Vingt ans après son interdiction, la chasse à courre persiste au Royaume-Uni

Au début des années 2000, la Grande-Bretagne a légiféré contre la chasse à courre dans le but de protéger la faune sauvage. Près de vingt ans plus tard, le Parlement écossais a voté un texte plus ferme en réponse aux manœuvres des chasseurs à courre pour contourner la loi. Une initiative qui relance le sujet à travers les Îles Britanniques.

La chasse à courre en Grande-Bretagne

L’Écosse a sonné la première la fin de la chasse à courre, en 2002, avec le vote du Protection of Wild Mammals (Scotland) Act. Côté anglais et gallois, la promesse de campagne du travailliste Tony Blair aura été tenue sept ans après son élection, en 2004, avec le passage en force du Hunting Act. Ces lois prévoient des peines allant respectivement de six mois de prison et jusqu’à 10 000 livres sterling (environ 11 500 euros) d’amende, à simplement 5 000 livres d’amende. En empêchant le déterrage ou la poursuite d’un mammifère sauvage (plus concrètement du renard, du lièvre, du vison ou du cerf) à l’aide de chiens courants, la Grande-Bretagne a fait le choix de mettre un terme au loisir ancestral de l’aristocratie et de la bourgeoisie insulaires au profit de la protection de la faune sauvage contre la cruauté.

En amont des débats, les chasseurs à courre anglais – rassemblés derrière le lobby populiste Countryside Alliance (Alliance pour la ruralité) – ont mobilisé d’importants moyens pour s’assurer du maintien de leur loisir. Cette campagne a notamment donné lieu à la tenue, en 2002 à Londres, d’une impressionnante manifestation de défense de la chasse et de la ruralité (« the liberty & livelihood march »). Elle a regroupé pas moins de 400 000 participants venus de différents pays – dont la France –, soit le plus important rassemblement que le pays eut connu à l’époque (The Guardian, 2002). Autre fait notable, les débats ont été marqués par l’intrusion de deux défenseurs de la chasse à courre dans la Chambre des communes (l’équivalent de l’Assemblée nationale) lors du vote final, un incident qui n’était pas survenu depuis quatre siècles. Au même moment, 62 % de la population soutenait une interdiction accélérée par le gouvernement, sans passer par la Chambre des lords (sondage MORI 2002), tandis que la bataille menée par les militants anti-chasse à courre sur le terrain faisait toujours rage depuis les années 1960. Tout laissait alors présager qu’intervenir pour mettre fin à cette pratique ne serait pas chose aisée.

Vingt ans de chasses à courre illégales

Pour autant, le Protection of Wild Mammals Act et le Hunting Act n’ont pas suffisamment anticipé les moyens que les chasseurs à courre mettraient en œuvre pour faire face à l’interdiction. Dans l’objectif de privilégier le dialogue parlementaire et la protection d’autres modes de chasse qui auraient pu être impactés par une législation trop stricte, la loi prévoit différentes exceptions. Chasser « à courre » reste donc autorisé sous certaines conditions, notamment :

  • pour mettre à mort, à l’aide de deux chiens seulement, un animal qui est ou pourrait être blessé ;
  • pour étudier un animal dans le cadre de recherches scientifiques ;
  • pour déterrer un animal dans le but de le mettre à mort à l’aide d’un mode de chasse autorisé.

Ces exceptions seront largement prétextées par les chasseurs à courre pour justifier la présence d’équipages et de leur meute dans les campagnes britanniques

De plus, et afin d’assurer la continuité de leur pratique – par exemple dans l’attente d’un éventuel retour en arrière à l’occasion de prochaines élections ou d’initiatives parlementaires – les chasseurs à courre sont parvenus à neutraliser l’abolition par un simple stratagème. En effet, à l’annonce de la promulgation des lois d’interdiction, la création d’une nouvelle pratique, le trail hunting (chasse au leurre), rebat les cartes. Cette activité parodie la pratique ancienne du drag hunting, qui consistait à simuler une chasse à courre pour l’entraînement des chiens et des cavaliers en remplaçant l’animal chassé par une simple odeur (laquelle pouvait être artificielle ou bien issue d’un animal qui aurait été capturé au préalable puis donné en récompense à la meute). Ainsi, le trail hunting, pratiqué par la quasi-totalité des équipages du pays, devint une ruse redoutable pour dissimuler la tenue de laisser-courre bien réels impliquant la poursuite et la mise à mort d’animaux.

Ces exceptions et contournements de la loi compliquent également le travail des forces de l’ordre, car la récolte des preuves se révèle quasiment impossible à moins d’être témoin direct de l’acte de chasse sur un animal sauvage. De plus, charge est à l’accusation de prouver que le chasseur a volontairement encouragé ses chiens à poursuivre un animal dans l’intention de le tuer ou qu’il n’a pas raisonnablement mis en œuvre les moyens de les en empêcher. De quoi suffisamment décourager l’appareil d’État d’investir dans la répression de ces petites infractions – celui-ci n’étant pas, en outre, insensible aux pressions du lobby des chasseurs.

De nouvelles tentatives de législation outre-manche

Il aura fallu attendre 2023 et le vote du Hunting with Dogs (Scotland) Act pour circonscrire le phénomène des chasses illégales en Écosse. Le trail hunting y est désormais interdit lorsqu’il implique plus de deux chiens et l’utilisation d’un seul chien est autorisée lors d’un acte de déterrage. La présence de cavaliers et d’une meute de chiens suffisent dorénavant à susciter le soupçon. Les peines encourues ont également été durcies : tout contrevenant ou complice risque jusqu’à un an de prison et 40 000 livres d’amende (environ 46 000 euros). Après de nouvelles accusations de chasses illégales, notamment par la League Against Cruel Sports (LACS), la poignée d’équipages restants du nord de l’île ont aujourd’hui presque tous raccroché leur redingote.

En Angleterre, ce sont la tenue de la dernière élection législative de 2024 (remportée par les Travaillistes) et l’organisation prochaine d’une consultation publique nationale qui pourraient donner lieu à une réforme. Les défenseurs de l’interdiction continuent de faire campagne pour instaurer l’illégalité de tout type de chasse au leurre et l’absence d’exceptions à la loi.

Enfin, en mai 2025, une députée irlandaise issue d’une alliance de la gauche ultra minoritaire a défendu au Dáil Éireann une proposition de loi portant amendement de l’Animal Health and Welfare Act (2013) afin d’y intégrer l’interdiction de la chasse à courre. Dans le cas d’un accord de la chambre basse, celle-ci sera discutée en commission.

Si le débat a pu être relancé à travers les îles britanniques, c’est aussi grâce à un scandale médiatique qui a éclaté en 2020 à la suite des révélations de l’historique Hunt Saboteurs Association. Au cours d’un webinaire interne infiltré par des opposants, le Hunting Office (l’équivalent de la Société de Vénerie en France, soit l’organisation qui fédère l’ensemble des équipages de chasses à courre) a expliqué à ses membres comment organiser au mieux une chasse à courre illégale en ayant recours au trail hunting comme « écran de fumée ». Ces échanges ont naturellement déclenché un tollé général et de nombreux équipages ont vu leur droit de chasser au leurre révoqué par de grands propriétaires terriens privés, dont le National Trust, deuxième propriétaire foncier après l’État.

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Si l’expérience britannique a su démontrer que la chasse à courre était un sujet sur lequel il était particulièrement difficile de légiférer, elle fournit des éléments précieux à qui veut s’emparer de la question en France. Dernier pays où la chasse à courre reste largement pratiquée à travers le territoire malgré son impopularité (76 % des Français sont favorables à son interdiction selon un sondage IFOP de 2025), la France est en effet en prise aux mêmes difficultés que l’étaient ses voisins il y a plus de vingt ans. Si elle devait faire le choix de l’abolition, elle devra absolument tirer les leçons du cas britannique, sous peine de retarder elle aussi la fin de cette pratique cruelle.

Léa Le Faucheur

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