Ivoire : on y voit plus clair

Dans le numéro précédent de cette Revue, notre hommage à la mémoire de notre ami Pierre Pfeffer se terminait en accusant la destinée d’une ironie cruelle qui l’avait privé d’apprendre que la Chine renonçait au commerce et au travail de l’ivoire, une décision annoncée la veille même de son décès, alors qu’il avait tant lutté pour l’obtenir.

Revenons ici sur cette lutte, et ce qui l’a motivée

Devant l’effondrement des populations d’éléphants d’Afrique victime d’une chasse effrénée, passant de plus de 20 millions avant l’arrivée des Européens, à 10 millions au début du XXe siècle, puis à 1,3 million en 1979 et à 600 000 en 1989, la Convention internationale sur le commerce des espèces menacées a alors pris la décision de placer l’éléphant en Annexe I de la Convention, votée par 76 États (contre 11 voix opposées et 4 abstentions) : tout commerce de l’ivoire se trouvait ainsi interdit.

Le résultat a été proprement miraculeux

Les effectifs se sont lentement reconstitués, et la situation de l’espèce aurait pu être améliorée par une surveillance accrue financée par le concert des États ; cela n’a pas été. Le braconnage rampant a perduré, alimentant le trafic d’ivoire et son exportation. En dépit du succès, même relatif, du classement en Annexe I, la réunion de la CITES en 2000 a décidé le déclassement de l’éléphant en Annexe II limitée à certains États, ainsi autorisés à la commercialisation.

Une funeste décision

Cette funeste décision a été votée à la demande des États africains anglophones, fortement soutenus par le Royaume-Uni, et hélas l’Union Internationale pour la conservation des espèces (UICN) et la WWF, au motif que lesdits États allaient ainsi pouvoir vendre les stocks de défenses qu’ils détenaient. Ces stocks étaient prétendus provenir de morts naturelles. La fausseté de l’argument a été démontrée lors d’une mise en vente, à la fin de 2008, de 108 tonnes d’ivoire dont 57 pour l’ensemble Botswana-Namibie-Zimbabwee et 51 pour l’Afrique du Sud. Les morts naturelles concernant essentiellement les éléphanteaux de moins de deux ans, porteurs de défenses de quelques dizaines de grammes, on s’est demandé d’où pouvaient provenir ces 51 tonnes, ce qui représente au bas mot quelque 5 000 éléphants, alors que l’Afrique du Sud affirmait n’avoir abattu aucun animal depuis 1995.

La réponse était évidente : il provenait des pays alentour, Angola, Zambie, Congo-Kinshasa, qui n’avaient pas obtenu d’autorisation de reprendre le commerce, et dans lesquels sévissait un braconnage intense. Une fois « blanchi » au passage, l’ivoire était vendu légalement, ou illégalement comme l’ont montré de multiples saisies douanières un peu partout. Ce juteux marché aboutissait et a continué d’aboutir ensuite en Extrême-Orient, et principalement en Chine, facilité et aggravé par la présence de 200 000 ou 300 000 travailleurs et coopérants chinois, avide d’ivoire et de tous produits de la nature. Il a surtout abouti à réduire l’effectif total de l’espèce actuellement évalué à 350 000, un total contesté par Pfeffer qui faisait remarquer que l’essentiel des populations d’Afrique australe se concentrait sur une bande étroite entre Botswana et Zimbabwe et était compté par chacun des deux pays, donc compté deux fois…

Une projection alarmante

La projection dans le temps montrant un effectif maximal de 150 000 en 2025, et une disparition totale avant la fin du siècle, les derniers efforts ont été faits pour convaincre LE responsable principal de ce massacre, la Chine. Le scandale des officiels et hommes d’affaires chinois accompagnant le président Xi Jinping en Tanzanie en 2013 et revenant avec des valises pleines d’ivoire avait sérieusement affaibli l’image du pays. En 2015, le président Obama et Xi Jinping sont convenus de s’engager vers une large prohibition du marché de l’ivoire. Dans les quatre dernières années, l’organisation WildAid a financé une vaste campagne d’affichage sensibilisant les riches chinois sur la gravité de la disparition de l’éléphant et la nécessité de se désintéresser des objets d’ivoire, avec l’appui du prince William, du pianiste Lang Lang. La Chine continuait cependant à tolérer la vente d’ivoire ouvragé au prétexte de tradition artisanale, et à autoriser (naïvement ?) la vente d’ivoire d’animaux tués avant 1989…

Une décision importante

Mais le 30 décembre 2016, le gouvernement central a annoncé son intention d’interdire tout commerce et tout travail de l’ivoire dans le courant de 2017. Trente-quatre entreprises de travail de l’ivoire et près de 150 points de vente devront cesser leurs activités, et cela dès le 31 mars, sous la surveillance renforcée des douanes et de la police. Le bureau chinois de Traffic, une ONG internationale vouée à la surveillance du commerce des espèces menacées, estime que la décision chinoise aura un impact majeur, les clients potentiels n’osant plus acheter aux trafiquants au niveau des frontières d’entrée (Birmanie et Vietnam).

Toutefois tout repose sur la volonté du gouvernement chinois de mettre réellement fin à la commercialisation de l’ivoire, en évitant d’user de « dérogations » opportunes, telles celles qu’il a accordées aux « ventes aux enchères de reliques culturelles certifiées », tolérance qui fait naître l’inquiétude.

Si le braconnage, comme on l’espère, devait subir un coup d’arrêt, les résultats positifs seraient vite observés comme ils l’avaient été après l’interdiction du commerce intelligemment votée par la CITES en 1989, et les effectifs de l’espèce ne tarderaient pas à se stabiliser puis à croître.

Encore merci à Pierre Pfeffer pour la ferveur héroïque de son combat.

Jean-Claude Nouët

Article publié dans le numéro 93 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.

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