Le fichage judiciaire des personnes accusées de maltraitance animale

Le mardi 22 mars 2022, Me Magali Gilly, présidente de l’Union des jeunes avocats (UJA) de Nice, était l’invitée d’une visio-conférence organisée par l’Association pour le développement du droit animalier. Le sujet a porté sur le fichier des maltraitants animaliers, prévu par la loi du 30 novembre 2021, et de ses conséquences. La mise en place de ce fichage national des personnes ayant été condamnées pour mauvais traitement ou acte de cruauté envers les animaux tenus sous la garde de l’homme, pour l’heure, appelle quelques critiques.

Depuis peu, la loi prévoit le fichage judiciaire des personnes accusées de maltraitance animale. Mais que vaut vraiment cette réforme ?

La loi du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale mobilise l’outillage informatique pour aider à mieux détecter les personnes susceptibles de commettre, ou de réitérer, des infractions liées aux animaux.

Elle admet ainsi, au sein de son article 6, que :

  • les contraventions en lien avec les animaux prévues au livre II du code rural et de la pêche maritime pourront faire l’objet d’un fichage numérique confié à l’Agence de traitement automatisé des infractions ;
  • une fois la sanction prononcée, le condamné sera inscrit dans le fichier des personnes recherchées au titre des décisions judiciaires et se verra interdire la détention d’un animal.

Bien que parti d’une bonne intention, ce fichier reste toutefois, sur beaucoup d’aspects, améliorable.

Un fichage critiquable pour son manque d’applicabilité

Les animaux sauvages libres ne sont pas concernés par cette protection

Si les associations saluent l’élan législatif visant à améliorer la cause animale, le chemin à parcourir est encore long. En effet, il est reproché à la loi du 30 novembre 2021 de délaisser la protection des intérêts des animaux sauvages libres. Seuls les actes de cruauté commis envers les animaux tenus sous la garde de l’homme sont sanctionnés. « C’est une carence importante dans le droit français […] Contre la maltraitance animale, il reste beaucoup à faire », déclare Louis Schweitzer, président de la LFDA, dans une interview consacrée au journal Le Monde du 26 janvier 2021.

Un décret d’application toujours en attente

Bien que la loi ait été publiée au Journal officiel le 1er décembre 2021, aucun décret d’application n’accompagne cette dernière. Ce dernier permettrait pourtant de poser les conditions exactes de sa mise en pratique, et donc de permettre une meilleure effectivité de la loi. À titre d’exemple, Me Gilly déplore l’absence de précisions concernant l’avenir des données informatiques des individus maltraitants.

La « technique de superposition des couches du mille-feuille »

Si la loi prévoit la création d’un fichage visant à recenser les auteurs de maltraitance animale, ce dernier viendrait néanmoins s’ajouter à des fichiers qui concernent d’autres types de condamnations, comme celui des personnes condamnées pour violences conjugales, ou celui des personnes ayant commis des délits sur mineurs. Cela pourrait entraîner un défaut de lisibilité pour les autorités qui en usent. Me Gilly nomme cela la « technique de superposition des couches du mille-feuille », et soutient la création d’un fichier indépendant.

Problème d’accessibilité au fichier pour les acteurs du secteur animalier

Par respect pour la Constitution et certains droits fondamentaux tel que le droit à l’oubli, la loi prévoit que seuls les officiers de police judiciaire ou de la gendarmerie pourront avoir accès à ce fichier. Cependant, ce manque de transparence pose des soucis pratiques.

Si une personne condamnée, et donc fichée, se rend dans un refuge pour adopter un nouvel animal, le personnel du lieu ne pourra pas avoir connaissance de sa peine et lui refuser l’adoption. In fine, la personne pourra adopter un animal avec le risque qu’elle commette, à nouveau, un acte violent à son égard. De plus, Me Gilly s’inquiète du manque de sensibilisation des autorités sur l’utilisation de ce genre d’outil visant à protéger les animaux.

Lors d’un procès, le Procureur de la République est habilité à demander une copie du casier judiciaire de l’individu accusé de maltraitance pour l’envoyer aux avocats des parties. Si ces données peuvent effectivement servir de preuve contre la personne accusée, le cumul des délais, qui correspond au temps durant lequel le procureur fait sa demande, récupère le document souhaité et le transmette, peut ainsi décourager les parties à le réclamer.

Le but originel de la loi est mis à mal

Si l’utilisation de cet outils informatique devait, à l’origine, permettre un fichage plus effectif des individus maltraitants envers leurs animaux, en pratique, cet objectif, bien que louable, risque de ne pas être atteint, puisque certains auteurs d’actes de cruauté ou de maltraitance pourraient passer entre les mailles du filet. En effet, Me Gilly souligne que les plaintes déposées à la gendarmerie (quand les gendarmes acceptent de les prendre) ne donnent pas toujours suite à un procès. Le risque est donc que des personnes, pourtant auteurs d’actes de maltraitance mais non inquiétés par la justice, reproduisent des actes violents envers les animaux. Pour prévenir ce genre de dérive, l’avocate propose que les associations sensibilisent les forces de l’ordre qui prennent en charge les dépôts de plainte à la cause animale.

Des solutions envisagées pour prévenir la maltraitance animale

Prendre exemple sur le modèle de surveillance des personnes pédophiles

Me Gilly insiste sur l’importance d’accompagner les personnes fichées à la suite de leur condamnation, notamment dans un but préventif. Pour ce faire, elle souligne la pertinence de certains modèles de surveillance déjà mis en place, et tout particulièrement celui appliqué aux personnes condamnées pour pédophilie.

À ce titre, elle prend pour exemple l’obligation pour le pédophile de se soumettre à un suivi de soins (faisant lui-même l’objet d’une vérification mensuelle) auprès d’un psychiatre.

Me Gilly ne nie pas la difficulté de mettre en place un tel dispositif, notamment aux niveaux des moyens humains et financiers qu’il exige, mais souligne qu’un accompagnement tel que le suivi psychiatrique atteste de réels résultats positifs à la suite d’une condamnation et mériterait, pour ce faire, d’être considéré comme un objectif à long terme. Cet argument nous semble d’autant plus valable quand on sait que la littérature psychiatrique admet que la cruauté envers les animaux constitue un prédicteur statistique de futures conduites antisociales, incluant les violences contre les personnes (théorie du lien).

Accentuer la prévention à l’échelle des collectivités locales pour sensibiliser le plus d’acteurs à la cause

Me Gilly déplore un manque de prévention auprès des citoyens sur la nécessité de signaler les actes de maltraitance dont ils pourraient être témoins auprès des autorités et des organisations habilitées. Elle remarque qu’ils n’ont souvent pas connaissance des moyens qui s’offrent à eux pour agir. Pour elle, cela pourrait être lié à un manque de volonté des autorités compétentes à intervenir et prévenir la maltraitance animale. Elle souhaiterait ainsi que les collectivités locales, notamment les mairies et les institutions de police, soient davantage impliquées pour prévenir la maltraitance animale.

Un fichier plus largement accessible : exemple de la législation des armes à feux

Nous avions identifié ci-dessus un manque d’accessibilité aux données du fichiers par les différents acteurs du secteur animalier (exemple : refuges, éleveurs, vétérinaires, etc.). Il conviendrait donc d’envisager une solution qui serait à la fois respectueuse des contraintes constitutionnelles, tout en offrant la possibilité de répondre à cette problématique. Pendant la visio-conférence, une réponse, calquée sur la législation concernant la détention d’armes, a été envisagée.

En France, la détention d’arme est autorisée dans deux cas : l’obtention d’une licence 1° par la fédération de la chasse, ou 2° par la fédération française de tirs. Un intervenant explique qu’à la suite des vagues d’attentats qui ont touché la France en 2015, les services de l’État ont été contraints de renforcer le fichage des détenteurs d’armes. Avant cela, les clubs de tir n’étaient pas habilités à vérifier si les personnes qui venaient sur leurs stands avaient des antécédents. Désormais, la législation prévoit la mise en place d’un contrôle par la sous-préfecture du département à travers un pré-fichier accessible aux clubs de tirs. Ces derniers ont désormais accès à un pré-fichier qui indique, sans entrer dans les détails, si une personne a été condamnée pour des antécédents avec une arme à feu. À l’instar des clubs de tirs, les acteurs du secteur animalier pourraient, eux aussi, avoir accès à un pré-fichier, sans avoir à connaître des détails de la condamnation pénale dont la personne fait l’objet.

Conclusion

La mise en place d’un fichier national qui recense les personnes condamnées pour un acte de maltraitance ou de cruauté envers un animal est une bonne idée sur le papier, mais qui reste perfectible. Son application interrogera surement beaucoup de juridictions mais aussi les collectivités locales, notamment quant à la manière d’exercer un suivi des condamnations ou de faire de la prévention. En somme, pouvoir tracer, anticiper et prévenir ces actes condamnables avec cet outil est une bonne idée uniquement si elle est bien utilisée en pratique. Pour le savoir, un rapport (parlementaire par exemple) pourrait faire le point sur l’utilité de ce fichage, après au moins un an de fonctionnement, afin de s’assurer que les condamnations et l’inscription sur ce fichier ont permis de réduire les actes de maltraitance et de cruauté à l’encontre des animaux. Dans le cas contraire, il devrait mettre en lumière les difficultés rencontrées sur le terrain et proposer des recommandations pour y remédier. L’accessibilité à un pré-fichier par les acteurs du secteur animalier, tel que présenté dans l’article, nous semble être un bon début.

Julie Gros

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