurée sur le fondement des articles L411-1 et L411-2 du code de l’environnement qui prévoient que les nécessités de la préservation du patrimoine naturel, et notamment de la faune sauvage, permettent d’interdire la destruction ou l’enlèvement des œufs et des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l’enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation, ou, qu’ils soient vivants ou morts, le transport, le colportage, l’utilisation, la détention, la mise en vente, la vente ou l’achat de ces animaux. De nombreux arrêtés fixent les listes des espèces de mammifères, d’oiseaux, de reptiles, d’amphibiens, de poissons, d’insectes, de mollusques, terrestres, aquatiques ou marins ainsi protégées sur le territoire métropolitain ou ultra-marin de la France.

Les infractions sont punies de sanctions délictuelles. Ainsi est assurée la protection de la biodiversité sans pour autant qu’une disposition législative ait explicitement reconnu la situation d’être sensible aux animaux sauvages libres dans le milieu naturel. Ils sont pour l’instant considérés comme des res nullius, soit des biens sans maître, par le code civil. Ils ne font l’objet d’aucun droit de propriété et ne reçoivent ainsi aucune protection juridique, civile ou pénale.

À ce jour, seuls les animaux domestiques, apprivoisés ou tenus en captivité sont reconnus comme des êtres vivants doués de sensibilité. Ils sont également les seuls à bénéficier d’une protection pénale et ils sont donc protégés à l’encontre des atteintes qui pourraient leur être portées en tant qu’individu. Cette distinction juridique entre animal sauvage et animal domestique, qui n’est fondée que sur l’utilité et le degré d’appropriation de l’animal par l’homme, créé ainsi une distorsion inégalitaire du régime de protection de l’animal. Or, les avancées scientifiques en la matière permettent de démontrer que tous les animaux, domestiques ou sauvages, sont des êtres sentients susceptibles de recevoir une protection juridique.

Prospectives et propositions d’évolutions juridiques

Plusieurs pistes de réflexions sur la protection juridique des animaux sauvages en liberté peuvent être proposées. La protection individuelle des animaux sauvages en liberté est aujourd’hui inexistante et ils peuvent donc être blessés, capturés, maltraités ou mis à mort en toute impunité. Leur reconnaitre la nature d’être sensible, par le code civil ou le code de l’environnement, permettrait d’y remédier, de même qu’il conviendrait de leur accorder la protection pénale applicable aujourd’hui aux seuls animaux domestiques, apprivoisés ou tenus en captivité.

Inscrire l’animal dans la Constitution donnerait également une meilleure base juridique à la protection de l’animal et permettrait de combler un certain retard de la France sur ces questions puisque plusieurs pays ont d’ores et déjà opéré une telle réforme. L’Inde a ouvert la voie en 1976 en insérant dans sa Constitution un « devoir de compassion » à l’égard des créatures vivantes. Le Brésil l’a suivi en 1988 en interdisant au niveau constitutionnel la cruauté envers les animaux. Divers États européens ont par la suite rejoint le mouvement en recourant à des formules variées : « dignité de la créature » en Suisse, « protection de l’animal » en Allemagne et en Autriche, « protection » et « bien-être » des animaux au Luxembourg.

Aussi, le recours à la notion de préjudice écologique (articles 1246 et suivants du code civil) a permis d’apporter une protection juridique additionnelle, quoique indirecte, à des animaux sauvages en liberté et l’on ne citera ici que l’affaire des calanques de Marseille, où quatre braconniers ayant prélevé illégalement 4,5 tonnes de poissons et de poulpes et plus de 16 000 douzaines d’oursins ont été condamnés à verser 350 060 euros au titre de la réparation du préjudice écologique, par décision du Tribunal correctionnel de Marseille du 6 mars 2020, peine malheureusement allégée à un peu plus de 50 000 euros par l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence du 29 juin 2021[2].

Ensuite, certains auteurs et défenseurs de la cause animale ont, depuis plusieurs années, avancé, et démontré, que la personnification des animaux serait un outil juridique permettant de faire évoluer considérablement la protection des animaux[3]. Reconnaitre que les animaux puissent avoir la personnalité juridique, et donc être titulaires de droits devient davantage envisageable, en raison des avancées scientifiques démontrant que tous les animaux sont des êtres sentients. Le Tribunal de Mendoza l’a reconnue, le 3 novembre 2016, à la femelle chimpanzé Cécilia, ce qui a permis sa mise en liberté afin de vivre dans un environnement offrant des conditions propres à son espèce.

En Inde également, en 2013, le statut de personne non humaine a été accordé au dauphin, avec pour conséquence l’interdiction immédiate de tous les delphinariums ou projets de delphinariums en Inde et l’attribution de droits fondamentaux comme le droit de vivre, d’être libre et d’accéder au bien-être physique et mental.

Certains États ont par ailleurs accordé des droits à la nature : l’Équateur, qui a inséré, en 2008, les droits de la nature dans sa constitution ou la Bolivie qui a adopté en 2009 une loi sur les droits de la Terre-mère. D’autres États ont accordé la personnalité juridique à des éléments de la nature, comme la Nouvelle-Zélande, à la rivière Whanganui, ce qui permet aux membres de cette communauté indigène ou du gouvernement, de représenter les intérêts du fleuve en justice. En Inde, à la suite de la décision de la Haute Cour de justice de l’Uttarakhand d’accorder des droits aux fleuves Gange et Yamuna, ainsi qu’aux glaciers himalayens du pays, était adoptée une résolution de l’Assemblée législative du Madhya Pradesh le 4 mai 2017 accordant au fleuve Narmada le statut d’entité vivante et de composante vitale de l’État. En outre, le 4 juillet 2018, cette même Cour a rendu un arrêt dans lequel elle a reconnu la personnalité juridique et les droits de tous les animaux, tout en désignant l’ensemble des citoyens de l’État comme tuteurs légaux ayant la capacité d’intervenir en leur nom.

Loin d’être exhaustives, ces propositions et pistes de réflexions démontrent que non seulement une évolution du droit applicable aux animaux sauvages en liberté est urgemment nécessaire, mais surtout qu’elle est possible, juridiquement. De nombreux amendements ont été déposés en ce sens ces dernières années par des députés, mais sans succès jusqu’à ce jour. Le débat, lancé depuis plusieurs années, est toujours ouvert et présent, et ne pourra qu’aboutir, espérons-le, à une meilleure protection, législative ou jurisprudentielle, de l’animal sauvage en tant qu’individu et être sensible.

Cathy Morales Frénoy


[1] Par ex. : Convention Baleinière Internationale de 1946 ; Convention pour la protection des phoques de l’Antarctique du 1er juin 1972. Retour

[2] Voir aussi : « Préjudice écologique et pollution de Donges : une victoire pour la LPO » ; Léa Mourey, LFDA, 18 janvier 2017. Retour

[3] Voir par ex. : La personnalité juridique des animaux, J.-P. Marguénaud, D. 1998. 205. Retour

ACTUALITÉS