La Commission européenne reconnaît le besoin d’améliorer la protection des animaux d’élevage

La législation européenne sur le bien-être animal n’est plus en phase avec les attentes sociétales et les connaissances scientifiques. A l’automne 2023, la Commission européenne fera des propositions pour l’améliorer.

Commission européenne animaux élevage

En France, comme dans les autres États membres de l’Union européenne, les règles ayant pour but de protéger les animaux d’élevage proviennent principalement de législations et réglementations européennes. En mai 2020, la Commission européenne a présenté sa stratégie « De la ferme à la table », dont nous avions fait état dans ces colonnes (voir l’article « Regain d’intérêt de l’UE pour les animaux » dans le n° 106). Cette stratégie, visant à rendre l’alimentation des Européens plus durable, annonçait la révision de la législation sur la protection des animaux d’élevage, notamment dans le cadre du transport et de l’abattage.

La Commission européenne doit faire des propositions législatives au troisième trimestre de l’année 2023. Le délai entre l’annonce et les propositions de la Commission s’explique par le processus de révision des textes européens. La Commission a dû mener une consultation auprès du public et des parties prenantes concernées pour recueillir leur avis sur les règles actuelles. Elle devait aussi réaliser un bilan de qualité, afin de vérifier si les normes de protection animale en vigueur sont satisfaisantes, ou bien dans quelle mesure elles nécessitent une révision. La Commission européenne a publié un bilan de qualité à l’automne 2022. Sans surprise, elle conclut en la nécessité de réviser les normes de protection animale.

Des normes visant à protéger les animaux d’élevage

Les principaux textes protégeant les animaux d’élevage ont été adoptés il y a environ 15 à 20 ans pour la plupart :

  • la directive « élevage » 98/58/EC en 1998,
  • la directive « poules pondeuses » 1999/74/EC en 1999,
  • le règlement « transport » 1/2005 en 2004,
  • la directive « poulets » 2007/43/EC en 2007,
  • la directive « veaux » 2008/119/EC en 2008,
  • la directive « porcs » 2008/120/EC en 2008,
  • le règlement « abattage » 1099/2009 en 2009.

Selon la Commission européenne, ces textes s’appuyaient sur l’état de la science au moment de leur adoption. Cela est vrai en partie, mais les textes adoptés à l’époque sont aussi le fruit de compromis entre la Commission, les États membres et le Parlement européen, avec l’objectif de garantir la souveraineté alimentaire et la compétitivité des productions européennes. Des dérogations reflètent bien ces compromis : les mutilations pour les porcs ont été interdites sur une base « routinière », permettant en fait aux éleveurs de continuer à couper la queue des porcelets et à les castrer à vif ; l’isolement des veaux est resté possible pendant les huit premières semaines de leur vie ; celui des truies équivaut à quatre semaines après l’insémination, puis à quatre semaines au moment de la mise-bas…

La législation actuelle a permis d’améliorer le sort des animaux

La Commission européenne juge que le sort des animaux d’élevage dans l’UE s’est amélioré depuis l’adoption de ces normes. Du moins, sans elles, leur condition aurait été pire. Par exemple, les veaux et les truies ne sont plus élevés en cages durant l’entièreté de leur vie, ce qui est un progrès. Les poules disposent de cages « aménagées » (avec quelques centimètres carrés supplémentaires et des enrichissements du milieu, comme un perchoir). En ce qui concerne le transport, le nombre d’animaux morts à l’arrivée a diminué entre 2005 et 2009. Le nombre d’animaux considérés inaptes au transport lors de leur arrivée a aussi diminué comparé à la période précédant l’entrée en vigueur du règlement transport.

Un autre objectif de la législation européenne était d’harmoniser les règles de production au sein du marché européen. Globalement, la Commission estime que c’est un succès. Cependant, les dispositions nationales plus strictes adoptées par les États membres au fil des années représentent un problème à cet égard (par exemple, le Luxembourg et l’Autriche ont interdit l’élevage des poules en cage ; l’Allemagne a interdit le transport de plus de huit heures des animaux destinés à être abattus).

Les normes actuelles de protection des animaux ont entrainé des coûts supplémentaires pour les professionnels, notamment pour les éleveurs. Ainsi, les cages « aménagées » pour les poules ont impliqué des investissements considérables, pour un effet sur le bien-être des poules très limité. Néanmoins, selon la Commission européenne, les données suggèrent que les bénéfices associés à une meilleure protection des animaux dépassent les coûts : productivité plus élevée, produits de meilleure qualité, utilisation réduite d’antibiotiques, réduction des problèmes de santé pour les animaux. D’autres bénéfices (environnementaux, éthiques, sociaux…) peuvent également peser dans la balance. La Commission juge que les bénéfices de la législation actuelle ont surpassé les coûts.

Les règles existantes sont obsolètes et insuffisantes

Le bilan de qualité de la Commission européenne relève cependant que la législation protégeant les animaux d’élevage n’est plus adaptée. Comme la LFDA l’a fait remarquer au cours de la consultation publique, les normes existantes ne sont pas conformes aux évolutions scientifiques sur le bien-être animal et aux attentes des citoyens européens.

État de la science

La Commission reconnaît que la législation européenne doit être révisée à la lumière des nouvelles connaissances scientifiques. Elle cite l’exemple de l’étourdissement des poissons avant leur mise à mort, qui a fait l’objet de recherche et développement selon l’Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA), mais n’a pas été intégré au règlement abattage. En outre, de nombreuses pratiques toujours autorisées par l’UE ne le sont plus dans certains États membres, parce qu’elles ne respectent pas le bien-être des animaux : les cases de gestation et de mise-bas pour les truies sont interdites en Suède ; le débecquage des volailles est interdit en Finlande… La Commission souligne que les règles actuelles ont été définies sur la base d’une définition du bien-être animal désuète. La science considère dorénavant qu’un état de bien-être implique des expériences et des émotions positives pour les animaux, pas seulement l’absence d’expériences négatives (stress, douleur…).

Difficulté de mise en œuvre de la législation

Le règlement transport s’est révélé difficile à mettre en œuvre par les États membres, avec des grandes disparités entre les uns et les autres. Même s’il a permis d’améliorer un peu la condition des animaux transportés, ces améliorations n’ont pas été significatives et de nombreux problèmes persistent, entrainant des situations parfois dramatiques (voir l’article « Énième scandale de transport d’animaux par voie maritime » dans le n° 109 et l’article « Mettre fin au transport de longue durée d’animaux vivants » dans le n° 113).

Il en va de même pour des pratiques d’élevage censées être interdites par la législation actuelle, mais qui sont encore largement pratiquées, comme la coupe des queues des cochons (voir l’article « 25 ans d’interdiction de la coupe de queue chez les porcs » dans le n° 103). La liste peut encore s’allonger. S’ajoutent également les espèces exploitées qui ne sont pas couvertes par des normes spécifiques : poissons, chèvres, moutons, vaches allaitantes, cailles, canards, oies, chevaux… Pour chacune, les pratiques d’élevage mériteraient d’être réglementées.

Vocabulaire trop vague

Une autre difficulté dans la mise en œuvre des normes de protection animale relevée par la Commission européenne est leur manque de précision. Des termes récurrents, tels que « approprié » ou « suffisant », laissent une trop grande marge d’interprétation aux autorités de contrôles. Certaines expressions n’ont pas de définition, comme « l’aptitude au transport » des animaux. À partir de quel état un animal n’est-il plus apte à être transporté ?

Une révision nécessaire des normes de protection animale

La Commission européenne reconnaît qu’il y a encore un niveau de bien-être « sous-optimal » pour les animaux d’élevage dans l’UE. Elle conclut en la nécessité de réviser les normes qui encadrent la protection des animaux d’élevage, à la lumière des nouvelles connaissances scientifiques et de l’évolution des attentes sociétales. Selon un sondage officiel, 82 % des Européens interrogés estiment que le bien-être des animaux d’élevage devrait être mieux protégé qu’il ne l’est actuellement.

En novembre 2022, peu de temps après la publication du bilan de qualité, la LFDA a rencontré les services de la Direction générale de la santé et de la sécurité alimentaire (DG SANTE) en charge du bien-être animal à la Commission européenne. Nous leur avons fait part de nos propositions pour améliorer la réglementation en faveur des animaux.

Étiquetage

Pour permettre aux consommateurs de faire des choix éclairés, la LFDA souhaite un étiquetage sur le bien-être animal obligatoire au niveau européen. Il doit concerner l’ensemble des produits d’origine animale, y compris les produits transformés. Il doit s’inspirer de l’Étiquette Bien-Être Animal, en mentionnant le mode d’élevage ainsi qu’une note de A à E (comme le Nutriscore) évaluant le bien-être des animaux sur la base de critères scientifiques rigoureux. Des contrôles performants doivent être réalisés. La DG SANTE a indiqué qu’elle ferait une proposition d’étiquetage à plusieurs niveaux, mais qu’il serait certainement basé sur le volontariat plutôt qu’obligatoire.

Transport d’animaux vivants

La fondation demande également l’interdiction des exportations d’animaux vivants en dehors des frontières de l’Union européenne. Les animaux subissent des conditions de transport difficiles sur un long trajet, pour finir abattus dans des conditions incontrôlées. Nous avons souligné que cette mesure ne fait pas l’objet d’une forte opposition de la part des agriculteurs. La DG SANTE estime qu’une limitation du temps de transport, qui est aussi une de nos demandes, est plus probable.

Fin de l’élevage en cage

La Commission européenne s’est engagée à interdire l’élevage en cage lors de sa réponse à l’initiative citoyenne européenne « Pour une ère sans cage » (voir l’article « Le début de la fin de l’élevage en cage dans l’Union européenne » dans le n° 110). Une période de transition raisonnable est nécessaire. Pour la LFDA, qui se bat contre l’élevage en cage depuis plus de 40 ans, cette volonté politique représente un bel espoir.

Règles spécifiques

La fondation souhaite des règles spécifiques à chaque espèce, notamment pour les poissons, dont la protection est sous-réglementée. Des règles claires, précises et adaptées à chaque espèce seront moins soumises à des interprétations hasardeuses et permettront de mieux protéger les animaux. La Commission y semble favorable.

Baisse des densités et arrêt des mutilations

Lors de ce rendez-vous, la LFDA a aussi mentionné la question des densités d’élevage, trop élevées, et l’arrêt des mutilations. En somme, dans certains cas, il s’agit de changer de système de production. Les éleveurs doivent faire évoluer leurs pratiques d’élevage si celles-ci sont néfastes pour la protection et le bien-être des animaux. En pratique, une modification progressive des exigences doit avoir lieu, avec des périodes de transition raisonnables mais fermes.

Importations

Enfin, la fondation a abordé la question des mesures équivalentes, qui consistent à appliquer les mêmes standards aux produits importés qu’à ceux produits dans l’UE, afin de ne pas défavoriser les agriculteurs européens. Il semble que la DG TRADE, en charge du commerce extérieur à la Commission européenne, y soit opposée. La tâche est donc compliquée, mais le sujet est cher au gouvernement français, ce qui est positif.

Conclusion

Contrairement aux deux décennies précédentes, la Commission actuelle fait preuve d’une véritable volonté politique en matière de protection des animaux d’élevage, comme en témoigne le nombre de fonctionnaires de son service dédié au bien-être animal, passé de trois à plus d’une dizaine. Une fois que la Commission aura mis ses propositions législatives sur la table, une négociation aura lieu avec le Parlement européen et le Conseil, appelée « trilogue ». Dans le contexte économique actuel, les États membres pourraient être difficiles à convaincre, particulièrement la France. La LFDA poursuit ses efforts pour que cette réforme soit la plus ambitieuse possible pour les animaux.

Nikita Bachelard

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