Les paradoxes de la législation face à la détresse des animaux sauvages

Les centres de soins en France sont soumis à une législation stricte et vieillissante qui n’est plus adaptée à leur fonctionnement actuel. Effectivement, les centres de soins, souvent bâtis par des privés pour une activité moindre, sont devenus des systèmes de grande ampleur brassant un nombre important de personnes et d’animaux. Ce décalage entre la réglementation et la réalité engendre des paradoxes qui complexifient l’action des centres de soins.

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© Relâché de grèbe à cou noir par Voléedepiafs-Trisk’ailes

Les centres de soins à la faune sauvage en France

En France, l’on compte environ 102 centres de soins (DOM-TOM inclus). Il s’agit du seul type d’établissement autorisé à accueillir, soigner et réhabiliter les animaux sauvages en détresse afin de les relâcher dans leur environnement naturel. À ne pas confondre avec un parc animalier ou un refuge, car il n’a pas pour vocation de garder les animaux accueillis dans ses locaux. L’objectif fondateur des centres de soins est de réduire l’impact anthropique sur la faune sauvage. Mais pour cela, le seul fait de soigner les individus blessés ou malades ne suffit pas. Puisque plus de 70 % des animaux accueillis en centre de soins le sont pour des raisons liées à l’activité humaine, éduquer la population devient primordial pour prévenir plutôt que guérir.

Ces structures sont de plus en plus sollicitées par les citoyens dont la préoccupation pour le bien-être animal ne cesse de croître. Leur activité augmente alors de manière exponentielle. Cependant, la législation régissant l’activité des centres de soins date de l’arrêté du 11 septembre 1992, relatif aux règles générales de fonctionnement et aux caractéristiques des installations des établissements qui pratiquent des soins sur les animaux de la faune sauvage. C’est un texte vieillissant et qui ne prend pas en compte tous les aspects du fonctionnement actuel des centres de soins devenus de véritables acteurs de la préservation de la faune sauvage.

Les espèces sauvages protégées sont sur-représentées dans les centres de soins

Plus de 70 % des animaux pris en charge en centre de soins appartiennent à des espèces protégées par la Convention de Berne (1979). C’est paradoxal lorsque l’on sait que, la majeure partie du temps, ces animaux sauvages sont pris en charge à cause des dégâts infligés par l’activité humaine : trafic routier, dénichage, piégeage (cheminée, filet de pêche, grillage, etc.), blessure (outils de jardin, hameçon, tir de chasse, etc.)… Autrement-dit, les espèces protégées par la loi sont tout de même admises en grand nombre en centre de soins. Serait-ce justement parce que la loi leur donne plus d’importance qu’aux autres, et ainsi les citoyens se sentent plus concernés par leur sort, ou bien est-ce dû au fait qu’au contraire cette loi n’est pas vraiment respectée ? La question n’est pas tranchée, mais il semblerait que le statut juridique d’un animal ne joue pas sur notre volonté de lui venir en aide. C’est d’ailleurs ce que prônent la majorité des centres de soins : un antispécisme donnant à chaque animal le droit à la survie grâce aux soins dispensés.

Revenons à la Convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe, dite de Berne, une réglementation imposée aux pays adhérents membres de l’Union européenne. Elle interdit toute atteinte aux espèces animales protégées : capture, mise en captivité, transport, blessure, destruction de l’habitat, prélèvement d’œufs… Néanmoins, deuxième paradoxe, un animal sauvage protégé dont l’état de santé est jugé mauvais nécessite parfois une intervention humaine. Il peut s’agir d’une simple assistance, comme le fait de recréer un nid pour une nichée d’hirondelles délogée par mégarde en faisant des travaux de façade ; ou bien de soins, comme le fait de nettoyer, recoudre et consolider une fracture causée par la collision avec une voiture. Dans le premier cas, l’intervention reste peu intrusive à condition de limiter le stress des animaux en se contentant de les déplacer un minimum de fois et de leur reconstruire des conditions semblables à celles qu’ils avaient avant d’être dérangés. Sur simples conseils d’une association naturaliste ou d’un centre de soins, cette manœuvre peut rester anodine et réussir sans problème. Dans le second cas, c’est plus délicat. Les centres de soins étant peu nombreux, il est généralement nécessaire de parcourir une longue distance pour faire admettre l’animal dans l’un d’entre eux. Alors, bénévoles rapatrieurs sont fréquemment sollicités. Ils se rendent disponibles pour faire le voyage à la place du découvreur de l’animal en détresse (ou en partie seulement). Par exemple, en Bretagne un rapatrieur parcourt en moyenne 181 km aller-retour pour acheminer un animal en centre de soins (Faune sauvage en détresse de Bretagne, Phase 1 : État des lieux, par LPO Bretagne, La Queue Touffue et Volée de Piafs – Trisk’ailes, 2021).

Transporter un animal sauvage vers un centre de soins, est-ce autorisé ?

La circulaire relative au suivi des activités des centres de sauvegarde pour animaux de la faune sauvage (12/07/04) autorise sans formalité un particulier à transporter un animal sauvage vers un centre de soins, mais seulement en cas d’urgence (seul un professionnel – soigneur animalier ou vétérinaire – est capable de dire si le pronostic vital d’un animal est engagé) et en l’absence de meilleure solution, et dans les plus brefs délais, par l’itinéraire le plus direct. Or, dans près de la moitié des cas, ce sont des bénévoles rapatrieurs qui transportent ces animaux, pas les découvreurs. De plus, ils ne le font pas forcément dans l’heure où l’animal a été découvert, faute de temps. Un animal sauvage en détresse peut parfois être acheminé au bout d’un voire deux jours, selon les disponibilités du bénévole. De fait, aucun texte de loi ne précise autoriser les bénévoles à transporter les animaux sauvages, même pour le compte d’un centre de soins. Une dérogation à l’interdiction de transport d’espèces protégées est établie tous les cinq ans au nom du responsable du centre de soins, titulaire du certificat de capacité. Certains centres de soins y incluent une liste de bénévoles pour leur attribuer une autorisation par procuration. Néanmoins, un centre de soins fonctionnant majoritairement grâce à des bénévoles, et le bénévolat étant souvent une action ponctuelle, non pérenne, cette liste de bénévoles autorisés à transporter la faune sauvage protégée devient souvent caduque au bout d’un mois.

En pratique, chaque territoire, régional ou départemental, accorde ou non le droit aux bénévoles de transporter la faune sauvage en détresse vers un centre de soins. Mais ce manque d’harmonisation s’avère problématique car les centres de soins travaillent rarement à l’échelle d’un seul département ou même d’une seule région.

Garder captif un animal sauvage, est-ce autorisé ?

À la lecture de cet article et de la législation en vigueur, il va de soi qu’il est formellement interdit à un particulier ou à un bénévole de ramener chez soi un animal sauvage, qu’importe son statut de protection ou de menace.

Au-delà de la réglementation, il semble également indiscutable qu’une telle pratique soit prohibée pour le bien-être de l’animal. D’abord, un animal sauvage est aussi un être sensible et non un objet d’agrément, il ressent donc le stress et la peur provoqués par la captivité. Ensuite, chaque animal a des besoins écologiques et biologiques propres qu’il ne peut assouvir que dans la nature. L’en priver ou l’obliger à changer de comportement (exemple : le cloisonner dans une cage pour éviter qu’il ne salisse l’intérieur de la maison) est faire acte de cruauté et d’égoïsme. Enfin, certaines compétences, des connaissances et un matériel précis sont nécessaires pour prendre en charge des animaux sauvages du fait de leurs besoins spécifiques. En cela, seuls les centres de soins sont capables – parce qu’ils ont les connaissances et les outils et structures adaptés – à prendre en charge ces animaux sauvages en détresse.

Néanmoins, les centres de soins sont peu nombreux. Pire, ce sont des structures financièrement fragiles et elles sont souvent débordées par la quantité d’animaux accueillis. En effet, il n’existe encore aujourd’hui aucune ligne budgétaire attribuée par les institutions publiques pour financer le service rendu par les centres de soins. Pourtant, ces mêmes institutions publiques font régulièrement appel aux centres de soins, notamment en cas de catastrophe à fort impact sur la faune sauvage (exemple : en 2014, Volée de Piafs – Trisk’ailes a été mandatée par l’État pour prendre en charge des centaines d’oiseaux marins mazoutés à la suite de dégazages sauvages réalisés pendant les tempêtes hivernales). Quand bien même le droit français désigne la faune sauvage comme étant res nullius, c’est-à-dire qu’elle n’est la propriété de personne, elle relève tout de même de la responsabilité de la collectivité. Pourtant les associations gérantes des centres de soins sont seules à lui venir en aide, épaulées par des vétérinaires volontaires et des bénévoles.

Un système à bout de souffle

Finalement, la réglementation oblige la population à laisser les animaux sauvages en détresse aux mains d’un centre de soins, sous peine d’amende. De leur côté, les centres de soins atteignent un point de non-retour en repoussant les limites de leurs capacités. Peinant à trouver des financements pour fonctionner, ils finissent par refuser l’admission à des animaux par manque de fonds, de place ou d’effectif, jusqu’à ce qu’ils soient parfois contraints de fermer définitivement leurs portes. De ce fait, un centre de soins ferme définitivement chaque année en France, et le centre de soins de la LPO à l’Ile Grande (22) a fermé de manière temporaire en septembre pour cause de saturation des locaux.

À l’inverse de ce qui est souhaité, et souhaitable, cela incite les découvreurs à agir contre la législation et contre le bon sens, mais pour « ne pas laisser un animal mourir sur le bord de la route ». Sans consulter de professionnels du soin animalier ou sans suivre les conseils de médiation faune sauvage, ils décident d’intervenir, même si c’est interdit. Ils choisissent d’élever, de nourrir, de « soigner » eux-mêmes un animal sauvage parce qu’ils veulent aider, même si c’est contre-productif et qu’il y a de fortes chances que cela tue l’animal de toute façon, parce qu’ils ne possèdent ni l’expérience, ni les connaissances, ni le matériel requis.

Les centres de soins appellent donc à être reconnus par l’État comme un service prioritaire et un acteur primordial de la sauvegarde de la faune sauvage, constituante importante de la biodiversité. De fait, certains ont déjà commencé à se professionnaliser et à s’ancrer dans l’économie sociale et solidaire de leur territoire pour répondre à la demande et aux réalités changeantes du terrain. Parce que les centres de soins deviennent des acteurs incontournables aux vues de l’érosion de la biodiversité grandissante, ils tendent vers un nouveau fonctionnement proche de celui d’un service public. Mais pour perdurer, ils ont besoin de stabilité, et donc de financements fléchés.

Amélie Boulay, Volée de Piafs

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