Taisez ce cocorico que je ne saurais entendre

Le Monde rend un hommage aux magistrats amenés à « supporter des plaidoiries dont l’intérêt et la longueur sont inversement proportionnels à l’intérêt de la cause qu’elles défendent ». En l’occurrence, cet article de Pascale Robert-Diard publié le 6 août dernier évoque notamment ces affaires ubuesques dans lesquelles certains habitants de villages de campagne et leurs conseils viennent à la barre fustiger cancanements, caquètements et autres coquelinements des propriétés voisines.

poule campagne ferme

Dans ces affaires, les plaideurs éhontés s’appuient sur le principe juridique selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage.

Eu égard au contexte, les magistrats n’ont alors parfois d’autre choix que de truffer leurs décisions de lapalissades pour refuser de « juger que le bateau importune le marin, la farine le boulanger, le violon le chef d’orchestre, et la poule un habitant du lieu-dit La Rochette, village de Salledes (402 âmes) dans le département du Puy-de-Dôme », en rappelant qu’« élever des poules à la campagne dans un village à vocation agricole n’est pas constitutif d’un trouble anormal de voisinage ». Le bon sens impose en effet d’apprécier le caractère anormal d’un trouble de voisinage « en considération notamment de l’environnement » (…) et du fait que les braiments, hennissements ou bêlements émis par les animaux ne font l’objet d’aucune autre critique. Ce qui semble évident ne l’est finalement pas pour tout le monde !

Le comportement, les qualités de l’animal ou les circonstances d’espèce sont cependant parfois prises en compte pour justifier des mesures visant à éloigner l’animal des voisins troublés : qu’il s’agisse du « chant d’un coq qui s’exerce sans discontinuer à partir de quatre heures du matin » qui « compte tenu du caractère répétitif pendant plusieurs heures de la nuit » ne peut « être considéré comme résultant du comportement normal d’un tel volatile » ou encore son habitude d’évoluer « dans un étroit passage, […] entre deux murs dont on peut redouter qu’ils ne forment caisse de résonance ». Sans pour autant se priver de mettre en doute, en creux, la robustesse de l’« équilibre nerveux  » et la tolérance des voisins gênés…

Et comme le souligne l’auteur de l’article, là est aussi la justice : « Offrir la ciselure d’une décision en réponse aux esprits échauffés des justiciables », quitte à teinter les décisions d’une ironie non dissimulée.

Pour la tranquillité de tous et pour éviter de transformer salles d’audience en basse-cour, on conseillera donc aux ouïes les plus fines de vivre là où elles ne risquent pas d’être importunées par les animaux de
campagne !

Chanel Desseigne

Article publié dans le numéro 91 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences 

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