Le procès des employés de l’abattoir du Vigan : le jugement

Le verdict est tombé le 28 avril dernier : le Tribunal a finalement condamné les différents prévenus dans ce premier procès pour cruauté à l’encontre d’un abattoir français. Suite à la diffusion des images par l’association L214, une enquête de la Brigade nationale d’enquête vétérinaire et phytosanitaire avait été diligentée. Finalement, une enquête préliminaire fut menée pendant neuf mois, de février à décembre 2016, qui a débouché sur le renvoi correctionnel requis par le procureur de la République.

abattoir

Le prévenu principal, Marc Soulier, responsable de la protection animale au sein de l’abattoir, était poursuivi pour les faits les plus graves, c’est-à-dire sévices graves et actes de cruauté : il est condamné à huit mois avec sursis, 3 400€ d’amende et une interdiction d’exercer dans un abattoir pendant cinq ans.

Il était accusé d’avoir, entre le 1er juin 2015 et le 23 février 2016, fouetté et attrapé quatorze ovins par la laine, la queue, la tête et les oreilles, d’avoir donné des coups de poing sur la tête et le corps d’un ovin, et d’avoir utilisé à plusieurs reprises la pince à électronarcose sur le museau des brebis pour faire rire son collègue. A ce titre, il encourait selon l’article 521-1 du Code pénal une peine de deux ans de prison et de 30 000€ d’amende. 

Les deux autres employés étaient poursuivis pour « mauvais traitements infligés sans nécessité » et passibles de contraventions de 4ème classe punies de 750€ d’amende . Ils seront finalement acquittés pour cause de dépassement du délai de prescription d’un an puisque les vidéos fournies n’étaient pas datées. Le premier, Nicolas Granier, n’était pas présent lors des audiences, il était accusé d’avoir donné un coup de pied sur la tête d’un bovin après étourdissement pour le sortir du box d’immobilisation et asséné un coup d’aiguillon électrique sur la tête d’un porc. Le second, Gilles Estève, n’a pas hésité à présenter ses arguments aux journalistes et aux juges.  Eleveur de bovins bio, titulaire d’un CAP de « tueur dépeceur » et vacataire à l’abattoir du Vigan, il explique l’acte pour lequel il est poursuivi. En effet, le coup de pied porté au niveau de l’arrière-train d’un bovin avec le plat de son pied correspondrait à une nécessité de sécurité pour vérifier l’état d’inconscience de l’animal.

C’est l’arrêté du 12 décembre 1997 relatif aux procédés d’immobilisation, d’étourdissement et de mise à mort des animaux et aux conditions de protection animale dans les abattoirs, Annexe 1, 4. a) et b) qui prévoit l’interdiction d’utiliser les appareils électriques ou d’asséner des coups ou d’exercer des pressions sur les animaux lorsque cela n’est pas nécessaire. Ces procédés peuvent seulement servir à déplacer l’animal récalcitrant et ce de manière encadrée, c’est-à-dire sur une certaine zone du corps de l’animal et pour certains animaux seulement.

"4. a) Les animaux doivent être déplacés avec ménagement. Les passages doivent être construits de façon à réduire au minimum les risques de blessure pour les animaux et être aménagés de manière à tirer parti de leur nature grégaire. Les instruments destinés à diriger les animaux ne doivent être utilisés qu'à cette fin et seulement pendant de courts moments. Les appareils soumettant les animaux à des chocs électriques ne peuvent être utilisés que pour les bovins adultes et les porcs qui refusent de se déplacer, pour autant que les chocs ne durent pas plus de deux secondes, qu'ils soient convenablement espacés et que les animaux aient la place d'avancer. Ces chocs ne peuvent être appliqués que sur les membres postérieurs.

b) Il est interdit d'asséner des coups ou d'exercer des pressions aux endroits particulièrement sensibles. Il est en particulier interdit d'écraser, de tordre, voire de casser la queue des animaux ou de les saisir aux yeux. Les coups appliqués sans ménagement, notamment les coups de pied, sont interdits."

La défense des prévenus revient à de nombreuses reprises sur les conditions de travail difficiles avec les cadences infernales et les problèmes de matériel inadaptés ou non entretenus, ce que reprendra Marc Soulier lors de son intervention. Il raconte également les dangers de leur métier lorsqu’ils se retrouvent face à des animaux refusant de suivre le processus. Dans ces cas ils sont obligés d’agir et ne peuvent plus respecter le bien-être de l’animal.

En somme, les prévenus rejettent la faute sur les conditions de travail difficiles, et par voie de conséquence sur la communauté des communes des pays Viganais en tant que gestionnaire de l’abattoir et sur la direction. La Communauté est, elle, condamnée à une amende s’élevant à 3 400€. En tant que personne morale responsable du respect des règles dans son entreprise, elle était accusée de ne pas avoir pris les mesures nécessaires afin de garantir le bien-être des animaux, notamment concernant les équipements défaillants, les saignées tardives ou encore les problèmes d’étourdissement.

Roland Canayer, président de la communauté de communes, déplore l’absence du directeur de l’abattoir qui serait selon lui le principal responsable. En effet, il n’aurait "jamais remonté les difficultés" à résoudre. Point sur lequel s’accordent les parties civiles, notamment la présidente de l’Alliance anti-corrida Claire Stazorinski, qui affirme que "les véritables responsables ne sont pas là, les employés n’avaient pas de garde-fou. On n’a jamais vu le directeur qui n’a pas été inquiété, ni les services vétérinaires qui doivent impérativement contrôler ce qui se passe dans les abattoirs".

Les réquisitions du procureur, déjà inférieures aux peines prévues par les textes, ont été revues à la baisse par le Tribunal d’Alès, en considération des nombreux arguments relatifs aux conditions de travail difficiles des employés de l’abattoir et le problème de l’organisation générale.

Le procureur de la République, M Nicolas Hennebelle, avait précisé que le but de ce procès était de dire le droit, de condamner des faits intolérables et non pas de faire un débat sur l’élevage et l’abattage. Il reconnaît la difficulté du travail au sein des abattoirs afin d’éviter la diabolisation des employés qui ne représentent qu’un maillon de la chaîne. Il remet en cause le non-respect des règles de l’abattage et la formation des personnels qui doivent être sensibilisés au bien-être animal.

"Qui ici, accepterait de travailler ne serait-ce qu’une seule journée dans un abattoir ? Si l’on surpasse le sang, l’odeur, la chaleur, la difficulté reste physique. Cela peut expliquer certains faits vus dans les vidéos, mais ne les excuse pas. Le personnel de l’abattoir est professionnel et doit être formé, sensibilisé à la protection animale" ; "On ne peut pas traîner une personne ici, et en faire la responsable. Ce dossier n’est pas simplement celui d’un dérapage isolé, c’est aussi le dossier d’un manque de vigilance sur les règles de l’abattage".

L’association L214, prise pour cible par la défense, affirme ne pas chercher à « faire le procès des abattoirs » mais à condamner les « comportements qui sont en contradiction avec le bien-être animal », selon les mots de Me Lanty (avocate de l’association).

Malgré tout, les parties civiles se félicitent d’une telle condamnation qui ouvre alors les portes de la justice sur les horreurs des abattoirs. Ainsi, les problèmes de contrôle, de formation et de matériel ne peuvent plus être passés sous silence si la médiatisation et la condamnation veulent être évitées.

C’est donc ainsi que l’abattage est revenu au cœur des débats, ce qui l’a conduit devant les juges. La remise en cause du contrôle, de la formation des employés, de l’étourdissement et de l’entretien ou installation du matériel a trouvé écho par l’intervention du ministère de l’Agriculture sous l’impulsion de M Stéphane Le Foll.

Suite aux multiples scandales, ce dernier s’est alors lancé dans une opération d’inspections des abattoirs français. Deux cent cinquante-neuf établissements ont été contrôlés, 20% ont été jugés satisfaisants, 49% acceptables et 31% insuffisants. Les principaux éléments non-conformes concernent de graves défauts d’étourdissement, la carence documentaire et la conception des locaux et du matériel. Ces résultats ont eu pour conséquence la fermeture de 23 établissements et 64 ont été suspendu, les autres ont eu des rappels à la règlementation ou des mises en demeure.

Le ministre de l’Agriculture n’est pas seul à avoir décidé d’agir. Le député Olivier Falorni a décidé en avril 2016 de créer et de présider une Commission d’enquête parlementaire afin de proposer des solutions législatives d’amélioration des conditions animales dans les abattoirs. Une proposition de loi n° 4312 relative au respect de l’animal en abattoir reprenant le travail de cette commission a été votée par trente-deux députés à l’Assemblée nationale. Les points centraux de cette proposition sont ceux relatifs au contrôle par le moyen de la vidéosurveillance, de la transparence et de la formation des employés. Points qui ont constitué le cœur des débats lors du procès de l’abattoir du Vigan.

L’idée est donc de parvenir à une législation plus protectrice des animaux en abattoir que celle prescrite par le droit européen comme le préconise le règlement (CE) n° 1099/2009 du 24 septembre 2009. Il reste à souhaiter que cette question reste au cœur des réflexions du prochain gouvernement afin de concrétiser la vidéosurveillance et le respect des animaux en abattoir.

Louise Thirion

 

Article publié dans le numéro 93 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.

ACTUALITÉS