Les fédérations de chasseurs bénéficient de soutiens publics accrus, sans réels mécanismes de contrôle

Cet article établit une synthèse du rapport de la Cour des comptes sur le soutien public aux fédérations de chasseurs publié en juillet 2023.

On le sait, les décisions du gouvernement vont dans le sens des chasseurs. Le récent « Plan sécurité à la chasse » annoncé par le Gouvernement en début d’année en est un exemple flagrant : il rejette la proposition d’une journée sans chasse (pourtant plébiscitée par une large majorité de Français, selon un sondage Ifop de décembre 2022) et reporte sur les non-chasseurs la responsabilité de se renseigner sur les périodes et zones de chasse pour éviter les accidents. La promesse d’interdire la chasse sous l’emprise d’alcool et de stupéfiants (mesure qui semble pourtant évidente) n’est pas non plus respectée : il s’agira seulement de sanctionner la pratique de la chasse « en état d’ivresse manifeste », formule extrêmement vague et permissive.

Les chasseurs bénéficient aussi d’un soutien financier de l’État exponentiel : l’aide publique accordée à la Fédération nationale des chasseurs (FNC) a été multipliée par 425 entre 2017 et 2021.

Alerté par cette augmentation fulgurante, le collectif Un jour un chasseura demandé à la Cour des comptes, à travers sa plateforme de participation citoyenne, de réaliser une enquête approfondie. Publié en juillet 2023, le rapport souligne des failles quant à l’octroi, la gestion et l’utilisation des financements publics par les fédérations de chasseurs. Nous proposons ici une synthèse de ses principales conclusions.

Les fédérations de chasseurs sont dotées de plusieurs missions de service public

S’il s’agit avant tout d’un loisir pratiqué par environ un million de Français, la chasse est aussi présentée comme une « passion » qui « participe concrètement à la défense de la biodiversité ». En effet, le code de l’environnement charge les fédérations de missions d’intérêt général telles que la participation à la « gestion durable » de la faune et la contribution « à l’équilibre entre le gibier, les milieux et les activités humaines ».

Ce sont majoritairement les fédérations départementales (FDC)[1] qui s’acquittent de ces responsabilités, parmi lesquelles la « mise en valeur du patrimoine cynégétique » (une mission qui consiste surtout à déterminer le nombre minimal et maximal d’animaux à chasser), la contribution à la prévention du braconnage, ou encore la prévention et l’indemnisation des dégâts causés par les animaux classés « grand gibier » (sangliers, chevreuils, cerfs). Les chasseurs ont l’obligation de recueillir des données sur le grand gibier et de procéder au comptage des « prélèvements » (terme euphémique désignant la mise à mort d’un animal). La loi impose en effet un minimum d’animaux à « prélever » afin de « participer à une gestion équilibrée des animaux et des cultures ».

Ces missions de service public sont financées en majeure partie par les chasseurs eux-mêmes, à travers les cotisations obligatoires qu’ils doivent verser aux fédérations, ainsi que les redevances cynégétiques et les droits de timbre qui transitent par l’Office français de la biodiversité (OFB). Mais depuis 2019, la contribution publique aux activités de chasse est de plus en plus importante.

De nouvelles missions et des financements accrus depuis 2019 

Alors que les soutiens publics à la FNC représentaient 27 000 euros annuels en 2017, l’État finance désormais les activités des chasseurs à hauteur de 19 millions d’euros par an, agrémentés de versements ponctuels du simple au triple. Au total, cela représente 40 millions d’euros de dépenses annuelles supplémentaires pour l’État.

A bien des égards octroyé « sans réelle justification », ce soutien financier accru a été entériné par la loi n° 2019-773 du 24 juillet 2019.

Avec cette réforme, qui visait explicitement à dynamiser l’exercice de la chasse, l’État a d’abord baissé de moitié le montant du permis national de chasser, de 400 à 200€. Cette mesure a attiré plus de 370 000 chasseurs vers ce type de permis, ce qui a doublé les recettes de la fédération nationale, qui a profité de cette augmentation pour renforcer ses effectifs. Au total, les ressources issues des cotisations atteignent, pour les fédérations, un montant annuel de plus de 100 millions d’euros (23 millions pour la FNC et en moyenne 83 millions pour les FDC). Parallèlement, l’État a accordé 21,2 millions d’euros à l’OFB afin de compenser la baisse des redevances cynégétiques qui lui revenaient.

L’État a en outre confié à la FNC la gestion d’un fonds dédié à la protection et à la reconquête de la biodiversité (dit « fonds biodiversité »). Dans ce cadre, les chasseurs présentent à l’OFB des projets visant à préserver des zones humides, aménager des espaces agricoles, ou encore acquérir des connaissances sur les espèces. Ces initiatives environnementales pourraient parfaitement être portées par d’autres catégories d’acteurs (collectivités territoriales, associations), mais c’est aux chasseurs que le gouvernement a choisi d’octroyer son soutien : des 15 millions d’euros annuels attribués au fonds, l’État en fournit 10 (via une dotation à l’OFB), et 5 sont versés par les fédérations de chasseurs.

Enfin, l’État a transféré aux chasseurs plusieurs missions auparavant assurées par les collectivités territoriales, comme l’attribution des plans de chasse individuels et la conduite d’actions concourant directement à la protection de la biodiversité. Pour couvrir les coûts estimés de ces nouvelles missions, l’État s’est engagé à verser à la FNC 9 millions d’euros annuels jusqu’en 2024. La Cour relève que l’évaluation des besoins préalables à l’allocation de ces crédits a été insuffisante, et que la compensation résulte surtout d’une négociation globale entre l’État et la FNC, cette dernière ayant obtenu un absolu gain de cause : des 42,8 millions d’euros qu’elle réclamait, l’État lui en a accordé 42 !

En plus de ces subventions régulières, des crédits supplémentaires peuvent être débloqués pour les chasseurs, malgré des besoins insuffisamment étayés.

Par exemple, pour aider les chasseurs à financer un système d’information solide (identification des zones de dégâts, comptage des prélèvements) puis à réduire les dégâts de grand gibier, l’État s’est engagé, en mars 2023, à verser 60 millions d’euros. Mais cet engagement a été pris sans analyse préalable de la situation financière des fédérations de chasseurs et ne s’accompagne d’aucune mesure de contrôle des actions entreprises. Autre illustration : en 2022, 18,6 millions d’euros ont été engagés par l’État au profit des FDC pour indemniser les agriculteurs du surcoût des dégâts de grand gibier[2], sans que les conditions d’octroi et de suspension des aides aient été définies.

Enfin, les fédérations de chasseurs bénéficient de subventions importantes accordées par les collectivités territoriales : elles ont atteint près de 20 millions d’euros entre 2018 et 2021, et ont augmenté de 46 % de 2019 à 2020. La région Hauts-de-France a par exemple versé plus de 220 000 euros à la fédération régionale des chasseurs pour financer une étude de données issues d’un radar ornithologique, qui permet de suivre les populations d’oiseaux migrateurs.

Un manque de contrôle de l’utilisation des crédits et des activités cynégétiques qui en bénéficient

L’État, pourtant censé exercer « la surveillance et la police de la chasse dans l’intérêt général », ne s’est pas doté des mécanismes permettant de contrôler efficacement les missions de service public menées par les fédérations.

Le rapport révèle en premier lieu « le manque de moyens et de vision stratégique des services de l’État sur l’activité des fédérations départementales ».

Les services déconcentrés du ministère disposent d’agents compétents en matière de chasse, mais ces agents sont très peu nombreux et n’ont pas les moyens de contrôler l’exercice des missions de service public par les fédérations. Quant aux agents des services départementaux de l’OFB – dont le conseil d’administration compte 10% de chasseurs -ils consacrent moins de 20 % de leurs missions à la police de la chasse, et se concentrent essentiellement sur le respect des règles de sécurité.

Autre entrave au contrôle de l’usage des subventions publiques : les fédérations ne respectent pas suffisamment leurs obligations de transparence. Bien qu’elles soient censées transmettre à l’État leurs documents statutaires, seulement une fédération sur deux s’astreint à cette règle. Seules deux fédérations ont respecté l’obligation de publier ces documents sur leur site internet.

Enfin, la comptabilité des fédérations permet de distinguer les recettes et dépenses relatives aux dégâts agricoles et aux opérations du fonds biodiversité, mais elle ne va pas jusqu’à mesurer les équilibres relatifs à chacune de leurs missions de service public.

Un impact mitigé sur la biodiversité

Concernant les résultats obtenus au regard des missions bénéficiant d’aides publiques, la Cour des comptes dresse un bilan mitigé. 

La Cour constate en premier lieu une « grande disparité entre départements des mesures d’encadrement des pratiques de la chasse, de la prévention des dégâts et de la régulation des espèces ».   

La Cour s’est notamment penchée sur la gestion du grand gibier, en particulier de sangliers, dont les prélèvements ont été multipliés par 8 en une vingtaine d’années. Elle note que les dispositifs utilisés par les chasseurs sont mis en œuvre sans concertation, de manière extrêmement disparate en fonction des départements, et sans réelle analyse de leur efficacité, malgré le risque majeur de propagation de la peste porcine. La Cour souligne également l’échec des méthodes de « gestion adaptative des espèces » (principe très apprécié par la FNC, puisqu’il permet d’éviter de réviser les textes sur les espèces chassables) et enjoint le ministère à en tirer les leçons.  

Concernant le fonds biodiversité, le conseil scientifique de l’OFB s’est montré, en 2021, très critique quant à l’efficience du dispositif au regard des objectifs visés. Son analyse souligne que nombre de projets étaient « de qualité très faible, voire mauvaise, [pouvant] parfois aller à l’encontre des missions de l’OFB ». Le manque d’informations dans les dossiers présentés rendait également « toute évaluation très difficile ». Malgré cela, étant donné le faible nombre de projets proposés en comparaison du montant qui devait être dépensé, le taux de rejet était anormalement bas (autour de 7%, contre 50 à 70% dans le cadre d’autres appels à projets). La Cour des comptes dresse un bilan moins sévère en 2023 ; elle souligne notamment que les chasseurs sont “montés en compétence” et que « les exigences se sont affinées ». Elle recommande néanmoins une évaluation approfondie des projets financés afin de déterminer la suite à donner à ce dispositif avant son arrivée à échéance en 2026.

Enfin, les données fournies par les chasseurs concernant l’état de la faune sauvage et les prélèvements sur les animaux sont « hétérogènes et lacunaires, notamment pour les espèces en mauvais état de conservation et pour le grand gibier en surpopulation ». Alors que le code de l’environnement fixe des principes de « prélèvement raisonnable », il n’existe pas suffisamment d’indicateurs pour étayer leur respect par les chasseurs. Même pour les espèces soumises au « prélèvement maximal autorisé », les données sont insuffisamment partagées. Quant aux animaux classés « espèces susceptibles d’occasionner des dégâts » (visons, ragondins, fouines, martes, renards…), ils peuvent être tués sans limite, sans analyse relative à l’impact sur les écosystèmes, et en l’absence de réflexion sur l’adéquation des mesures employées au regard des dégâts occasionnés.

Lire aussi : La fable des nuisibles (revue n°119)

La bonne connaissance et le partage des données cynégétiques constituent pourtant une dimension indispensable à la conduite des missions de protection de la biodiversité dont sont chargées les fédérations de chasseurs. La Cour considère qu’il s’agit là d’un point de « désengagement » majeur de l’État, et l’invite à sceller les modalités de collecte et de transmission des données relatives à la faune sauvage et d’en assurer le contrôle.

Conclusion

Le spot promotionnel 2023 de la FNC illustre bien la stratégie de communication des chasseurs, qui se présentent comme les « premiers écologistes de France ». Dans ce clip, bien sûr, pas une seule image de fusil ; on y voit des sangliers gambadant en liberté, une nature profondément respectée, personnifiée par un cerf bien vivant, majestueux et paisible. Le spot a été diffusé 1 300 fois pendant un mois, sur toutes les grandes chaînes de télévision. On imagine le budget colossal dépensé pour ce genre de campagnes, déployées chaque année depuis 3 ans par la FNC… Fort d’un poids économique estimé à 2,2 milliards d’euros, le secteur de la chasse est loin d’être en faillite. Le gouvernement pourrait certainement en tenir compte, et choisir de confier des missions de protection de la faune sauvage à des organisations qui n’ont pas pour loisir de lui tirer dessus.

Marie Elissalt


[1] Les fédérations de chasseurs sont des associations autonomes, agréées au titre de la protection de l’environnement, placées sous le contrôle du ministère de la transition écologique en ce qui concerne la fédération nationale et sous l’autorité des préfets pour la centaine de fédérations départementales et régionales. Retour

[2] Pour compenser ces dégâts, les fédérations déboursent en moyenne 72 millions d’euros par an depuis 2017, dont près des deux tiers sont versés aux agriculteurs. Retour

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