Bien-être des porcs : on sait ce qu’il faut faire, quand le fera-t-on ?

L’élevage présente de nombreuses sources de mal-être pour les porcs, en particulier dans les systèmes conventionnels (standards). Un rapport de l’autorité européenne de sécurité des aliments (l’Efsa) met à nouveau en avant l’entrave des animaux et la pauvreté de leur milieu parmi les causes de leur souffrance. Ces systèmes respectent pourtant suffisamment la législation actuelle pour ne pas être inquiétés. Mais jusqu’à quand ?

Un rapport qui confirme une législation non conforme à l’état de la science

L’Efsa a publié en août 2022 un rapport sur le bien-être des porcs. Ce n’est pas le premier ni ne sera le dernier. Un goût de déjà-vu se manifeste à la lecture de ces 300 pages de rapport. Les résultats de la recherche et les recommandations des experts de l’Efsa sont peu ou prou les mêmes depuis plusieurs décennies, si ce n’est que la littérature scientifique s’est encore épaissie entre-temps pour les confirmer. De fait, le rapport rappelle les effets délétères des systèmes et gestions d’élevage les plus courants sur le bien-être des truies, des porcelets, des porcs à l’engraissement et des porcs reproducteurs.

Le rapport liste 16 conséquences négatives sur le bien-être des porcs, plus ou moins présentes selon le mode d’élevage : restriction des mouvements, problèmes de repos, stress lié au groupe, stress d’isolement, stress de séparation, incapacité à réaliser des comportements d’exploration ou de fouille, incapacité à exprimer le comportement maternel, incapacité à réaliser le comportement de tétée, faim prolongée, soif prolongée, stress lié à la chaleur, stress lié au froid, problèmes locomoteurs (dont boiteries), lésions des tissus mous et dommages tégumentaires (par exemple la peau), problèmes respiratoires et enfin problèmes gastro-entériques. De tous les modes d’élevage étudiés, c’est le conventionnel – le plus répandu en France et en Europe – qui concentre la majorité des problèmes de bien-être animal.

La problématique des cages

En réponse à la pétition européenne « End the cage Age » (« Pour une nouvelle ère sans cage ») à laquelle la LFDA a contribué, l’Efsa a reçu l’instruction de traiter le sujet de la cage en particulier. Cela concerne deux stades de la vie de la truie en élevage porcin conventionnel (qui concerne environ 95 % des animaux en France).

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Le premier porte sur la phase d’implantation des embryons après l’insémination (artificielle ou naturelle) en verraterie. La truie est seule dans une case de gestation qui lui permet de se coucher et de se lever, mais pas de se retourner. Cet isolement est réalisé pour éviter qu’un stress provoqué par la mise en lot avec d’autres truies ne cause l’échec de l’attachement des embryons dans l’utérus. Les atteintes au bien-être causées par la cage sont multiples : frustration comportementale résultant parfois en stéréotypies (répétition de mouvements sans intérêt apparent, comme mordre les barreaux de la cage), blessures…

Depuis 2013, la durée de maintien en case de gestation est limitée à 28 jours après l’insémination. La période critique pour l’implantation des fœtus se situe pourtant entre 11 et 16 jours. Les experts recommandent seulement d’éviter la période 8-21 jours pour le regroupement des truies. De plus, il existe des moyens pour minimiser le stress social du regroupement et le risque de rejet d’embryon, comme de constituer le groupe de truies immédiatement après l’insémination. Mais cela demande une gestion plus fine des groupes, ainsi que des espaces plus grands et spécifiquement agencés pour permettre aux truies d’établir une hiérarchie de façon sereine pour l’éleveur et sécurisée pour les truies.

Le deuxième stade est celui des cages de mise-bas. Les truies y sont placées dans la semaine précédant la mise-bas et y restent jusqu’au sevrage, 3 à 4 semaines plus tard (en conditions naturelles, le sevrage s’étale entre la 11e et la 17e semaine). Là encore, la truie est bloquée et peut seulement se coucher et se lever. Les porcelets, nés après une gestation de « 3 mois, 3 semaines et 3 jours », pourront se déplacer autour de la mère. Dans la très grande majorité des élevages, la truie n’a accès à aucun matériel d’enrichissement. Pourtant, la confection d’un nid est un comportement naturel que la truie est très motivée à réaliser. Une minorité d’élevages ne bloque pas la truie et lui fournit même des matériaux comme du fourrage, qu’elle s’empresse de manipuler et d’arranger en nid avant la mise bas. Les frustrations comportementales et sociales (les interactions naturelles mère-jeune sont complètement entravées) et les blessures typiques de la cage (frottements…) sont nombreuses. Là encore, les experts montrent que l’on peut se passer de bloquer la truie, à la faveur d’une case « maternité-liberté », sans impacter la survie des petits. Ce n’est peut-être pas facile, mais c’est possible.

Autres problématiques en élevage porcin

Parmi les facteurs impactant le bien-être des animaux, l’incapacité à réaliser des comportements d’exploration ou de fouille est un problème majeur à tous les stades de vie et particulièrement en élevage conventionnel. C’est un aspect qui doit être traité de toute urgence et qui nécessitera une refonte substantielle des systèmes d’élevage. C’est d’autant plus problématique que la législation actuelle prévoit déjà qu’un enrichissement du milieu soit offert aux animaux. Sur ce point, une majorité d’élevages ne répond que partiellement (voire pas du tout) à la règlementation.

La faim prolongée des truies pendant la gestation est un autre problème. Les races domestiques à viande sont sélectionnées notamment sur la capacité des animaux à transformer très efficacement la nourriture en masse musculaire. Produire beaucoup de viande en un temps court est l’objectif. Les porcs sont abattus à environ 6 mois (donc avant l’âge adulte) quand il ne devient plus rentable de continuer à les engraisser. Dans le cas des truies, ce sont des animaux adultes. Leurs besoins énergétiques sont réduits en période de gestation. Pour éviter une obésité qui pourrait impacter leur santé et leur gestation, leurs rations alimentaires représentent moins de la moitié de ce qu’elles mangeraient naturellement pour atteindre la satiété. Les rations offertes sont riches en nutriments mais insuffisantes pour satisfaire la truie qui souffre alors de faim. « Les truies sont nourries pour satisfaire leurs besoins physiologiques mais pas comportementaux […] » (p. 80). L’impact sur le bien-être est très important. La faim cause des stéréotypies (orales en particulier) et une agressivité exacerbée, à la fois résultat et cause de stress. A minima, leur alimentation devrait être complémentée en fibres, mais peu le font.

Les experts citent également l’hyperprolificité des truies. Elle résulte en la production d’un nombre supérieur de porcelets au nombre de mamelles (la truie en possède en moyenne 14). Les portées surnuméraires impliquent de réassigner certains porcelets à des truies ayant des mamelles libres, ou de les élever en allaitement artificiel. De manière générale, la compétition aux mamelles est très forte et stressante à la fois pour la truie et pour ses petits, tandis que l’élevage en enclos « d’orphelins » est très sous-optimal pour le bien-être des porcelets. L’hyperprolificité peut aussi avoir pour conséquence des états affamés chez les porcelets quand ceux-ci (les plus faibles) n’arrivent pas à atteindre suffisamment vite la mamelle pour boire. Il est intéressant de savoir qu’en général, lorsqu’un porcelet commencer à téter à une mamelle, il continuera à téter cette même mamelle jusqu’au bout. S’il était trop faible pour choisir une bonne mamelle au début et qu’il n’en trouve aucune autre, plus généreuse, de libre, il restera moins nourri jusqu’au bout.

Beaucoup d’autres problématiques sont abordées, tel le bien-être des mâles reproducteurs. Ils représentent une proportion moindre d’animaux et un nombre restreint d’études s’intéresse à eux. Ils souffrent pourtant énormément de privations (alimentaires, de mouvement…).

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Et maintenant ?

En filigrane, on voit notamment que la fin des cages pour les truies est inévitable et, espérons-le, imminente. Plusieurs pays européens ont commencé à s’en détourner. Hors Union européenne, la Norvège et la Suisse ont interdit la cage, tandis que la case de gestation est interdite au Royaume-Uni. Dans l’UE, la Suède a interdit la cage. Des étapes en ce sens ont été franchies par le Danemark et l’Allemagne, gros producteurs, ainsi que l’Autriche, avec des échéances plus ou moins longues (2030 pour l’Allemagne), tandis que les Pays-Bas, autre gros producteur, a réduit les durées de maintien en cage.

Les experts de l’Efsa proposent un grand nombre de recommandations pour réduire le mal-être des animaux en élevage porcin. À la lecture du rapport, il est encore difficile de parler de bien-être. Nous y viendrons peut-être. Les porcins pâtissent, d’une part, du fait qu’ils produisent une viande de qualité égale qu’ils soient élevés dans de bonnes ou de mauvaises conditions. D’autre part, le système actuel est tellement loin d’offrir des conditions de vie dignes aux animaux que, pour le faire, des investissements majeurs sont nécessaires, décourageant la plupart des éleveurs. Il ne serait pas idiot de les assister par des aides publiques, souvent inutilement fléchées vers des systèmes qui ne sont pas pérennes, à la fois mauvais pour les animaux et mauvais pour les humains. En France, l’étiquette bien-être animal, développée notamment par la LFDA, permettra de reconnaitre les produits issus d’élevages respectant le bien-être des porcs dès 2023.

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Le rapport a été commandité par la Commission européenne dans le cadre de sa prochaine mise à jour à la fin 2023 de la législation européenne sur le bien-être des animaux d’élevage. Des rapports sur le bien-être des volailles, des veaux et des vaches laitières vont être publiés prochainement par l’Efsa. D’autres mandats devraient être émis par la Commission ensuite, y compris sur les poissons en aquaculture. Ces rapports sont des poids utiles et importants dans la balance vers plus de respect du bien-être des animaux en élevage. Pour autant, cela reste des recommandations et rien ne garantit que la législation les reflétera fidèlement. Or, le Traité sur le fonctionnement de l’UE dispose que « l’Union et les États membres tiennent pleinement compte des exigences du bien-être des animaux en tant qu’êtres sensibles » (article 13). Combien de rapports scientifiques faudra-t-il encore ? La volonté politique est la clé. Elle est parfois difficile à trouver.

Sophie Hild


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