Transport: une protection insuffisante des animaux selon la Commission européenne

Chaque année, des millions d’animaux sont transportés au sein de l’Union européenne (UE) entre les États membres ou à destination d’États tiers, à des fins de reproduction, d’engraissement et d’abattage. Le règlement CE 1/2005 du 22 décembre 2004 relatif à la protection des animaux pendant le transport est un texte juridique européen contraignant pour tous les États membres de l’UE [1] qui vise à règlementer le transport des animaux vertébrés vivant à l’intérieur de l’Union lorsque ce transport se fait dans le cadre d’une activité économique (art.1).

© Tom Jervis

Introduction

Dans l’UE, les animaux ne sont pas considérés comme de simples biens mais comme des marchandises bénéficiant d’une protection contre les mauvais traitements et les actes de violence durant leur transport au nom de leur sensibilité reconnue par l’article 13 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

On remarque un émoi grandissant de la population européenne face aux conditions de transport des animaux. Les ONG tentent de dénoncer les faiblesses du système notamment en réagissant aux accidents maritimes tels que l’incident du Queen Hind en 2019 [2] [3] et en publiant des vidéos montrant les animaux en grande détresse dans les camions par temps caniculaire.

Après de nombreuses sollicitations, la Commission européenne s’est enfin décidée à publier deux rapports concernant l’efficacité du règlement CE 1/2005. Ces deux rapports identifient les principaux atouts et défauts du système mis en place par les États membres pour protéger les animaux lors des transports de longue durée [4] à destination d’États tiers. Le premier est relatif au transport par voie maritime et le second à l’exportation par mode routier.

Rapport de la Commission sur le transport d’animaux par voie maritime

Méthodes d’autorisation et d’inspection des navires insuffisantes pour minimiser les risques du transport, personnel d’équipage non qualifié, informations incomplètes ou incorrectes, manque de rétro-information de la part des États tiers… Le bilan tiré par la Commission européenne sur la protection des animaux lors du transport par voie maritime est plutôt négatif.

Le constat est le suivant : les États membres n’appliquent pas ou pas correctement le règlement. D’emblée, on remarque un souci d’interprétation des textes. La plupart des États membres identifient comme destination finale le port de sortie de l’Union européenne et non pas le lieu d’arrivée dans l’État tiers. Or, le règlement transport indique qu’il faut définir le voyage comme « l’ensemble de l’opération de transport, depuis le lieu de départ jusqu’au lieu de destination, y compris le déchargement, l’hébergement et le chargement aux points intermédiaires du voyage » (Article 2, al.1, j). Le carnet de route est la documentation soumise à l’approbation de l’autorité compétente du lieu de départ [5] qui est censée s’assurer que celui-ci prévoit la protection de l’animal lors de l’entièreté du trajet. Cependant, lorsque le carnet est mal rempli (incomplet, non conforme…), c’est l’efficacité du règlement à chaque étape du trajet qui est compromise. Si ces lacunes ne sont pas identifiées par l’autorité de départ, il est encore moins probable qu’elles soient constatées par l’autorité compétente au port de sortie. Ces problèmes de documentation, ni repérés ni rapportés, augmentent la probabilité que les animaux souffrent durant leur transport.

La Commission remarque une incertitude juridique quant à la personne responsable des animaux lors de leur déchargement du véhicule et chargement à bord du navire. De plus, elle observe une absence flagrante de plan d’urgence visant à aménager les animaux dans un espace où ils peuvent se reposer et se nourrir lorsque l’attente au port de sortie est trop longue. Outre ces difficultés, voici quelques exemples des problèmes les plus récurrents et les plus préoccupants du transport maritime, relevés par la Commission.

Premièrement, les navires transportant le bétail sont généralement inadaptés à accueillir les animaux à leur bord. Censés disposer d’installations garantissant la sécurité et le respect des normes de bientraitance, les navires de transport de bétail sont fréquemment d’anciens bateaux (parfois vieux de plus de 35 ans) [6] transformés aux fins d’imports/exports. Ils n’ont donc pas été conçus pour transporter des animaux vivants. Un certificat d’agrément valable pour cinq ans doit être délivré par l’autorité compétente d’un État membre avant que l’embarcation ne puisse être opérationnelle. Ce certificat ainsi que les contrôles réalisés par les vétérinaires avant chaque chargement d’animaux doivent attester de la bonne mise en œuvre des exigences de bien-être du règlement. Toutefois, des déficiences techniques dans les installations comme des problèmes d’abreuvement et de ventilation, pourtant essentielles aux besoins biologiques des animaux, sont courantes sur ce genre de cargo [7]. De plus, il a été remarqué que la majorité des bateaux sont agréés par des pays se trouvant sur la liste noire du Mémorandum d’entente de Paris sur le contrôle des navires. Ils sont donc considérés à haut ou à très haut risque en matière de sécurité maritime. Malgré cela, le certificat est délivré par les autorités et le navire est toujours autorisé à quitter le port. Ceci s’explique notamment par le manque de procédures adéquates, de connaissances techniques et de temps, ainsi que par la pression exercée sur les vétérinaires par les exportateurs. 

Ensuite, un autre point alarmant concerne le respect et l’inspection de l’aptitude des animaux à poursuivre le voyage. Cette aptitude doit être vérifiée par les vétérinaires officiels une fois le véhicule routier arrivé au port de sortie. Des interprétations divergentes de la notion d’aptitude au transport apparaissent en fonction des États membres et bien souvent le personnel n’est pas suffisamment qualifié malgré les documents de conduite à adopter mis à leur disposition afin de déterminer convenablement si les animaux sont effectivement en état de prendre la mer. Un animal gestant ou présentant des blessures, ou encore non-sevré, va alors souffrir grandement lors de la traversée.

Enfin, l’absence de plan d’urgence et le manque d’attention aux conditions météorologiques, deux éléments pourtant bien prévus dans le règlement, ne font qu’augmenter les souffrances des animaux et les possibilités d’échec du transport.  

Rapport de la Commission sur le transport routier d’animaux

Le rapport de la Commission sur le transport routier d’animaux tire un bilan davantage positif comparé au précédent. La Commission semble dans l’ensemble satisfaite des mesures prises par les États membres afin de réduire les souffrances animales lors du transport routier. Elle constate un haut taux de conformité au règlement sur la partie du trajet à l’intérieur de l’Union européenne. Les mesures d’exigences de protection ne seraient principalement pas appliquées une fois le véhicule sorti du territoire de l’UE. De nombreuses infractions auraient été repérées aux frontières entre un État membre et un État tiers et en particulier à la frontière bulgaro-turque. Pourtant, la Cour de justice de l’UE dans sa décision du 23 avril 2015 Zuchtvieh-Export GmbH a statué sur l’exigence du respect des normes du bien-être animal sur l’entièreté du transport, y compris lors de la partie du trajet en dehors de l’Union.

Malgré le constat positif de la Commission à l’intérieur de l’UE, subsistent toutefois des problèmes d’incohérence dans les carnets de route et un manque de rigueur dans les contrôles et inspections. Nous relevons ici trois problèmes principaux, en plus de l’absence du plan d’urgence et de la non prise en considération des conditions météorologiques.

Premièrement et parallèlement à ce qui a été soulevé pour les transports maritimes, les véhicules routiers ne répondent pas systématiquement aux exigences de protection des animaux qu’ils transportent. Les fonctionnaires chargés de vérifier les installations au point de départ et à chaque étape du trajet ne suivent pas toujours les lignes de conduites établies. Ceci résulte en des calculs erronés de surface de ponts, de nombre maximum d’animaux transportés et de ventilation.

Ensuite, la principale difficulté réside dans le fait que les États membres ont chacun leur propre régime d’inspection, certains basés sur le hasard et d’autres sur les risques. Ils ont également leur propre interprétation de l’aptitude de l’animal à poursuivre le trajet et leur propre régime de sanctions. De grandes différences dans la qualité et la quantité des contrôles rétrospectifs sont aussi à noter. Ces disparités empêchent l’application uniforme et correcte du règlement dans l’ensemble du territoire de l’Union et ont pour conséquence de fausser les données sur la bonne mise en œuvre et l’efficacité du règlement.

Enfin, l’enregistrement des données et l’accès à celles-ci laissent à désirer. Il est difficile pour la Commission de relever de nombreux cas de non-conformité au règlement, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur de l’Union car peu de données sont disponibles. Les données sont principalement consignées dans le système TRACES : « la plateforme multilingue en ligne de la Commission européenne pour la certification sanitaire et phytosanitaire requise pour l’importation d’animaux, de produits animaux, de denrées alimentaires et d’aliments pour animaux d’origine non animale et de plantes dans l’Union européenne, ainsi que pour le commerce intracommunautaire et les exportations communautaires d’animaux et de certains produits animaux ». L’utilisation du système n’est donc pas requise pour les transports qui ont lieu au sein du même État membre et pour les États membres partageant une frontière avec l’État tiers d’exportation. Le taux de conformité est donc une nouvelle fois biaisé. De plus, il y a une insuffisance de données publiques et d’indicateurs basés sur les animaux [8].

Comparé aux informations relevées par les ONG et par le Parlement européen concernant le non-respect du règlement, la Commission semble rapidement tirer la conclusion d’un taux élevé de conformité et d’une protection efficace des animaux transportés au sein de l’Union européenne par camion malgré l’imperfection des données et les failles du système [9].

Lorsqu’on ajoute à cela les chaudes températures dépassant les 30 °C, le temps d’attente extrêmement long aux frontières sans la possibilité d’aménager les animaux dans un espace de repos et les particularités du système turque (longues procédures administratives, horaires d’ouverture réduits des postes de vétérinaires), il est évident que la protection des animaux lors des transports routiers peut être nettement améliorée.

Lire aussi Transport : le Parlement européen accepte enfin une commission d’enquête

Conclusion

La Commission européenne a récemment annoncé sa volonté de réformer le règlement transport ainsi que le règlement abattage dans sa stratégie « de la Ferme à la Fourchette » prévue au sein du Pacte vert pour l’Europe. L’UE mentionne son intention de revoir sa législation en fonction des dernières connaissances scientifiques afin d’assurer un meilleur niveau de bien-être animal et par conséquent garantir plus de sécurité alimentaire et une meilleure qualité de produits.

En attendant, nous pouvons applaudir l’initiative du ministre de l’Agriculture néerlandais qui a pris la décision au mois de mai 2020 de suspendre les transports d’animaux vivants à destination de pays tiers. Cette décision est motivée par le constat que les temps de déchargement, repos et abreuvement ne sont souvent pas respectés aux frontières et en dehors du territoire de l’Union. Alors que les Pays-Bas exportent plus de 30 000 animaux par an à destination d’États tiers, le ministre a pris cette décision dans un souci de respect du bien-être des animaux. Cette décision est très appréciée des organisations de protection animale qui enjoignent les autres États membres à faire de même en attendant la réforme du règlement. Le transport de carcasses ou de viandes plutôt que des animaux vivants est également imploré par les ONG afin d’épargner aux animaux des longues heures de transport et les souffrances dues aux motifs exposés dans cet article.

Ashley De Backer


[1] Les règlements de l’Union européenne sont obligatoires dans tous leurs éléments et directement applicables dans tous les États membres. Retour
[2] Le Queen Hind est un vaisseau de cargaison roumain qui a chaviré lors de sa traversée vers l’Arabie Saoudite en Novembre dernier. Près de 14.000 moutons y sont mort noyés. Seuls 254 de ces animaux ont pu être sauvés grâce une initiative conjointe de l’association FOUR PAWS et l’association roumaine de protection animale ARCA.
[3] « How many live transport tragedies have to happen before something changes? » Eurogroup For Animals Magazine, Janvier 2002, pp.4-5.
[4] Un transport est dit « de longue durée » lorsque le trajet atteint ou dépasse les huit heures.
[5] Pour la France, il s’agit de la DDPP (la direction départementale pour la protection de la population) ou du vétérinaire certificateur selon la procédure prévue par le départment.
[6] Animal Welfare Overboard, enquête réalisée par Animal Welfare Foundation.
[7] Entre autres, la Commission relève des problèmes dans les dispositifs d’abreuvement, de ventilation et de drainage.
[8] C’est-à-dire « les variables qui sont directement mesurées chez les animaux tels que les changements de comportement ou les paramètres de santé et physiologiques ».
[9] Dans l’application TRACES, le vétérinaire peut uniquement relever le défaut de conformité avec le règlement sans pouvoir indiquer la sévérité et la fréquence du problème survenu.

 

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