Faire la cour à la chasse

C'est le rituel inévitable des périodes préélectorales. Il avait été amorcé dès décembre 2015, donc très avant la fièvre des courses aux votes des dernières semaines de campagne, avec un entretien organisé à l’Élysée entre le président de la République et les responsables de la revue Le Chasseur français. Cette rencontre avait été très remarquée, mais diversement appréciée. Les chasseurs s’étaient délectés des propos du président, qui avait déclaré voir dans la chasse « un engagement pour le respect des équilibres naturels », avoir « beaucoup de considération » pour l’engagement bénévole des chasseurs qui « entretiennent la flore et protègent la faune », en dépit du « manque de compréhension qu’ils peuvent rencontrer et des caricatures qui leur sont accolées ».

Les organisations de préservation de la nature, et les partisans du respect de la vie animale s’étaient vivement offusqués des déclarations présidentielles, qui se résumaient à voir dans la chasse un amour de la nature, une protection de la faune dans le fait de tuer par millions les animaux qui la composent, et un respect des équilibres naturels dans une prétendue gestion uniquement axée sur le maintien des espèces de « gibier ».

Le temps électoral approchant, la ministre de l’Environnement Ségolène Royal a reçu le 27 janvier dernier le président de la Fédération nationale des chasseurs (FNC) Willy Schraen et le vice-président Alain Durand. Cela s’imposait, évidemment : depuis 2014 la titulaire du ministère de l’Écologie, rebaptisé de l’environnement en 2016, n’avait pas encore reçu à son ministère (chargé de la Protection de la nature et de la Biodiversité) les représentants des plus ardents protecteurs de la nature que sont les chasseurs, comme l’on sait.

De g. à d. : M. Alain Durand, Vice-Président de la FNC ; Mme Ségolène Royal, Ministre de l'Environnement ; M. Willy Schraen, Président de la FNC. (27.01.2017)

L’entretien du 27 janvier, au 246, boulevard Saint-Germain, s’est déroulé dans « une ambiance très cordiale et constructive », comme l’a souligné le communiqué de presse de la FNC. La ministre a commencé par confirmer qu’à la demande du président du groupe chasse à l’Assemblée nationale, elle autoriserait la chasse aux oies cendrées pour les 12 premiers jours de février. Le climat de bienveillance étant ainsi servi en hors-d’œuvre, la ministre a poursuivi en annonçant vouloir mettre un terme à l’idée d’une utilisation partagée de la nature qui vise à instaurer les dimanches sans chasse, à la demande de multiples associations de promeneurs en tous genres qui ont envie, et besoin, d’une nature silencieuse et sûre. Elle a dit son intention de demander à la ministre de l’Éducation nationale de signer la « Convention nationale » avec la FNC, qui officialise l’intervention des fédérations de chasse dans les écoles, en précisant qu’elle était favorable à cette charte qui « va dans le sens d’une plus grande sensibilisation des enfants à la découverte de la nature ». La ministre (chargée de la Protection de la nature, faut-il le rappeler) s’est également engagée à faciliter l’accès à la pratique de la chasse, et à légaliser l’utilisation des « silencieux ». Le président de la FNC a félicité la ministre pour l’augmentation du nombre d’abattages de loups, décidée en accord avec M. Le Foll, ministre de l’Agriculture, et probablement enthousiasmé par la bienveillance ministérielle, il en a profité pour réclamer l’autorisation de la chasse dérogatoire à l’ortolan et au pinson, demande exorbitante à laquelle la ministre semble n’avoir pas répondu. L’entretien s’est conclu sur une déclaration du président de la FNC, à inscrire dans le florilège des sottises sentencieuses : « Avec la fusion des domaines de chasse de Rambouillet et de Chambord, il est rassurant de voir que la République française considère enfin que la chasse est toujours un atout au service de la diplomatie ».

En somme, au début de janvier, le gouvernement s’est déclaré soutenir la chasse et disposé à en étendre les pouvoirs, quitte au passage à valider et à reprendre à son compte la « Convention de partenariat pour l’éducation au développement durable » signée le 3 mars 2010 par Jean-Louis Borloo, ministre de l’Écologie, et Jean-Luc Chatel, ministre de l’Éducation nationale. Ce partenariat avait soulevé l’indignation des ONG, qu’elles se consacrent à la protection animale, à la préservation de la nature ou à l’enseignement et à l’éducation, révoltées par les missions « d’éducation des élèves au développement durable, à la biodiversité et au respect de la nature », qui se trouvaient ainsi confiées à ceux qui tuent des centaines de milliers d’animaux chaque année pour le seul plaisir du tir.

Les majorités se sont ainsi succédé, et elles ont toujours cédé au lobby de la chasse, solidement installé à l’Assemblée nationale comme au Sénat. Cette surreprésentation de la chasse dans les deux assemblées est constatée et déplorée depuis des décennies. Elle aboutit à des votes de textes législatifs en désaccord avec l’opinion générale : actuellement les 120 députés du groupe chasse sur les 577 de l’Assemblée nationale (21 %) ne reflètent pas le million de chasseurs sur les 45 millions d’électeurs (2 %) ! Quelle que soit l’appartenance politique, les intérêts, les privilèges et les plaisirs d’une aristocratie de la gâchette passent avant tout. C’est exactement ce qu’a confirmé W. Schraen dans une interview que lui a consacré Le Figaro du 13 mars. Le président de la FNC y souligne que les chasseurs ont « autant d’alliés et de soutiens à gauche qu’à droite », qu’ils ont « une très forte capacité de mobilisation », qu’ils veulent obtenir que la chasse « soit au cœur des politiques de biodiversité », et qu’ils attendent de la prochaine mandature la garantie d’une chasse durable, ce qui est pour une « vision de la société » qui les oppose « radicalement aux défenseurs extrémistes du droit de l’animal » (qualifiés d’escrologistes, il y a peu de temps, et plus récemment de terroristes…).

Les attentes des chasseurs n’ont pas mis longtemps à être satisfaites : dès le lendemain 14 mars, l’Assemblée générale de la FNC, organisée à Paris, a reçu la visite de deux candidats à la présidence, venus en courtisans affirmer leur soutien à la chasse et aux chasseurs.

François Fillon, accompagné de Gérard Larcher président du Sénat, a repris les termes du président Hollande en voyant dans les chasseurs « les représentants du bénévolat et de la ruralité ». Il s’est déclaré partisan de la chasse à l’ortolan et au tétras dans les Pyrénées, a dit envisager de détacher la chasse du ministère de l’Environnement (qui en est pourtant le protecteur, ainsi que l’a confirmé la ministre en janvier…), vouloir renégocier la directive oiseaux, et simplifier les procédures (permis de chasser, listes de nuisibles, piégeage…).

L’ancien Premier ministre à peine sorti, s’est présenté l’ancien ministre de l’Économie Emmanuel Macron, « qui a su parler » à l'assistance, comme l’a mentionné la presse. Pour lui, la chasse « est une activité culturelle, environnementale, économique, et un mode de vie, pas seulement un loisir », propre à « réconcilier les métropoles, les villes de taille moyenne et la ruralité ». Il déclare vouloir rétablir les chasses présidentielles et ne pas souhaiter rouvrir le sujet du bien-être animal, pas plus que celui des chasses traditionnelles (1).

Concluons : cette année n’a pas échappé au rituel de la chasse aux voix des chasseurs, coutumier des périodes préélectorales. Il en est devenu caricatural, parce que chacun sait que les engagements ne seront pas tenus par ceux qui les prennent, et ne sont pas crus par ceux qui les entendent. Et au résultat ce rituel est même devenu totalement inutile : les candidats en présence font assaut d’amabilité, de démagogie et de promesses, et les voix des chasseurs se répartiront forcément entre eux. Au final, ce cérémonial ne peut pas contribuer à départager les candidats, et donc il compte pour du beurre ! Les candidats feraient des économies d’énergie en ne s’y pliant pas, et la FNC économiserait ses finances en déclin en n’ayant pas recours à son lobbyiste habituel pour organiser à grands frais des rencontres finalement inutiles parce qu’elles s’annulent mutuellement.

Au fond, le soutien apporté à la chasse par les politiques se résume au fusil de chasse lui-même : dans chacun des deux canons, une cartouche est chargée à « Droite », et l’autre est chargée à « Gauche », et si plusieurs partis se concurrencent dans leur soutien à la chasse, chacun enfile une munition dans le chargeur d’un fusil à pompe funèbre. Au résultat, dans nos campagnes et nos bois, il n’y a plus rien qui coure ou qui vole, il n’y a plus rien qui vive, qui chante et qui nous enchante.

Jean-Claude Nouët

  1. La présidente du Front national n’a pas paru à la tribune de la Fédération, et avait envoyé un représentant. L’attitude de la Fédération semble avoir passablement évolué depuis que le FN s’est intéressé au bien-être animal, encore que le FN capterait aujourd’hui 40 % du vote chasseurs, selon W. Schraen.

Article publié dans le numéro 93 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.

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