
La Fondation Droit Animal, Éthique & Sciences (LFDA) et l’European Institute for Animal Law & Policy (EIALP) ont coorganisé, le 18 novembre 2025 à Bruxelles, une conférence consacrée aux évolutions récentes et aux perspectives du droit européen en matière de protection animale. L’événement a réuni plus de cinquante personnes venant de plus de trente organisations (ONG, institutions, universités…), ce qui confirme l’importance croissante des enjeux liés au bien-être animal dans le paysage juridique et politique européen.
Comprendre les limites du cadre européen actuel
La journée s’est ouverte sur une présentation du colloque, de ses enjeux et de ses objectifs par Nicolas Bureau (LFDA), et par un hommage rendu à Louis Schweitzer, ancien président de la Fondation, qui nous a quittés le 6 novembre.
La première table ronde, introduite par Gabriela Kubíková (EIALP), a permis de poser les bases du débat. Christian Juliusson (Commission européenne, DG SANTE) a rappelé que nombre de textes européens en matière de bien-être animal reposent encore sur des standards généraux, formulés en termes tels que « approprié » ou « non routinier », laissant une forte marge d’interprétation et nuisant à l’harmonisation. Il a également souligné un enjeu majeur : l’absence d’effet extraterritorial des normes européennes, qui place parfois les producteurs de l’UE en situation de désavantage face aux importations provenant de pays aux règles moins strictes.
Denise Candiani (EFSA) a ensuite présenté le rôle central joué par l’agence dans la production d’avis scientifiques destinés à éclairer la Commission. Elle est revenue sur l’évolution des missions de l’EFSA, qui s’est progressivement dotée de moyens accrus pour couvrir l’ensemble des espèces concernées par le droit européen, des animaux d’élevage aux équidés et animaux à fourrure. Elle a décrit les différentes modalités de participation du public et des parties prenantes (consultations, appels à données, expressions d’intérêt) qui nourrissent l’élaboration des avis scientifiques.
Enfin, Pauline Phoa (Université d’Utrecht) a proposé une analyse claire des différentes formes d’extraterritorialité dans le droit européen. Elle a distingué l’extraterritorialité « stricte », illustrée par l’application du droit européen au transport des animaux au-delà des frontières de l’UE ou par l’interdiction de la chasse à la baleine, l’« effet Bruxelles », qui voit des producteurs étrangers adopter volontairement des standards européens pour accéder au marché, et l’extraterritorialité reposant sur l’action extérieure de l’Union, par exemple via l’intégration du bien-être animal dans les accords commerciaux. Elle a replacé ces mécanismes dans une perspective historique, montrant comment la construction du droit international moderne conditionne encore les débats contemporains.
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Une jurisprudence en mouvement
La deuxième table ronde, modérée par Inês Grenho Ajuda (Eurogroup for Animals), a révélé l’importance croissante du contentieux stratégique dans l’évolution du droit animalier.
Alessandra Donati (référendaire à la CJUE) est revenue sur trois arrêts majeurs de la Cour rendus en 2020. Elle a notamment détaillé les décisions relatives à l’abattage rituel et aux méthodes traditionnelles de capture d’oiseaux, dans lesquelles la Cour a dû concilier traditions culturelles et exigences croissantes de protection animale. Elle a également présenté l’arrêt ASCEL, portant sur la protection du loup, dans lequel la Cour reconnaît que les atteintes psychologiques à une espèce protégée peuvent constituer un préjudice environnemental.
Alice Di Concetto (EIALP) et Joren Vuylsteke (KU Leuven), intervenant conjointement, ont mis en perspective ces évolutions européennes avec les dynamiques nationales. Ils ont présenté des cas récents aux Pays-Bas et en Belgique, où des associations mobilisent de plus en plus le droit pour contester l’inaction des autorités ou obtenir un renforcement de la protection animale. Ils ont souligné deux tendances structurantes dans la jurisprudence européenne : la référence croissante à la sensibilité des animaux, désormais explicitement inscrite dans les traités, et la place accordée aux intérêts des animaux dans le test de proportionnalité. Ces tendances, ont-ils expliqué, ouvrent la voie à des stratégies contentieuses plus ambitieuses dans les années à venir.

Outils, innovations et perspectives politiques
La troisième table ronde, introduite par Laurence Parisot (présidente de la LFDA), a mis en lumière les outils juridiques émergents et les perspectives politiques en cours.
Nicolas Bureau (LFDA) et Emilie Chevalier (Université de Limoges) ont présenté une base de données en ligne regroupant l’intégralité du droit européen relatif aux animaux : règlements, directives, décisions, recommandations, ainsi que la jurisprudence de la Cour. Ce projet, mené en collaboration avec un réseau d’universitaires, sera lancé début 2026 en français et en anglais.
Les députés européens Tilly Metz (Verts/ALE) et Michal Wiezik (Renew Europe) ont ensuite partagé leur expérience de terrain, notamment sur la réforme du règlement transport. Ils ont décrit un contexte politique tendu et des négociations complexes, où la protection animale se heurte régulièrement à des intérêts économiques divergents entre États membres.Enfin, Pascal Vaugarny (Fermiers de Loué) et Agathe Gignoux (Compassion in World Farming France) ont présenté un retour d’expérience commun sur le label français étiquette bien-être animal. Ils ont montré comment ONG et acteurs économiques peuvent coconstruire des améliorations concrètes, à condition d’aligner objectifs éthiques, viabilité économique et équité de marché. Leur intervention a illustré un point clé de la journée : les progrès réels nécessitent des dialogues structurés entre la société civile, les scientifiques, les entreprises et les institutions.



